Six étudiants de l'UPJV d'Amiens ont réalisé le procès fictif de trois féministes ce mardi 12 mars. C'est à l'occasion des "journées de l'égalité" qui ont lieu du 12 au18 mars et en l'honneur de Gisèle Halimi que l'université de Picardie a organisé ce spectacle.
Nour Trabelsi, est soulagée. Sa cliente vient d'être acquittée. Elle plaidait coupable pour avoir "balancé son porc" sur Twitter sans respecter la présomption d'innocence. À côté d'elle, deux autres accusés sont acquittés, eux aussi. L'un a dégradé une statue de Simone de Beauvoir en la recouvrant d'une photo de Kimberlé Crenshaw, militante féministe méconnue parce que noire selon lui. L'autre a piraté le site de Légifrance pour réécrire la DDHC en écriture inclusive. Bien que très réaliste, ce procès est un faux. Nour est étudiante en deuxième année de droit à l'UPJV.
L'évènement doit permettre aux élèves "de se poser trois questions sur le féminisme et la neutralité du droit, tout en travaillant autour de la figure de Gisèle Halimi", d'après Marine Fleury, chargée de l'égalité femme/homme à l'Université. "C'est une situation réelle d'apprentissage et les élèves adorent", ajoute-t-elle. Les étudiants en droit ne sont pas les seuls à participer. Le master bande dessinée y contribue en illustrant le procès tels des dessinateurs de presse en exercice. Leurs croquis sont projetés à l'écran en direct dès le début de la soirée.
"Nos ennemis sont l'ignorance, l'archaïsme, le patriarcat et l'ordre établi"
Quelques minutes avant le début du procès, Me Marion Mandonnet ajuste les véritables robes d'avocat que portent ses apprentis. Elle leur chuchote : "n'oubliez pas de bien les regarder dans les yeux." À 18h30, tout le monde est prêt. Avant de démarrer, Virginie Le Men, vice-présidente de l'UPJV, adresse quelques mots au public et aux différents partenaires présents : "nos ennemis sont l'ignorance, l'archaïsme, le patriarcat et l'ordre établi".
Ce soir, l'amphithéâtre Condorcet est presque plein. Amis, familles et simples étudiants intéressés sont venus soutenir les camarades de la faculté de droit pour ce premier procès fictif. Accusés et avocats sont joués par des élèves de licence alors que la cour qui guide le débat est, elle, directement venue du tribunal pour l'évènement. En revanche, bien que ce soit un procès en correctionnelle, c'est un jury populaire qui jugera les prévenus : le public.
Un procès plus vrai que nature
Comme pour un véritable procès, de nombreux experts sont là pour éclairer la cour. Ce sont des chercheurs venus de différentes filières et universités. "Le 'on te croit' et la justice pénale sont tout à fait compatibles", explique Mélanie Jaoul, maîtresse de conférences en droit privé à l'université de Montpellier. Elle rappelle aux spectateurs et aux élèves les différences entre culpabilité légale et culpabilité de faits. Une autre experte rappelle que la langue française a autrefois été plus inclusive, notamment parce que les accords d'adjectifs se faisaient par rapport à la proximité avec le sujet, qu'il soit féminin ou masculin.
Pour convaincre, les étudiants redoublent d'inventivité. Ils ont créé des preuves et les projettent dans la salle. Leurs plaidoyers sont troublants de réalismes. "Acquittez-le. Il n'y a pas mort d'homme. Par contre, dans notre quotidien, il y a bien mort de femmes.", s'exclame un avocat. Des lumières bleues, rouges ou jaunes coordonnées avec les propos des participants ajoutent au spectaculaire de l'évènement. Les avocats d'un jour ont convaincu le jury. Tous trois sont acquittés.
Un évènement inspiré par l'héritage de Gisèle Halimi
Très stressée avant le début de la représentation, désormais, Nour se réjouit d'avoir participé au projet." Ce sont des femmes comme Gisèle Halimi qui m'ont poussée dans cette voix. Des femmes qui ont du chien quoi !"
Après trois semaines de répétitions, elle s'étonne tout de même que plus de femmes ne se soient pas impliquées dans l'évènement et conclut "la France a dix ans de retard en matière de féminisme. On dit souvent que les pays nordiques sont en avance, mais c'est nous qui sommes en retard. Le droit à l'avortement garanti, c'est un bon début, mais pas une finalité."