Des lycéens au tribunal : ils jouent un faux procès pour comprendre le fonctionnement de la justice

Dans la salle solennelle du tribunal de proximité de Péronne, des élèves de terminale ont enfilé les robes de juges, avocats et procureur le temps d'un procès fictif, organisé pour leur apprendre toutes les subtilités du monde de la justice.

Intimidée, l'accusée s'avance à la barre du tribunal de proximité de Péronne. Une montre de luxe a été volée dans un hôtel. Les soupçons pèsent sur cette femme de chambre, dont la vidéosurveillance montre les allées et venues dans la chambre où le méfait a été commis. 

"Je sais que je n'ai rien volé, aucun autre membre du personnel n'a été interrogé par la police", se défend la jeune femme. "Pourquoi avez-vous effectué des recherches sur les montres de luxe quelques jours avant le vol ?" questionne un assesseur de justice. "Cette montre était porteuse de souvenirs précieux, d'une valeur sentimentale inestimable" renchérit, un peu plus tard, l'avocat de la victime.

 

Ce ballet de robes noires entre les hauts murs du tribunal ressemble à un procès ordinaire. Mais ce sont en réalité des élèves de terminale du lycée Sacré-Cœur de Péronne qui jouent tous les rôles ici. Les vrais juges et avocats sont dans l'assistance, ils observent les élèves. Pour la deuxième année, le Conseil départemental d'accès au droit (CDAD) les a guidés dans ce projet dont l'objectif est de comprendre concrètement comment fonctionne la justice au travers de ce cas très pratique. 

"On pense que c'est simple à juger, mais en fait, c'est assez compliqué"

La procureure requiert huit mois de détention assortis d'un sursis, "car il s'agit d'une première infraction", précise-t-elle. Elle, c'est Florentine Jur, 17 ans, qui semble convaincue par cette expérience. 

"Ça a été un long travail, on l'a préparé dans la durée, se souvient Florentine. Mais c'était une expérience unique qui permet de découvrir la complexité de la justice et des différents rôles, qui ne sont pas évidents. On se rend compte que lorsqu'on lit un dossier comme celui-ci, on pense que c'est simple à juger, mais en fait, c'est assez compliqué en raison des différents éléments. On se rend aussi compte qu'on est tout seul à pouvoir décider de l'avenir de quelqu'un. Ce n'est pas forcément évident, mais c'est hyperintéressant."

La jeune fille envisage une licence de droit ou de sciences politiques à la fin de son année de terminale, cet exercice est donc une façon de découvrir cet univers qu'elle fréquentera peut-être dans quelques années. Un exercice de prise de parole en public "un peu stressant", concède-t-elle. 

Il faut avoir les pensées claires tout le temps, faire attention à ce qu'on dit, comment on le dit, car chaque mot a son importance. Il faut voir le moindre petit détail.

Juliette Belguise

Élève de terminale à Péronne

Ses camarades Aubane Labruyère et Juliette Belguise semblent également heureuses de s'être prêtées au jeu. Elles ont respectivement incarné l'accusée et l'avocate de la défense. Elles ont donc préparé ensemble la plaidoirie pour tenter de sauver la suspecte. "On a pesé tous les éléments qui pouvaient la dédouaner, après, on a mis tout ça en forme. On a choisi tout ce qui n'était pas clair dans le dossier" résume Juliette.

Malheureusement, cela n'a pas suffi à prouver l'innocence de sa "cliente", mais se mettre dans la peau d'un avocat l'a intéressée : "Le métier d'avocat, c'est dur. Il faut avoir les pensées claires tout le temps, faire attention à ce qu'on dit, comment on le dit, car chaque mot a son importance. Il faut voir le moindre petit détail. Mais c'était bien !"

Il ne suffit pas de dire "je pense que". La justice, heureusement, exige plus de nous pour condamner quelqu'un

Thibaud Nicouleaud

Président du tribunal de proximité de Péronne

"On a découvert tous les rôles au sein d'un procès, on ne savait pas forcément à quoi sert le procureur, le greffier, comment les juges délibèrent. On s'est rendu compte que chaque partie est importante" renchérit Aubane. 

 Le droit en pratique 

Faire toucher du doigt la nécessaire complexité de la justice, c'est tout l'intérêt de cet exercice. Après une première présentation du déroulé d'une audience et une répartition des rôles, les élèves ont directement été plongés dans le "grand bain" : l'affaire fictive leur a été présentée entre les murs du tribunal de proximité de Péronne. 

"Ce que je leur demandais de faire, c'est surtout de s'intéresser à ce qu'ils ont dans le dossier, à la procédure et de mettre un peu de côté leurs a priori, ce qu'ils pouvaient penser de tel ou tel comportement, comment ils interprétaient telle ou telle chose dans le dossier, détaille Thibaud Nicouleaud, président du tribunal de proximité de Péronne. Donc vraiment de mettre de côté leur subjectivité, les ramener au dossier et aux preuves. C'est le plus dur dans l'exercice : bien comprendre ce que l'on reproche à la personne, quels éléments sont à charge, c'est un exercice intéressant. Il ne suffit pas de dire "je pense que". La justice, heureusement, exige plus de nous pour condamner quelqu'un."

Ce n'est pas juste quelque chose que l'on regarde, mais des gens qui prennent des décisions.

Sérène Medrano

Bâtonnier d'Amiens

Thibaud Nicouleaud et Sérène Medrano, bâtonnier d'Amiens, accompagnés de Manuella Delignières, directrice du CDAD, ont ensuite travaillé le cas avec les élèves par petit groupe, afin que chacun rentre dans son rôle. Puis direction le tribunal de Saint-Quentin, pour suivre une vraie audience correctionnelle.

 

"Ils ont été tout de suite très investis, posé beaucoup de questions. Après, ça a été des questions sur l'impact sur la vie des gens, on a beaucoup insisté sur le rôle de l'avocat, le fait de défendre son client et se poser des questions dans l'intérêt du comportement de la personne, la récidive, préparer la meilleure plaidoirie" souligne Manuella Delignières. 

"Tout doit partir de l'école"

Sérène Medrano, bâtonnier d'Amiens, ne cache pas son plaisir à participer à cette initiative. "Ça oblige à se projeter, à comprendre que ce n'est pas juste quelque chose que l'on regarde, mais des gens qui prennent des décisions. On sent bien qu'ils ont une appétence pour ces questions et que ce sens de la justice est vraiment important : l'équité, la justice, les équilibres, ils ont besoin de cette confiance et de cet espoir-là, note Sérène Medrano. Je pense que tout doit partir de l'école, à partir du moment où l'on est obligé d'avoir des procès, c'est qu'on a manqué quelque chose."

Pour elle, le processus est un véritable échange qui provoque des remises en questions sur sa pratique, "c'est toujours à la fois intelligent et frais", conclut-elle. Avis partagé par Éric Bramat, président du tribunal judiciaire d'Amiens et du CDAD, qui n'a pas manqué une miette de cette audience fictive. 

Ça s'inscrit dans une politique générale d'acculturation au droit et aux institutions judiciaires. On va être de plus en plus amenés à le faire, dans la mesure du possible.

Éric Bramat

Président du tribunal judiciaire d'Amiens

Pour lui, ces moments servent aussi à expliquer tout ce qui se cache derrière le décorum solennel de la justice. "C'est pouvoir comprendre les raisons pour lesquelles on porte une robe, pour lesquelles le procureur était déjà là et le tribunal rentre ensuite... C'est beaucoup plus facile à comprendre quand on le connaît et qu'on le vit, reconnaît Éric Bramat. Si l'on porte une robe, ce n'est pas forcément pour être "loin", l'habit est l'impartialité, l'avocat porte une robe, car il n'est pas que la cause de son client, il est auxiliaire de justice et participe au processus. Tout un tas de choses peuvent être expliquées par rapport à la configuration des lieux. "

C'est la deuxième fois que cette initiative a lieu à Péronne. "Ça s'inscrit dans une politique générale d'acculturation au droit et aux institutions judiciaires. On va être de plus en plus amenés à le faire, dans la mesure du possible, se projette Éric Bramat. Un programme qui s'appelle "EducDroit" est destiné à favoriser, par la formation des professeurs, l'acculturation des élèves au fonctionnement de la justice en troisième et quatrième. Le garde des Sceaux l'a annoncé en janvier comme l'une de ses quatre priorités." 

En 2025, le CDAD aimerait étendre l'expérience à Abbeville, en plus de Péronne. Dans l'immédiat, ces lycéens, magistrats d'un jour, connaissent maintenant mieux les rouages du tribunal que la plupart de leurs aînés. 

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