Eric Dupond-Moretti a annoncé la répartition des effectifs dans les tribunaux des Hauts-de-France. Un recrutement "historique" de magistrats et greffiers, assure le ministère de la Justice.
Des recrutements en masse, pour réarmer judiciairement le pays. Voilà les mots prononcés par le ministre de la Justice dans un discours au tribunal judiciaire d’Annecy, jeudi 28 mars 2024. Après avoir annoncé l’été dernier le "recrutement net" de 1 500 magistrats et 1 800 greffiers en France, Eric Dupond-Moretti a dévoilé la répartition de ces effectifs tribunal par tribunal.
"On ne peut que se réjouir de ce plan, c'est équilibré. Mais on va voir comment on va le tenir jusqu'en 2027 et que tous les postes annoncés vacants soient pourvus", réagit Diénéba Koné, greffière à la chambre économique de la cour d'appel d'Amiens et déléguée syndicale FO.
Dans le Nord et le Pas-de-Calais, deux départements dans le ressort de la cour d’Appel de Douai, 75 magistrats et 59 greffiers vont être recrutés d'ici à 2027. Au tribunal judiciaire de Cambrai par exemple, 5 nouveaux magistrats vont être affectés, soit 38% d’augmentation par rapport au nombre de magistrats actuellement en poste. À Arras, le nombre de greffiers va augmenter de 18% grâce au recrutement de 7 professionnels supplémentaires.
L’Aisne, la Somme et l’Oise ne sont pas en reste. Le ressort de la cour d’Appel d’Amiens, qui rassemble les tribunaux judiciaires d’Amiens, Beauvais, Compiègne, Laon, Saint-Quentin, Senlis et Soissons, verra le recrutement de 35 magistrats et 53 greffiers.
Une répartition basée sur plusieurs critères, détaille le ministère de la Justice, en premier lieu : l’activité de la juridiction (comprendre le nombre de dossiers). Est également prise en compte la réalité démographique, économique et sociale de chaque territoire. L’objectif de ces recrutements sans précédent : diviser les délais de jugement par deux.
"On nous dit que le plan va permettre de réduire les délais, mais on ne nous parle pas de la qualité de notre travail. On est de plus en plus dans l’ère des statistiques. On parle uniquement d’ETP. Ça pèse sur le moral. Le ministère s’adresse plus au public qu’à nous", s’inquiète Guilaine Lefebvre, greffière au tribunal judiciaire d’Evreux et représentante UNSA pour les cours d’appel de Rouen et Amiens.
Réduire les délais de jugement par deux ? "Irréaliste" selon les magistrats
Derrière les chiffres, la création de ces nouveaux postes répond à un besoin criant dans les tribunaux. "Il s’agit d’une vague de recrutements sans précédent, reconnaît Christophe Bourgeois. Ça fait 30 ans qu’on n’a pas investi dans la justice en France, donc on ne va pas se plaindre". Le conseiller à la cour d’appel de Douai et délégué régional de l’USM, l’Union Syndicale des Magistrats, tient toutefois à nous donner une brève leçon de mathématiques pour ne pas s’arrêter à l’effet d’annonce.
Il prend l’exemple du tribunal judiciaire de Cambrai, qui va accueillir 5 nouveaux magistrats. "Dans cette juridiction, l’effectif théorique est de 15 magistrats, or aujourd’hui, ils ne sont que 13. Avec les 5 nouveaux magistrats, il y aura un bénéfice net de 3. Mais au regard de l’explosion du contentieux que l’on voit au niveau local, on ne pourra pas demander aux collègues sur place en souffrance de faire 2 fois plus de dossiers avec 3 collègues de plus".
Même chose à Beauvais, où le ministère annonce le recrutement de 14 greffiers. "On compte 48 greffiers à Beauvais, dénombre Guilaine Lefebvre. Mais il y a déjà une vacance de postes de quatre personnes et si on inclut les temps partiels, on est en fait à 39 postes. Cela ne fera donc pas 62 postes à temps complet, mais 53".
En toute honnêteté, je dirais que c’est une institution qui tient grâce à l’investissement de son personnel. Les recrutements vont permettre de donner une petite bouffée d’oxygène, mais ça ne réduira jamais les délais par deux. Il faut être réaliste.
Christophe Bourgeois, représentant régional de l'USM
Car c’est bien cet objectif qui froisse le représentant syndical. "Le ministre assure que nous allons réduire par deux les délais de traitement d’ici 2025 grâce à ces recrutements. C’est impossible. Pour y parvenir, il faudrait doubler les effectifs". Dans le Nord et le Pas-de-Calais, on dénombre actuellement 394 magistrats. Si l’on suit le raisonnement de Christophe Bourgeois, il faudrait donc recruter 394 magistrats supplémentaires... bien loin des 75 recrutements annoncés.
"Ils essaient d’écoper l’eau du Titanic avec une petite cuillère, résume Christophe Bourgeois. Dans le Nord Pas-de-Calais, tous les petits tribunaux du ressort sont en souffrance. Les collègues se demandent comment faire plus alors qu’ils travaillent toute la nuit. Chacun se surinvestit parce que les gens attendent les décisions de justice », décrit le magistrat. « Donc forcément, nous sommes contents de voir cette vague de recrutements mais si on voulait vraiment réduire les délais par deux, il faudrait doubler les effectifs".