"Lui a payé sa dette à la société, moi j’ai pris perpète" : de l’emprise au procès, le long combat des femmes victimes de violences conjugales

Selon le ministère de l’Intérieur, le Nord et le Pas-de-Calais font partie des départements qui comptent le plus de victimes de violences conjugales. Parallèlement, le nombre de plaintes est en hausse en 2022. Signe que la parole se libère pour les professionnels, même si le chemin pour s’en sortir est encore long.

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"Quand j’ai demandé le divorce, c’est là que les violences se sont amplifiées". La voix rocailleuse et les yeux parfois embués, Isabelle* se remémore cette nuit, dix ans plus tôt, où tout a basculé. "Parce qu’il sentait qu’il me perdait, il n’avait plus de contrôle psychologique sur moi", raconte la quinquagénaire. "Donc il essayait de me faire peur physiquement. Je craignais pour ma vie, j’avais un sale pressentiment."

Après des années de violences physiques et psychologiques de la part de son ex-mari, Isabelle décide de porter plainte. "Mais il n’y a pas de sang, madame", lui dit-on au commissariat. "Pas vu, pas pris". Sidérée, la jeune femme contacte la gendarmerie où on accepte de prendre sa plainte. Une semaine après, Isabelle se retrouve aux urgences. Son compagnon l’a poignardée à trois reprises. Il est condamné à 8 ans de prison.

"On reçoit des témoignages très divers, de tous milieux, beaucoup d’histoires dramatiques et de personnalités détruites, puisque l’objectif des auteurs c’est de détruire leur proie"

Élodie Longavesne, monitrice-éducatrice chez DIANE

7 accueils de jour dans le Pas-de-Calais

"Après le procès, j’ai commencé à revivre, parce que je me sentais en sécurité", dit Isabelle avec un sourire. Aujourd’hui, la jeune femme a retrouvé un emploi et repris peu à peu confiance en elle, notamment grâce à l’accueil de jour DIANE, à Berck. Ce dispositif d’accueil anonyme et d’écoute, créé en 2019, met à disposition des victimes de violences conjugales des assistantes sociales, psychologues ou infirmiers pour les soutenir dans leurs démarches et les aider à sortir de l’emprise. Dans le Pas-de-Calais, on compte 7 accueils de ce type.

"On reçoit des témoignages très divers, de tous milieux, beaucoup d’histoires dramatiques et de personnalités détruites, puisque l’objectif des auteurs c’est de détruire leur proie", explique Élodie Longavesne, monitrice-éducatrice chez DIANE. En 2023, le dispositif a accueilli 84 victimes de violences conjugales. "Notre rôle, c’est de les faire déculpabiliser."

"J’ai commencé à acheter un taser, du gel lacrymo, un système de caméras de surveillance ; je suis entrée dans une hypervigilance. Lui a payé sa dette à la société, mais au final, moi j’ai pris perpète."

Isabelle, victime de violences conjugales

Isabelle en est persuadée, si à l’époque elle avait pu avoir recours à ce dispositif, "tout aurait été différent. Il [son ex-mari] aurait pris conscience que j’étais entourée, épaulée et il se serait peut-être moins permis ces violences", avance la jeune femme. "J’étais un punching-ball de toutes façons. Quand il me frappait, il s’excusait et pleurait, mais il savait très bien que je n’avais personne avec qui en parler."

Même si Isabelle se dit "invincible", l’ombre de son bourreau plane encore sur son quotidien. Ce dernier a bénéficié d’une remise de peine. "Le jour où il a demandé une libération conditionnelle, tout s’est écroulé", raconte-t-elle. "J’ai commencé à acheter un taser, du gel lacrymo, un système de caméras de surveillance ; je suis entrée dans une hypervigilance. Lui a payé sa dette à la société, mais au final, moi j’ai pris perpète."

Aujourd’hui, ce qui fait tenir Isabelle, c’est de pouvoir partager son expérience au plus grand nombre. "Si mon témoignage peut faire bouger quelques femmes, les pousser à quitter cet environnement malsain, ce serait une victoire."  

Un certificat médical pour aider à porter plainte

Face à une justice que certaines comme Isabelle jugent "défaillante", il existe pourtant des solutions. À Lille, Valenciennes ou encore récemment à Arras, il est possible pour les victimes de violences d’être accompagnées au sein d’unités médico-judiciaires (UMJ). Depuis 2015, l’UMJ de Boulogne-sur-Mer propose même aux patients un examen clinique sans passer par un dépôt de plainte.     

"On examine les traces de violences, ecchymoses, plaies, signes de fractures, des marques de strangulation, et on oriente notre examen clinique en fonction des faits qui nous sont racontés", explique le docteur Marie-Odile Pruvost, médecin légiste. "On évalue également le retentissement psychologique, c’est-à-dire comment la personne est impactée dans sa vie personnelle, si elle est angoissée, fait des cauchemars, a des troubles de l’appétit etc."

À l’issue de cet examen, le médecin délivre un certificat médical de constatations coups et blessures, qui sera par la suite remis à l’officier de police judiciaire. Un document précieux qui, selon Marie-Odile Pruvost, fait office de preuve et "donne de la valeur aux témoignages". 

Un accompagnement, 100% pris en charge, qui permet aux femmes de reprendre confiance en elles, et de devenir "actrices de la procédure". Car même en 2024, porter plainte relève encore pour beaucoup du parcours du combattant. "Si on vous vole votre sac à main dans la rue, vous allez au commissariat. Par contre, quand on est victime de violences conjugales, cela touche à l’intimité, à la vie de famille, à la vie de couple, et cela devient difficile de déposer plainte."

"Une gifle, ce n'est pas grand-chose... c'est faux !"

Depuis la création de l’UMJ en 2012 à l’hôpital de Boulogne-sur-Mer, le médecin constate une hausse du nombre de patientes au sein de l’unité. Une hausse qu’elle explique par une libération de la parole des femmes, grâce notamment au mouvement #MeToo et le Grenelle des violences conjugales en 2019. "Ce qui était accepté avant n’est plus accepté aujourd’hui", avance-t-elle. "Des femmes d’un certain âge nous disent encore : une gifle, ce n’est pas grand-chose, mais c'est faux ! Il s'agit bien de violences, après c’est un coup de poing, un coup de pied et on en arrive à l’irrémédiable. Notre travail à nous, c’est de ne pas banaliser les violences."

Le "3919" est le numéro national de référence pour les femmes victimes de violences (conjugales, sexuelles, mariages forcés, mutilations sexuelles féminines, violences au travail). Un numéro gratuit et anonyme, accessible 24h/24 et 7j/7. En fonction de leur situation, les femmes sont orientées vers les associations locales ou nationales partenaires les mieux à même d'apporter une réponse ou un accompagnement.

Pour une mise à l'abri en urgence, composer le 115.

*Le prénom a été modifié.

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