Dans la résidence étudiante Robespierre, les étudiants se plaignent de nuisibles, de problèmes d’humidité et de chauffages qui ne fonctionnent pas. D’après les militants de la Fédération Syndicale Étudiante (FSE), ce n’est pas un cas isolé. Le Crous se défend de tout manquement.
Un cafard s’échappe de la chambre de Christian, 19 ans, lorsqu’il ouvre la porte. Habitué à la présence des nuisibles, il ne sourcille pas. Cet étudiant étranger en licence d’économie habite dans la résidence Robespierre du Crous (Centre régional des œuvres universitaires et scolaires), à Mons-en-Baroeul. Pour 210 euros par mois, il vit dans l’un des 286 logements de neuf mètres carrés qui composent la résidence.
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Hortense, 22 ans, et Augustin, 21 ans, sont militants à la Fédération Syndicale Étudiante (FSE). Ils font du porte-à-porte pour discuter avec les habitants. Avec les cafards, Christian s’est résigné : “l’insecticide, ça ne fonctionne pas”. Comme lui, tous les étudiants rencontrés par la FSE connaissent des problèmes divers dans leurs logements : du chauffage défaillant en passant par l’humidité ou les punaises de lit.
Quand je dors, parfois, je sens un cafard passer sur moi et ça me réveille.
Abdou-Karimétudiant en ingénierie mécanique
Dans les escaliers, au plafond, on peut voir de grandes traces d’humidité. Les murs des couloirs étroits du quatrième étage sont sales et les portes roses sont délavées. Les étudiants les ont calfeutrées, en dessous, avec des vêtements. Ils cherchent à éviter que le froid et les insectes ne pénètrent leurs logements.
Cafards et punaises de lit dans la résidence Robespierre
C’est ce qu’a fait Thinna, 25 ans. “Je n’arrive pas à dormir tranquillement”, se désole-t-elle. Les cafards l’ont “traumatisée”. Pour s’en débarrasser, elle a dépensé près de 100 euros dans des sprays insecticides depuis le mois de septembre. “J’achète tout le temps des produits, je vais voir les services du Crous pour qu’ils trouvent des solutions”, raconte cette étudiante en master informatique.
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En plus des cafards, sa chambre a été infestée par des punaises de lit. “J’ai dû laver tous mes vêtements à 60 degrés, certains ont rétréci.” Après un traitement effectué par le Crous, elle a au moins pu se débarrasser des punaises… Mais elles risquent de revenir : à quelques portes de là, un de ses voisins nous raconte qu’il en est toujours envahi. Dans le couloir, on peut apercevoir un de ces insectes, mort, dans une lampe murale.
On a beaucoup de résidences insalubres. Sur Lille, je dirais qu’il y a la moitié du parc qui est pourri comme ça.
Hortensemilitante de la FSE
D’après les militants de la FSE, la résidence Robespierre n’est pas un cas isolé. “On a beaucoup de résidences insalubres. Sur Lille, je dirais qu’il y a la moitié du parc qui est pourri comme ça”, affirme Hortense. D’après l’étudiante en Sciences politiques, “la résidence Châtelet, près du métro Cité scientifique, est dans le même état, voire pire”. Et “dans la résidence Kromos’Home, ouverte en septembre 2023, il y a déjà des problèmes de chauffage qui ne fonctionne pas.”
Emmanuel Parisis affirme de son côté que "l'immense majorité du parc est en bon état, même si des programmes de rénovation sont en cours sur les dernières résidences n'ayant pas fait l'objet de réhabilitation par le passé." Il dénonce "une campagne de dénigrement" de la part de la FSE.
Des étudiants internationaux abandonnés ?
Les résidences où il n’y a pas de problèmes, ce sont “les plus chères”, à “400 ou 500 euros la chambre”, affirme Augustin, l’autre militant de la FSE. À Robespierre, c’est deux fois moins cher. Raison pour laquelle la résidence se retrouve “en grande partie réservée aux étudiants étrangers”, assure Hortense. Augustin abonde en son sens : “Comme les étudiants étrangers ont souvent des situations précaires ou un peu compliquées, ils n’ont pas vraiment le choix, donc ils prennent les chambres les plus disponibles et ne rechignent pas à prendre des logements abîmés.” Tous les jeunes rencontrés dans cette résidence lors du porte-à-porte sont en effet des étudiants étrangers.
Emmanuel Parisis précise que "le CROUS de Lille accueille plus de 50 % d'étudiants internationaux" et que les étudiants boursiers sont prioritaires pour choisir leurs logements. De ce fait, les étudiants étrangers se reportent sur ce qui reste : "généralement les chambres avec des sanitaires et/ou cuisines communes", qui sont aussi moins chères.
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Comme les étudiants étrangers ont souvent des situations précaires ou un peu compliquées, ils n’ont pas vraiment le choix donc ils ne rechignent pas.
Augustinmilitant de la FSE
À l’entrée des toilettes, un panneau indique que "les prochains frais de débouchage" des WC seront "à la charge du 4ème étage B". Les étudiants pourraient ainsi être tenus de payer l’entretien des sanitaires des parties communes ? Contacté par mail au sujet de l’état des résidences étudiantes, le Crous de Lille l’affirme pourtant : “aucun débouchage de WC n'est à la charge des étudiants, ils sont communs, les éventuelles incivilités ne sont donc pas identifiables”. Une déclaration qui contredit l’écriteau adressé aux étudiants…
La lutte contre les nuisibles nécessite un strict respect des protocoles (...) Malheureusement, une minorité de résidents ne respectent pas ces consignes et pénalisent alors toute la communauté.
Emmanuel Parisisdirecteur général du Crous de Lille
Sur la lutte contre les nuisibles, le Crous affirme par ailleurs que, dans la résidence Robespierre, “quatre campagnes préventives sont programmées chaque année”. Tous les deux mois, un traitement par pulvérisation est également réalisé “dans tous les logements”, explique Emmanuel Parisis, le directeur général. Face à l’échec de ces opérations, le Crous pointe la responsabilité des étudiants : “la lutte contre les nuisibles nécessite un strict respect des protocoles par les étudiants et un signalement le plus tôt possible en cas d'infestation. Malheureusement, une minorité de résidents ne respectent pas ces consignes et pénalisent alors toute la communauté.”
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La santé mentale et le sommeil des étudiants mis à mal
Ces conditions de vie ont des conséquences sur la santé mentale des étudiants. “C’est ma première année en France, je ne m’attendais pas à ça… Je suis déçue franchement”, raconte Thinna. “Au début, je n’allais pas en cours, je ne révisais pas, ça m’a vraiment déprimée…” Pour quitter la résidence universitaire, elle a décidé de chercher un stage dans une autre ville.
Au début, je n’allais pas en cours, je ne révisais pas, ça m’a vraiment déprimée…
Thinnaétudiante en informatique
Pour Abdou-Karim, 22 ans, c’est le sommeil qui est le plus difficile. “Quand je dors, parfois, je sens un cafard passer sur moi et ça me réveille”, explique-t-il. “Je me lève, j’allume la lumière et ils se cachent.” En plus de ça, l’étudiant en ingénierie mécanique souffre du froid : “Depuis le mois de novembre, je n’ai pas de chauffage. Je suis obligé d’allumer la plaque de cuisson pour chauffer.” D’autres étudiants ont acheté des chauffages d’appoint.
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Du côté du Crous de Lille, Emmanuel Parisis affirme que “des sondes permettent de vérifier que la température contractuelle de 19°C est respectée”. Il nous transmet des relevés de température des deux dernières semaines qui en attestent – et qui vont donc à l’encontre de plusieurs témoignages d’étudiants.
13 millions d'euros pour la réhabilitation
Le directeur général souligne avoir “bien conscience que vivre dans une chambre de neuf mètres carrés n'est pas facile”. Et rappelle les actions entreprises pour améliorer la situation : “nous avons investi plus de 100 000€ dans les espaces communs (..) Par ailleurs, une permanence psychologique se tient une fois par semaine, en soirée, dans cette résidence. Les étudiants ont également accès au service social du CROUS comprenant 20 assistantes sociales.”
La résidence Robespierre est une résidence construite fin des années 70 qui nécessite une réhabilitation lourde qui est désormais programmée.
Emmanuel Parisisdirecteur général du Crous de Lille
Pour la FSE, la solution serait plutôt de “réhabiliter totalement toutes les résidences en mauvais état”. Emmanuel Parisis, du Crous de Lille, le reconnaît : “La résidence Robespierre est une résidence construite fin des années 70 qui nécessite une réhabilitation lourde qui est désormais programmée.” Il indique qu’elle sera fermée progressivement dès la fin de l’année universitaire 2023-2024 et qu’une “réhabilitation complète est programmée pour un montant prévisionnel de 13 millions d’euros.” En attendant, “aucun nouveau résident n'est admis au sein de cette résidence”.