Directeur des douanes à Abbeville, écrivain et poète, c'est en découvrant la première hache paléolithique dans la vallée de la Somme en 1844, que Jacques Boucher de Perthes entre dans la postérité comme l’un des fondateurs de la Préhistoire.
De son vrai nom, Jacques Boucher de Crèvecœur de Perthes est l’un de ces précurseurs qui vont révolutionner la vision de notre passé. En découvrant la première hache paléolithique le 23 juillet 1844, il établit la preuve de l’existence de l’homme antédiluvien, fondant ainsi la Préhistoire.
Un homme de lettres avant tout
Pourtant, qui aurait pu prévoir que cet ancien directeur des douanes à Abbeville, né en 1788, mort en 1868, écrivain, poète, président pendant 30 ans de la société d’émulation d’Abbeville, allait attacher à jamais son nom à l’essor de cette science alors naissante, qu'était la Préhistoire ?
Car Boucher de Perthes voulait d’abord être un homme de lettres, comme l’expliquait en 1988, l’historienne Claudine Cohen à Patrice-Thédy Colleuille, dans l’émission Pour Mémoire diffusée sur France 3 Picardie. "Si on lit la production de Boucher de Perthes en entier, on s’aperçoit que la Préhistoire tient une partie très petite, par rapport à son énorme production littéraire. Il a écrit à peu près 30 000 pages, 60 volumes, dont les antiquités celtiques et antédiluviennes, qui n’en font après tout, que 3. À part ces textes fondateurs de la Préhistoire, il y a toute une masse de romances, de poèmes, de pièces de théâtre. Il en a écrit beaucoup pour le théâtre, c’est surtout pour cela qu’il voulait être connu. À son époque, c’était un genre très célébré et très prisé. Malheureusement, il n’a jamais pu être joué et il a d’ailleurs mis au feu beaucoup de ses pièces".
Un passionné de sciences
Parmi tous ses ouvrages, on ne trouve rien sur l'archéologie primitive avant 1844 (il avait alors cinquante-six ans). Boucher de Perthes n'était ni archéologue, ni géologue, mais il était un passionné de sciences. Au début du XIXe siècle, deux idéologies s’affrontent sur l’évolution des êtres vivants. Il y a les sciences historiques et humaines d’un côté et les sciences de la nature et de la terre, de l’autre. Boucher de Perthes est très tôt sensibilisé à ces deux courants de pensée, par l’intermédiaire de son père, naturaliste. Vice-président de la société d’émulation d’Abbeville, il se lie d’une profonde amitié avec le docteur Casimir Picard qui siège en tant qu'archiviste, au conseil de la société.
"Le médecin est un passionné de sciences naturelles et de botanique, précise Florence Petit, adjointe au maire d'Abbeville, en charge du patrimoine, de la culture et du devoir de mémoire. Et Boucher de Perthes est passionné d'archéologie. Ils fondent ensemble le musée d'Abbeville et du Ponthieu où sont réunis tous les objets d'histoire naturelle et d'antiquités recueillis dans le département".
"Malheureusement, monsieur Picard, atteint de phtisie, meurt en 1841 à l'âge de 34 ans, poursuit Florence Petit. Il laisse derrière lui des découvertes essentielles de ce qui allait devenir plus tard la Préhistoire".
Boucher de Perthes décide de continuer les recherches de son ami.
Ses premières fouilles dans la Somme
Dès 1840, il a participé lui-même, aux fouilles archéologiques. "En 1837, on le retrouve en un lieu connu des Abbevillois, que nous appelons La Portelette, racontait Bruno Bréart, alors conservateur des antiquités préhistoriques de Picardie, dans l’émission Pour Mémoire. À cette époque-là, la ville d’Abbeville entreprend de nombreux travaux. C’est le croisement du canal de transit. Boucher de Perthes va trouver sous huit mètres de tourbe, énormément de vestiges. Des haches polies, beaucoup de céramiques, des ossements de faune, de faune récente puisque nous sommes dans la tourbe".
"On peut considérer qu’en 1837, Boucher de Perthes réalise sa première fouille archéologique, poursuit Bruno Bréart. À l’époque, il attribue tous les vestiges à l’époque celtique. Avec le recul, on peut dire qu'il était en présence de son premier site néolithique, un site très riche".
Dès 1842, quand des outils taillés sont découverts dans la sablière de Menchecourt-lès-Abbeville, Boucher de Perthes substitue la théorie du Déluge au profit d'une théorie des glaciations. Il est le seul auteur à proclamer la haute antiquité de l'homme à l'échelle des temps géologiques.
Ce biface trouvé dans la sablière, sera exposé dans la "galerie de l'histoire du travail" lors de l'Exposition universelle en 1867. Il porte encore le numéro officiel d'un côté et de l'autre l'étiquette de la main même de Boucher-de-Perthes, qui l'offrira, par la suite, à Edouard Lartet.
Sa théorie sur l'origine de l'homme
Deux ans plus tard, Boucher de Perthes s'attaque à un gisement situé boulevard Vauban, appelé le "banc de l'hôpital". Il va y trouver les premières pierres entièrement taillées, et à côté d'une molaire d'éléphant, une hache manifestement ancienne et différente des haches celtiques trouvées jusque-là.
Il en conclut que l'Homme existait déjà à cette époque. Une idée qu'il publie dans son mémoire De l'industrie primitive, commencé en 1840, et qui constitue le premier tome des Antiquités celtiques et antédiluviennes.
Mais ses théories ne font pas l'unanimité. "Le premier soutien, il l'obtiendra de ses collègues britanniques, souligne Bruno Bréart. Ces chercheurs, les plus célèbres géologues et historiens, Sir Arthur John Evans, Hugh Falconer, Joseph Prestwich et le très célèbre Charles Lyell, n'hésitent pas à venir à Abbeville et à apporter leur soutien. Ce qui vaut à l'époque, toute une série d'articles dans le Times". Restait à convaincre les savants parisiens. Il faudra attendre le passage du savant incontesté Albert Gaudry à Saint-Acheul, à Amiens. "Il campera plusieurs jours sur place. C'est-à-dire que là, il n'y a pas de terrassiers. Il fait ses observations et ce qui est important, c'est qu'il va écrire le premier compte-rendu à l'Académie des sciences. 1859, on peut dire que c'est l'acte de baptême de la Préhistoire, ici, à Saint-Acheul, confirmant les recherches de Boucher de Perthes".
Boucher de Perthes publie sa théorie en 1860 et prononce un discours célèbre : "De l'Homme antédiluvien et de ses œuvres", dans lequel il affirme que l'Homme a bien vécu en même temps que certains animaux disparus, tels que le mammouth ou le renne, à une époque antérieure au Déluge.
En voici un extrait : "Que voulons-nous démontrer ? L’ancienneté de la population du sol. Sur quoi établissons-nous notre démonstration ? Sur l’antiquité des objets qu’on y trouve. À quoi mesurons-nous cette antiquité ? À la matière, à l’œuvre et surtout à la position subterranée de ces objets. Dès lors nous admettons une sorte d’échelle de la vie, une superposition de couches formées par les débris des générations et nous cherchons dans chacune de ces couches des indices de l’histoire de ces générations. Les couches les plus profondes nous offriront ainsi les populations les plus vieilles".
Si la même année, sort par ailleurs, un ouvrage fondamental pour les sciences humaines, à savoir, L'Origine des espèces de Charles Darwin, 1863 voit la consécration de Boucher de Perthes, avec la découverte au lieudit du Moulin Quignon, près d'Abbeville, d'une fausse mâchoire antédiluvienne.
La semi-mâchoire humaine controversée
Pour lui et pour les gens de son époque, il était très important de trouver des ossements d'homme fossile. On trouvait beaucoup d'outils mais très peu d'os humains. "Boucher de Perthes a donc employé une méthode, qui avait déjà fait ses preuves auparavant, relatait en 1988, Jean-Jacques Hublin, paléontologue au musée de l'Homme à Paris. Il a offert une prime de 200 francs au premier ouvrier qui l'amènerait devant un os humain dans une carrière. 200 francs était une somme considérable à l'époque, c'était plusieurs mois de salaire pour un ouvrier. Donc, ça n'a pas manqué, en 1863, vers la fin de sa vie, on l'a emmené devant un os de mâchoire humaine, à Moulin Quignon".
Savants français et anglais se déplacent à Abbeville mais très vite, une contestation s'élève de l'autre côté de la Manche : "on a organisé quelque chose d’assez exceptionnelle à l’époque, une sorte de comité scientifique qui a, au jardin des plantes à Paris, examiné la mandibule pour déterminer si elle était fausse ou vraie. La conclusion de cette commission qui s’était déplacée à Abbeville, a été que la mandibule était vraie. Pour la science française officielle, jusque vers la fin du XIXe siècle la mandibule restait une vraie mandibule d’homme fossile, alors qu’en Angleterre, on écrivait qu’elle était fausse".
Pour lever le doute, un nouvel examen par le radiocarbone, de ces restes anthropologiques découverts au Moulin Quignon, sera réalisé en 2016 par le Museum national d'Histoire naturelle. Les conclusions de l'étude confirmera l'erreur de datation, en désignant les cimetières à proximité, comme de "possibles sources d'approvisionnement".
Sa consécration à l'aube de sa mort
Ce qui est sûr, c'est que les théories de Boucher de Perthes, bien que controversées à l'époque, provoquèrent l'engouement des archéologues et marquèrent l'essor des fouilles préhistoriques en France et en Europe. Décoré de la Légion d'honneur en 1863, il meurt cinq ans plus tard, le 5 août 1868.
Dans un testament, il lègue une partie de ses trouvailles au Museum national d'histoire naturelle de Paris et écrit également "vouloir être enterré au cimetière de La Chapelle à Abbeville, léguant la somme de 10 000 francs afin d'élever un monument funéraire 'simple mais durable", précise Florence Petit dans un blog. L'œuvre du sculpteur Nadaud laisse apparaître sur son socle les armes de la famille de Boucher de Perthes et les titres de ses œuvres gravées dans la pierre.
Avant sa mort, Boucher de Perthes donne de grosses sommes d'argent à des fondations de bienfaisance et transforme sa maison en musée pour la confier à la ville d'Abbeville, à condition que tout reste en l'état pendant cent ans.
En 1908, la société d'émulation d'Abbeville, qui existe toujours, lui rend hommage en faisant ériger une statue en sa mémoire, place du pilori. Faite de bronze, elle sera enlevée par les Allemands, pour être coulée à Berlin.
Les Antiquités celtiques et antédiluviennes est toujours considéré comme l'un des ouvrages fondateurs de l'archéologie préhistorique.