L'angoisse est palpable chez les professionnels du funéraire. Ils doivent s'adapter à la nouvelle situation et respecter des consignes très compliquées, qui évoluent sans cesse, tout en gardant leur humanité envers les familles.
"Je suis très inquiet pour la santé de mes collaborateurs !" Olivier Top, responsable d'une entreprise de pompes funèbres dans la métropole lilloise, a été confronté ce mercredi pour la première fois à un décès lié au coronavirus, à l'hôpital de Roubaix. "La consigne, c'est la mise en bière immédiate dans un cercueil simple, sans même rouvrir la housse sanitaire. On ne fait pas de toilette, pas de soin, pas de préparation, rien du tout. Je suis vraiment inquiet de ne pas pouvoir avoir les équipements nécessaires. Quand on va chercher une personne décédée du Covid-19, il faut deux personnes entièrement équipées... On n'a rien."
Olivier a essayé de s'approvisionner en masques à la pharmacie. Sans succès. "C'est réservé aux professionnels de santé, déplore-t-il. Je viens de recevoir un mail de la préfecture, me demandant mes stocks et mes besoins. J'espère qu'ils vont enfin s'organiser. Il est plus que temps !"
"Je nettoie tout plusieurs fois par jour, jusqu'aux poignées de portes."
Pour gérer au mieux les différents décès, Olivier a décidé de limiter l'accès aux chambres funéraires à la stricte famille. "Nous-mêmes, on garde nos distances avec les gens." Quant aux gestes à faire, il les connaît parfaitement. "Du temps de notre formation, on nous a toujours dit qu'un corps pouvait être contagieux même après la mort, donc on prend toujours nos précautions. Là, on en prend encore plus, c'est tout." A fortiori à domicile, où il y a plus de contact avec l'intimité des gens. C'est simple, il ne se déplace jamais sans lingettes désinfectantes. "Dans les chambres funéraires, je nettoie tout plusieurs fois par jour, jusqu'aux poignées de portes."
Chaque jour, il faut s'adapter aux nouvelles mesures. "Dans un premier temps, c'était le flou artistique avec les mairies, qui n'avaient pas pris position sur comment accéder aux cimetières. On ne savait rien. Entre le moment où on a rencontré les familles le week-end dernier et maintenant, il y a eu plein de changements. Au début, les crémations devaient se faire sans la famille. Maintenant c'est limité à 10 personnes, espacées dans la grande salle. On pouvait aller à l'église, on ne pouvait plus, on peut de nouveau..."
"Si j'ai peur ? J'y vais parce que c'est ma mission."
C'est que dans les églises, les consignes évoluent en permanence. Aujourd'hui, François Richir a deux célébrations de funérailles. "Si j'ai peur ? J'y vais, car c'est ma mission, confie ce diacre de Mons-en-Barœul, près de Lille. J'y vais vraiment, sincèrement, mais de manière responsable. Donc je porterai un masque. C'est sans doute un peu bizarre, mais nous n'avons pas le choix."
Le plus important, pour les prêtres, c'est de pouvoir accompagner les familles confrontées à la perte d'un proche. Evidemment, il a fallu modifier un certain nombre de points. "Par exemple, d'habitude on se rencontre, là, ça se fait par Skype." Pour la cérémonie, le célébrant ne doit pas avoir plus de 70 ans. "Dans mon cas, raconte encore François Richir, l'organiste est là, on ne se salue pas. Certains petits gestes seront différents, normalement je transmets un lumignon, là, j'allume une petite bougie posée sur une chaise, sans la toucher. C'est pas ça le plus important." Le nombre des personnes présentes est pour l'instant limité à 20, espacées une par rang, un rang sur deux. Les faire-parts ne mentionnent ni date, ni lieu de célébration, afin que personne ne puisse venir.
Les familles l'acceptent plutôt bien, vu le contexte. "Ce matin, confie le diacre, ému, j’ai célébré des funérailles et juste après la célébration, la personne des pompes funèbres est rentrée dans l’église avec la grande croix en fleurs qui était posée sur le cercueil et me l’a tendue, en disant que la famille l’offrait à l’Eglise, pour nous remercier. Un geste plein d’humanité dans cette période difficile."
A Villeneuve d'Ascq, il n'y a plus en ce moment de célébrations de funérailles dans les églises. Pour suivre les préconisations du Premier ministre Edouard Philippe, qui le rappelait mardi 17 mars sur France 2 : "Ce que je vais dire est terrible à entendre," mais il est interdit de se rendre à un enterrement.
"Il faut une distinction entre ce qu'on vit dans l'urgence et ce qu'on pourra vivre dans la durée."
"Imaginez, dans une église, comme ça peut résonner, comme ça peut faire vide... Alors qu'un deuil est un moment où on a besoin les uns des autres", explique le père Jean-Baptiste Masson. Il est proposé aux familles de faire un temps de prière au cimetière, ou au funérarium, en présence d'un prêtre, en cercle le plus restreint possible et en respectant les règles d’éloignement. "L'essentiel est de pouvoir prier pour la personne, ça c'est possible maintenant, et réunir toute la famille... ça ce sera possible plus tard, rassure le père Jean-Baptiste. Il faut une distinction entre ce qu'on vit dans l'urgence et ce qu'on pourra vivre dans la durée. Donc là, on va faire des prières au cimetière, et après le confinement, on organisera de vraies funérailles à l'église." Des cérémonies sans corps, à la mémoire des défunts, comme cela se fait déjà à l'heure actuelle, quand une famille ne peut pas rapatrier un corps de l'étranger par exemple.
Les prêtres appliquent ce qui est demandé par les autorités, avec la préoccupation de ne pas contaminer les personnes fragiles, âgées isolées, malades. "Rien ne remplace une visite physique, mais on ne les fait plus. La dernière visite à un malade remonte à vendredi dernier... On prend des nouvelles par téléphone."
Avec d'autres, le père Jean-Baptiste a eu l'idée de créer une chaîne Youtube, "Paroisses de Villeneuve d'Ascq". Les prêtres tournent régulièrement des vidéos, des homélies, et vont d'ici peu reprendre les cours de catéchisme... online. La chaîne a déjà dépassé les 1.000 abonnés, une condition sine qua non pour pouvoir diffuser en direct. Ce sera donc le cas dimanche, pour la messe. Dans l'idée de limiter les contacts le plus possible.
"Des cercueils qui s'entassent ?! J'ose espérer qu'on n'en arrivera pas à une telle extrémité."
Toutes ces mesures peuvent encore changer, au diocèse, comme dans les pompes funèbres. "Hier j'ai vu les images de Bergame, s'alarme Olivier Top. Un enterrement toutes les demi-heures ? Des cercueils qui s'entassent ?! J'ose espérer qu'on n'en arrivera pas à une telle extrémité. Déjà pour nous, pour notre santé. Et pour les familles des défunts. Comment leur annoncer que les funérailles n'auraient lieu que dans trois semaines ?"
Pandémie : en Italie, la ville de Bergame, tristement surnommée la Wuhan italienne, les cercueils s'entassent. "Nous faisons un enterrement toutes les 30 minutes", dit le porte-parole de la mairie. Les avis de décès occupent onze pages dans le quotidien local L'Eco di Bergamo. pic.twitter.com/FZ3bxudGfE
— Infos Françaises (@InfosFrancaises) March 18, 2020
Interdiction d'aller au cimetière, sauf pour un enterrement
Certaines communes du Nord et du Pas-de-Calais ont pris les devants et fermé leurs cimetières. Mais si ce n'est pas le cas partout, il est néanmoins interdit de s'y rendre, sauf pour assister à un enterrement."Les cimetières demeurent ouverts uniquement pour procéder aux rites funéraires qui demeurent possibles, annonce la préfecture. Seuls les membres proches de la famille (20 personnes au maximum) ainsi que les desservants de rites funéraires pourront donc faire l’objet d’une dérogation aux mesures de confinement fondée sur des motifs familiaux impérieux. En dehors de ce motif, ils sont fermés à la population générale jusqu’à nouvel ordre."
Tout contrevenant risque une amende de 135€.