Grève chez les salariés du Crous : des restaurants universitaires fermés pour demander plus de moyens humains

De nombreux employés des Crous de Picardie sont en grève, vendredi 23 février, pour demander une amélioration de leurs conditions de travail. Des restaurants et des cafétérias universitaires restent fermés en raison de cette mobilisation.

Rassemblés devant le campus du Bailly au sud d'Amiens, des personnels du Crous qui travaillent normalement dans les restaurants universitaires, cafétérias et résidences étudiantes. Vendredi 23 février, ils sont en grève pour protester contre leurs conditions de travail et demander plus de moyens. 

"Le but, c'est que les restaurants et cafétérias soient fermés pour montrer notre mécontentement sur nos conditions de travail", explique Raymond Rivière, représentant syndical Sgen-Cfdt. Les représentants du personnel ont été reçus par la direction le 22 février et les négociations seraient "en bonne voie", d'après le syndicaliste. Des groupes de travail sur chaque revendication doivent être mis en place dès le retour des vacances scolaires. Direction et syndicats s'accordent déjà sur un point, le mouvement de grève s'annonce très suivi.

Une crise des effectifs qui dure

La situation que dénonce la CFDT, syndicat majoritaire au Crous Amiens-Picardie, ne serait pas nouvelle. "Cela fait des années qu'on est en manque d'ETP (ndlr : équivalent temps plein, c'est-à-dire un poste de salarié) au Crous d'Amiens. Il y a eu l'avant-Covid où on a construit des structures de restauration au plus près des lieux d'études, mais on y a redéployé les moyens humains existants, il n'y a pas eu de création de poste, déplore Raymond Rivière. On a usé les personnels jusqu'au Covid, on a dénoncé cela à plusieurs reprises."

Mobilisée, Nathalie Vasseur est agent de service de la résidence universitaire du Bailly à Amiens. Son travail est d'entretenir cuisines, couloirs et halls et de nettoyer les chambres des étudiants lorsqu'ils partent en vacances. "La surcharge de travail, pour nous, c'est lorsqu'on se retrouve seuls, comme pendant ces vacances, déplore Nathalie Vasseur. J'ai dix cuisines à faire, dix couloirs, le bas et les chambres des étudiants partis. Ce n'est pas possible, on n'est pas divisibles."

D'autant qu'elle doit nettoyer toutes ces surfaces à la main, avec des seaux et une serpillère. Son service réclame, au minimum, des autolaveuses pour entretenir les couloirs. "On n'a pas le budget pour acheter le matériel" conclut-elle. 

La restauration saturée 

D'après Raymond Rivière, la situation a empiré depuis la reprise d'activité qui a suivi la crise sanitaire : "la précarité des étudiants a entrainé des décisions gouvernementales, notamment avec le repas à 1 €, donc on a un sureffectif d'étudiants et on ne s'en sort plus."

Un constat que nuance la direction. "Moi, le constat que je peux faire, c’est que l'on retrouve des niveaux d’activité qu’on avait connu avant la crise covid. On arrivait à exercer ces activités avant la crise. Il ne faut pas oublier que depuis 2019, on a eu la création de neuf emplois au sein du Crous, souligne Laurent Potié, directeur du Crous Amiens-Picardie. Je ne nie pas les difficultés liées à la restauration, la fréquentation avec le repas à 1 €. On retrouve petit à petit la fréquentation avant covid, depuis septembre, le niveau est légèrement supérieur à 2019."

Quel que soit son diagnostic, ce n'est pas le Crous qui peut directement faire évoluer ses effectifs. La décision est entre les mains du Cnous, la "maison mère" qui administre au niveau national l'ensemble des 27 Crous de France. Le Cnous a créé 110 équivalents de postes à temps plein (ETP) au niveau national en 2023, la Picardie en a obtenu trois dans ce nombre.

Mais deux d'entre eux ont été dirigés vers les services d'administration, cruellement sous-dotés d'après la direction. La Cfdt aurait préféré obtenir des renforts pour l'activité de restauration. Raymond Rivière rencontrera prochainement la direction du Cnous pour en discuter, "cette grève va me servir à étayer ce mécontentement pour que le Cnous nous délivre des ETP", espère-t-il.

Sur le Bailly, à partir d'une certaine heure, on se retrouve avec un seul veilleur pour trois bâtiments, soit 900 personnes.

Philippe Deroussen

Veilleur de nuit en résidence Crous

Il faudrait d'après lui une vingtaine de postes à temps plein en plus, notamment en restauration et pour les veilleurs de nuit qui travaillent dans les résidences universitaires. "Ils ont réduit les heures des CDD, qui terminent à 1 h 30, donc le veilleur de nuit CDI reste seul de 1 h 30 à 7 heures du matin", souligne-t-il.

Situation que confirme Philippe Deroussen, veilleur de nuit à Amiens. "Nos jeunes sont livrés à eux-mêmes dans des bâtiments de 300 personnes, constate Philippe Deroussen. Sur le Bailly, à partir d'une certaine heure, on se retrouve avec un seul veilleur pour trois bâtiments, soit 900 personnes. Ce n'est pas faisable. Vous êtes dans un bâtiment, vous ne savez pas ce qu'il se passe dans les autres, vous abandonnez deux bâtiments complets."

Des arrêts à répétition

Le ras-le-bol des salariés du Crous se traduit par une augmentation des signalements aux syndicats. "Le chiffre a toujours été élevé au Crous d'Amiens, malgré tout ce que l'on peut faire en prévention, souligne Raymond Rivière. On était à 45 signalements actés en 2023, on est déjà à 10 pour 2024 alors que nous ne sommes qu'en février."

Il s'inquiète aussi de signes d'épuisement au travail : "autrefois, les accidents du travail, c'étaient les nouveaux. Là, ce sont les plus anciens qui se blessent. Il y a beaucoup de congés maladie, pour pouvoir récupérer. Ceux qui restent s'épuisent davantage, attendent le retour des autres pour se mettre en arrêt."

"On essaie de remplacer chaque personne, mais on se heurte à des difficultés de recrutement, admet Laurent Potié. Quand on bâtit notre consommation d’emplois, on réserve toujours un volume pour les remplacements, c’est 5 % à 6 % de nos emplois. Mais pour les arrêts de deux ou trois jours, c’est très compliqué. On est comme tout le monde en restauration, on a du mal à recruter du personnel qualifié."

Notre mission, ce sont les étudiants et on s'occupe de moins en moins d'eux.

Raymond Rivière

Représentant syndical Sgen-Cfdt du Crous Amiens-Picardie

Les revendications de la Cfdt sont nombreuses : évolutions de carrière, revalorisation du quotient familial, primes, horaires, amélioration de la rémunération et égalité entre les statuts. De nombreux types de contrats cohabitent en effet au sein des services, tous dépendent de grilles salariales et de traitements différents. "Le CDD qui est recruté sur un poste permanent et n'a pas de prime, on demande la même prime que les autres" explique Raymond Rivière à titre d'exemple.

Les prestations de la discorde

Un point d'achoppement particulier révèle une forte différence d'analyse entre la direction et les syndicats. Il s'agit des prestations que le Crous réalise pour ses partenaires de l'enseignement supérieur : cocktails dinatoires et autres prestations traiteur, réalisées par exemple pour les enseignants lors d'événements dans les universités.

"C'est une charge supplémentaire sans moyens, déplore Raymond Rivière. On n'a que deux bras, on ne peut pas s'occuper des étudiants aussi. Ce qui nous dérange, c'est que notre mission, ce sont les étudiants et on s'occupe de moins en moins d'eux."

Le représentant syndical n'est pas contre ces prestations qui changent de la routine, mais dénonce l'utilisation des temps de travail annualisés, c'est-à-dire d'heures de salariés en dehors des périodes scolaires pour réaliser ces services.

"On ne va pas faire les heures quand on en a besoin, dans les périodes de grande activité. On va nous faire venir travailler pour d'autres, en prestation exceptionnelle, pendant les vacances pour avoir du monde toute l'année" dénonce-t-il. D'après lui, ces prestations sont utilisées pour compenser la baisse des subventions publiques allouées au Crous.

Une vision que réfute la direction. "L’aide de l’État n’a cessé de progresser et ne cesse de progresser, l’accompagnement est en hausse chaque année depuis la crise Covid, rétorque Laurent Potié. Les prestations exceptionnelles sont quelque chose d’historique, pour valoriser l’action des personnels. (...) Cela permet à nos cuisiniers de montrer leurs savoirs faire. Sur la plupart des sites, ça s’organise avec du volontariat, il y a toujours une compensation en termes de jours de récupération et d’heures supplémentaires."

Ces prestations devraient cependant être réduites lorsque les marchés publics en cours seront terminés : "Ce que disent les syndicats, c’est que comme on a une fréquentation importante, les prestations exceptionnelles doivent être évitées, résume le directeur du Crous. On a un point de convergence là-dessus, la difficulté, c’est que nous avons conclu des marchés publics, donc nous sommes liées contractuellement."

Des divergences qui dessinent de vives discussions à venir. Le Crous Amiens-Picardie emploie 290 personnes, pour 276,5 postes permanents. En 2022, il servait 1 150 000 repas par an et gérait plus de 3 400 lits au sein d'une trentaine de résidences.

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