À l'issue d'un vote du Parlement le 4 mars, la France est devenue le premier pays à inscrire de manière explicite la liberté de recourir à l'IVG dans sa Constitution. L'avortement reste pourtant un sujet encore sensible, voire tabou. Deux femmes originaires de la Somme témoignent.
Une femme sur trois a recours à une interruption volontaire de grossesse au moins une fois dans sa vie. Cela signifie que tout le monde a dans son entourage une ou plusieurs femmes concernées, sans forcément le savoir. Car le sujet, qui touche à l'intimité, et parfois même aux convictions politiques, reste difficile à aborder.
C'est justement "pour briser les tabous" qu'Hélène, une femme de 34 ans originaire de la Somme, a décidé de témoigner auprès de France 3 Hauts-de-France. "C'est important en tant que femme de ne pas avoir peur de dire qu'on a eu recours à une IVG. C'est aussi pour moi une libération. Je me sens libérée d'en parler, parce que très peu de personnes de mon entourage le savent", confie-t-elle.
Savoir à qui s'adresser
Son histoire commence en août 2023. Elle est déjà mère de deux enfants, âgés de 7 et 9 ans, quand elle apprend qu'elle est de nouveau enceinte. "Ce n'était pas un projet avec mon conjoint d'avoir un troisième enfant. On s'est retrouvés un peu perdus, parce qu'on ne savait pas ce qu'il fallait faire au niveau des démarches, se souvient-elle. Ce n'est pas une chose à laquelle on pense... J'ai regardé sur internet, mais il y a de tout et n'importe quoi. Est-ce qu'il faut aller au Planning familial ? Est-ce qu'il faut voir un gynéco ? Je n'ai pas trouvé ça hyper facile, surtout que c'est stressant comme situation."
J'ai regardé sur internet, mais il y a de tout et n'importe quoi. Est-ce qu'il faut aller au Planning familial ? Est-ce qu'il faut voir un gynéco ?
Hélène, 34 ans
Un peu perdue, elle prend contact avec une infirmière libérale, qui la redirige vers une sage-femme. Elle obtient alors les numéros de deux centres de santé sexuelle, et prend rendez-vous à celui du CHU d'Amiens. À partir de là, l'intervention a été rapide. Dans ce centre, qui reçoit une douzaine de patientes par demi-journée, 1 167 femmes ont eu recours à une IVG en 2023. Les professionnels de santé sont donc habitués à prendre en charge les patientes.
Hélène a choisi la méthode médicamenteuse, permise en France jusqu'à neuf semaines d'aménorrhée, c'est-à-dire sept semaines de grossesse. Elle a donc dû prendre un premier médicament pour interrompre la grossesse, et un second deux jours plus tard pour provoquer des contractions et expulser l'embryon. Un moment qui peut être difficile pour le corps comme pour l'esprit, alors Hélène a choisi de le vivre à domicile. "Pour moi, ça s'est plutôt bien passé, parce que la grossesse était très récente, donc je n'ai pas eu véritablement de grosses douleurs, c'était au repos, à la maison, dans un lieu familier."
"Physiquement, c'est dur, et émotionnellement aussi"
Aujourd'hui, elle ne regrette pas son choix. Mais l'épisode n'est pas pour autant complètement derrière elle. "On en parle encore avec mon conjoint, on y pense et on y pensera toujours, on ne peut pas l'oublier", admet-elle. Elle se souvient de tous les sentiments qui l'ont traversée. "C'était très compliqué comme choix, parce qu'on se sent coupable. J'ai eu beaucoup de culpabilité par rapport aux femmes qui ont du mal à avoir des enfants. J'avais peur, aussi, parce que c'est l'inconnu. Et j'étais très triste, j'ai pleuré, beaucoup. Il fallait évacuer ce sentiment de tristesse, ça m'envahissait."
Ce n'est pas quelque chose qu'on fait de gaieté de cœur, même si j'étais sûre de mon choix et que je n'ai jamais eu aucun doute.
Julie, 30 ans
Julie, une Amiénoise de 30 ans, a vécu elle aussi des moments difficiles lors de son recours à l'IVG. En avril 2023, elle a déjà une petite fille âgée d'un peu plus d'un an quand elle apprend qu'elle est enceinte. "C'était une grossesse non désirée, et il était clair pour moi que je ne voulais pas la poursuivre", précise-t-elle. Elle aussi a eu recours à la méthode médicamenteuse, à domicile, par le biais du centre de santé sexuelle du CHU d'Amiens. "Je ne vais pas dire que c'est traumatisant, mais ce n'est quand même pas agréable. Ce n'est pas quelque chose qu'on fait de gaieté de cœur, même si j'étais sûre de mon choix et que je n'ai jamais eu aucun doute."
La certitude n'enlève pas pour autant les difficultés qui viennent avec cette décision. "Physiquement, c'est dur, et émotionnellement aussi. En plus, j'ai déjà un enfant, ma fille je l'aime de tout mon cœur, donc forcément, inconsciemment, on se projette un petit peu. On se dit qu'un petit frère ou une petite sœur, ça pourrait être chouette... Mais la raison prend le dessus. J'ai zéro regret, encore aujourd'hui, mais c'est quand même dur émotionnellement."
"On devrait en parler dans les collèges, les lycées"
Si Julie considère que le fait de vivre en France "est une chance" pour les femmes qui ont recours à l'IVG, la situation est encore améliorable. "Il y a cette notion de culpabilité infligée par la société, c'est encore très tabou, c'est toujours considéré comme quelque chose d'égoïste, parce que la femme est censée procréer, elle est censée faire des enfants et aimer ça. Ce côté-là aussi est très pesant."
Pour Hélène, un travail d'éducation reste à faire. "On devrait en parler dans les collèges, les lycées, quand la puberté arrive. Je n'ai pas souvenir d'avoir eu des infos là-dessus quand j'étais plus jeune", regrette-t-elle. Elle note également "un petit malaise, parfois" chez certains professionnels de santé vis-à-vis de l'IVG.
En France, il existe une clause de conscience qui permet aux médecins de refuser de pratiquer les interruptions volontaires de grossesse. Une disposition législative que certaines associations et personnalités politiques souhaiterait voir disparaître, mais la ministre de la Santé Catherine Vautrin a récemment assuré sur France 2 qu'elle ne serait pas remise en cause.
Toutes les informations officielles sur l'IVG sont disponibles sur le site gouvernemental ivg.gouv.fr ou en appelant le numéro vert anonyme et gratuit, 0800 08 11 11.
Avec Gaëlle Fauquembergue / FTV