Droit à l'avortement. Un accès à l'IVG encore disparate dans les Hauts-de-France : "il y a des inégalités territoriales très fortes"

À l'occasion de la journée internationale du droit à l'avortement, la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) a publié les chiffres de l'IVG en France. Si le nombre d'IVG est en hausse dans les Hauts-de-France, il reste inférieur à la moyenne nationale.

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De nombreux médias l'ont relevé : en 2022, le recours à l'IVG a battu des records. Plus de 234 000 avortements ont été enregistrés cette année-là. Si la hausse peut paraître spectaculaire par rapport à l'année précédente (+ 17 000), elle est tout de même à relativiser : la pandémie de Covid-19 et les confinements successifs ont provoqué une forte baisse en 2020 et 2021.

La DREES, rattachée au ministère de la Santé, propose donc une comparaison, plus pertinente, avec le niveau d'avant crise sanitaire, et la différence est moins impressionnante. En 2019, on dénombrait un peu plus de 233 000 IVG en France.

Davantage d'IVG dans l'Aisne

On observe la même tendance dans les Hauts-de-France. En 2022, 18 719 interruptions volontaires de grossesse ont été enregistrées sur l'ensemble des cinq départements, des chiffres comparables à 2019, où on en dénombrait 18 583. À noter par ailleurs que le recours à l'IVG est inférieur à la moyenne nationale.

C'est dans l'Aisne qu'on compte le plus d'avortement en proportion de la population, avec un taux de 14,9 femmes âgées de 15 à 49 ans sur 1 000 y ayant eu recours dans l'année. Le Pas-de-Calais est le seul département de la région avec un taux inférieur à 14 pour 1 000.

"La loi ne s'applique pas partout et pour tout le monde de la même façon"

Mais derrière ces chiffres se cachent une disparité des pratiques en fonction des territoires. D'après le Planning familial, les femmes ne bénéficient pas du même traitement en fonction de leur lieu de résidence. "Il y a des inégalités territoriales très fortes, confirme Véronique Sehier, ancienne coprésidente nationale du Planning familial et désormais membre du conseil d'administration de l'antenne du Nord. Il vaut mieux habiter près d'un grand centre hospitalier que dans la campagne profonde. Et on remarque que ces inégalités pénalisent surtout les personnes les plus précaires et les moins mobiles."

Elle note également que malgré l'allongement, en 2022, du délai légal pour recourir à une IVG, passant de 12 à 14 semaines de grossesse, la loi n'est pas toujours appliquée. "On a enquêté et on s'est rendu compte que sur 30 établissements qui pratiquent l'IVG, 11 seulement respectent le nouveau délai. La loi ne s'applique donc pas partout et pour tout le monde de la même façon."

Des difficultés à faire appliquer les évolutions de la loi

Se pose aussi la question de la méthode d'interruption de la grossesse : elle peut se faire par voie médicamenteuse, avec une pilule abortive, ou par une intervention instrumentale, c'est-à-dire l'aspiration du contenu de l'utérus après dilatation du col.

Le recours à la voie médicamenteuse est en nette augmentation depuis quelques années, et représente aujourd'hui près de 8 IVG sur 10. "Dans certains hôpitaux, quand une femme dit qu'elle voudrait plutôt une IVG médicamenteuse, ou plutôt une instrumentale, on lui répond que ce n'est pas elle qui décidera, mais le médecin, regrette Véronique Sehier. Sans compter l'accueil qui peut être culpabilisant, ou parfois un peu brutal. Par exemple, dans certains endroits, on demande des certificats médicaux qui ne sont pas nécessaires, et on a encore certains médecins qui font entendre le cœur."

Elle plaide à la fois pour une meilleure formation des professionnels de santé qui appliquent l'IVG, et une application effective de la loi Gaillot, promulguée en 2022. C'est ce texte qui prévoit l'allongement des délais, mais pas seulement. "La deuxième chose de la loi, c'est la création d'un répertoire des centres et des médecins qui pratiquent l'IVG, précise Véronique Sehier. Il doit être fourni par l'agence régionale de santé, et ça, on ne l'a toujours pas. Pourtant, ça éviterait à des femmes de faire face à un parcours de la combattante." Enfin, ce texte de loi prévoit également que les sages-femmes puissent pratiquer les IVG instrumentales, alors que jusqu'ici, elles ne pouvaient proposer que l'IVG médicamenteuse.

"Plus on aura de professionnels en capacité de faire des IVG, plus on pourra offrir aux femmes un accès de proximité, et dans de bonnes conditions. Il faut qu'on ait une multiplication des lieux d'accès qui soient des lieux de qualités, avec des professionnels formés."

Véronique Sehier, ancienne coprésidente du Planning familial

Une opposition encore très active

De nombreuses associations féministes plaident par ailleurs pour l'inscription du droit à l'avortement dans la constitution. Véronique Sehier partage cette revendication, car elle craint que ce droit ne soit mis en danger. Au fil des années, elle a vu les opposants à l'avortement évoluer et s'organiser. "On a connu, il y a longtemps maintenant, les mouvements qui s'enchaînaient devant le Planning familial, mais maintenant, les mouvements anti-avortements sont organisés et utilisent internet et les réseaux sociaux en faisant de la désinformation sur des sites qu'ils font passer pour officiels."

Ces méthodes ont d'ailleurs poussé le gouvernement a créé un site officiel d'information sur l'IVG pour éviter que les femmes qui recherchent des informations sur les moteurs de recherche ne soient redirigées vers des plateformes trompeuses. Mais les mouvements opposés à l'avortement ne s'expriment pas que derrière des écrans. "Ils s'organisent au niveau européen, avec des moyens financiers très importants", assure Véronique Sehier. Elle dénonce par exemple les méthode de l'ECLJ, un lobby basé à Strasbourg qui a envoyé une lettre à des députés français en novembre 2022, qualifiant l'avortement d'"acte sanglant" et assimilant l'interruption volontaire de grossesse à un meurtre. À ce courrier était jointe la reproduction d'un fœtus en silicone.

Véronique Sehier espère en finir avec la culpabilisation des femmes qui ont recours à l'IVG. 

"L'avortement concerne une femme sur trois. Ça fait partie du parcours de la vie d'une femme, car aucun moyen de contraception n'est efficace à 100 %."

Véronique Sehier, ancienne coprésidente du Planning familial

Près de cinquante ans après la loi Veil, les mentalités ont tout de même largement évolué en France. D'après une étude de l'IFOP, réalisée en 2022, 64 % des Français considèrent que l'autorisation de l'IVG est "une très bonne chose", contre 48 % en 1995. À noter tout de même que les personnes les plus âgées, particulièrement celles ayant vécu avant la loi Veil, sont plus favorables au droit à l'avortement que les moins de 35 ans.

Pour toutes questions sur les sexualités, la contraception et l'IVG, vous pouvez joindre gratuitement et anonymement le numéro vert 0 800 08 11 11. Vous pouvez également utiliser le tchat du Mouvement français du Planning familial sur le site www.ivg-contraception-sexualites.org

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