La gare du Tréport-Mers-les-Bains a fêté ses 150 ans cette année. De la villégiature bourgeoise de la fin du XIXe siècle aux congés payés des ouvriers, la station balnéaire a vu passer toute sorte de vacanciers. Retour sur l'histoire de la ligne ferroviaire qui a été au centre du développement économique des villes sœurs.
C'est la révolution du XIXe siècle : l'arrivée du train a bouleversé l'économie du pays ainsi que les modes de vie. À cette époque bien sûr, le tourisme est réservé à une classe très aisée, et on est encore loin du tourisme de masse qu'on connaît aujourd'hui sur les littoraux français. Mais c'est déjà suffisant pour transformer les villes côtières.
Un train pour profiter des bains de mer
Au début du XIXe siècle, Mers-les-Bains est un village agricole, et le Tréport vit essentiellement de la pêche. Cependant, leur situation géographique et leurs paysages attirent déjà. "Les gens ont commencé à venir en villégiature dans les années 1840 au Tréport, puis à Mers-les-Bains vers les années 1860. Des Parisiens voulaient déjà acheter des terrains à des prix plus intéressants que les locaux", explique Maïté Penna, membre de l'Association des propriétaires, résidents et intéressés par Mers-les-Bains (APRIM). Mais le trajet depuis la capitale se fait en diligence, et il est long, très long. Vient alors l'idée de créer un chemin de fer. "Le premier document que j'ai trouvé à ce sujet remonte à 1966, c'est une lettre du sous-préfet", explique l'ancienne guide touristique.
La gare ouvre finalement ses portes pour la première fois en mai 1872. C'est d'abord un tout petit tronçon d'une quinzaine de kilomètres qui voit le jour : il relie les villes sœurs à la gare de Longroy-Gamaches. C'est grâce à ce tronçon que les Parisiens pourront enfin rejoindre Mers-les-Bains par le train. Depuis la capitale, ils pourront rallier Amiens, puis Gamaches, et enfin utiliser cette toute nouvelle ligne jusqu'à la côte. Il faut alors compter environ 5 heures pour la totalité du voyage.
Dix ans plus tard, le trajet se fera plutôt par Abbeville, et sera plus rapide. "La bourgeoisie parisienne arrive par les trains de plaisir, avec des tarifs attractifs. Les vacanciers viennent le week-end, et les femmes restent en villégiature quand les maris retournent travailler", explique Brigitte Troquet, la présidente du comité de sauvegarde des lignes ferroviaires du Tréport-Mers.
Depuis plusieurs décennies déjà, les médecins vantent les bienfaits thérapeutiques des bains de mer. Et les villes sœurs bénéficient désormais d'un atout de taille pour attirer les Parisiens, que l'on peut lire sur les affiches : "trajet de Paris en 3h et demi".
Le territoire change de visage
Dès 1884, Le Figaro note dans son édition du 11 août : "Alors que certaines stations attendent le touriste ou le baigneur, les hôtels regorgent au Tréport, les maisons font défaut et le besoin d'élargir la plage et de faire des constructions nouvelles se fait plus que jamais sentir." À peine plus de dix ans après la mise en service du train, le journal parle déjà de l'augmentation du prix de l'immobilier dans les deux villes. "Ceux qui achètent sont des rentiers, de riches industriels, ou des professions libérales comme des architectes, des médecins, des pharmaciens et des notaires", précise Maïté Penna, de l'Association des propriétaires, résidents et intéressés par Mers-les-Bains.
"Mers, qui était un tout petit village, explose à ce moment-là. Elle va devenir une belle station balnéaire", ajoute Brigitte Troquet. C'est tout un quartier dédié à la villégiature qui voit le jour, et il existe toujours aujourd'hui, avec ses 600 villas. "C'est incroyable la vitesse à laquelle tout s'est construit !"
D'année en année, la population ne fait qu'augmenter, transformant le territoire et son économie. "Mais c'est aussi le cas dans les alentours. À Mesnil Val, par exemple, de belles maisons apparaissent à ce moment-là, on les rejoint en autobus depuis la gare de Mers-Le Tréport, puisque ce n'est qu'à quelques kilomètres. On construit aussi en haut des falaises et le funiculaire est installé pour y accéder."
Là-haut, on trouve aussi un endroit pour les enfants. "Dès la fin du XIXe siècle, une colonie scolaire est construite par le département de la Seine, on y envoie des enfants parisiens pour profiter de l'air iodé et des bains de mer", explique Maïté Penna. "L'été, la population triple, mais il y a aussi beaucoup de personnes qui ont désormais des résidences secondaires et qui viennent toute l'année, pour passer les week-ends par exemple."
Un coin de paradis pour les touristes, qu'on appelle alors les "baigneurs"
Dans un guide touristique du début du XXe siècle, on peut lire que la vue depuis les falaises est "un des plus admirables panoramas qu'il soit possible de rencontrer", et qu'au pied on trouve "une rangée de belles villas" et un "somptueux casino tout récemment construit".
Un tramway permet de rejoindre facilement Eu pour des excursions en forêt, on peut aller au casino ou au théâtre, participer aux fêtes nautiques ou encore profiter des superbes paysages. Autant d'activités rendues possibles par les "trains de plaisir" et leurs tarifs attractifs.
"Sur une carte postale du début du siècle, il est indiqué que le 14 août 1904, 10 000 personnes arrivent par le train ! C'est énorme", indique Brigitte Troquet.
Mais cet essor fulgurant ralentira à l'aube de la Grande Guerre. "À partir de 1912, les terrains se vendent moins bien, il y a moins d'acheteurs et les prix commencent à baisser", explique Maïté Penna. "Puis avec la guerre, tout est arrêté." Des soldats anglais y sont positionnés, l'hôtel qui vient d'être construit sur la falaise est réquisitionné et transformé en hôpital militaire, un camp d'entraînement de chars est construit, et des réfugiés belges sont accueillis à Mers-les-Bains.
Après-guerre, les baigneurs reviennent, mais l'essor est tout de même freiné. "Ça ne repart pas tout à fait comme avant. Certains ont vendu leurs maisons, d'autres continuent de venir, mais la population change un peu, ça devient très familial", précise-t-elle.
La gare Le Tréport-Mers, symbole des congés payés
Pour autant, les villes sœurs n'ont pas dit leur dernier mot. Les années 30 arrivent, et avec elles, les premiers congés payés, instaurés en 1936. À cette époque, près de 80% des Français n'ont jamais vu la mer. Les ouvriers vont enfin pouvoir la découvrir. "Les trains sont bondés, et ce sont maintenant les classes populaires qui arrivent, confirme Brigitte Troquet. Les maisons étaient louées aux familles populaires d'Île-de-France, ce qui a permis peut-être aux familles assez pauvres du Tréport de mieux vivre. Ce que j'ai entendu dire, sans pour l'instant trouver quelque chose pour le corroborer, c'est que les pêcheurs du Tréport louaient leurs maisons l'été et vivaient dans leurs caves." C'est aussi à ce moment-là que certaines villas sont divisées en appartements.
Le 7 août 1938, Le Journal titre : "En suivant les congés payés : au Tréport submergé par une foule gouailleuse et bon enfant". Le reporter décrit la foule de travailleurs venus avec leur famille profiter des vacances. "De bourgade en bourgade, j'étais ainsi arrivé au Tréport, qui, plus peut-être que tout autre, est la plage des Parisiens de condition moyenne qui recherchent une station proche de la capitale. [...] Les premiers trains du matin avaient déjà déversé leur contingent de baigneurs. Des groupes se formaient ça et là dans le remous de la foule, des gens faisaient connaissance ou se rappelaient les souvenirs de l'an passé."
Pour quinze jours, le faubourg de Paris, sa gouaille à peine appuyée, sa blague qui ne veut pas être méchante, s'installait à la plage.
Stéphane Faugier dans "Le Journal" du 7 août 1938
La ligne est un tel symbole que la CGT choisira d'y affréter un train spécial pour fêter les 50 ans des congés payés, en 1986. Une "Esplanade des Congés Payés" sera même inaugurée au Tréport.
L'engouement dure plusieurs décennies. Mais à partir des années 70, les Français ont quatre semaines de congés payés, soit deux fois plus qu'en 1936, et les côtes normande et picarde perdent un peu de leur attractivité au profit du littoral méditerranéen. "Les vacances deviennent très populaires, et la voiture aussi. À partir de là, les vacanciers descendent dans le sud de la France par l'A7. La Normandie n'était pas vraiment réputée pour le soleil, donc les gens la délaissent", analyse Brigitte Troquet.
La mobilité, un enjeu très actuel
Petit à petit, la fréquentation de la gare diminue. À la fin des années 80, une partie de la ligne est menacée de fermeture. C'est à cette occasion que le comité de sauvegarde des lignes ferroviaires Tréport-Mers est créé. "Le train n'a jamais été rentable. Et avec un train toutes les trois heures, ce n'est pas la population locale qui utilise cette ligne, explique Brigitte Troquet. Ce sont les vacanciers qui la font fonctionner, donc quand ils délaissent le coin, il y a de moins en moins de monde dans les trains." La ligne sera finalement maintenue grâce à la mobilisation de l'association des élus locaux.
En 2018, les lignes Le Tréport-Beauvais et Le Tréport-Abbeville ont fermé pour d'importants travaux de rénovation et d'aménagement. La première a rouvert en 2020, mais pour la deuxième, on ne connaît pas le calendrier. À l'heure où la mobilité douce est un enjeu de taille, il y a urgence. "Aujourd'hui, on met autant de temps qu'au début du XXème siècle pour faire Paris-Le Tréport, ce n'est pas normal. On se bat pour avoir de meilleurs horaires et une meilleure desserte, pas que pour le tourisme, mais pour toute la vallée, pour les locaux."
D'après Brigitte Troquet, cette problématique de la mobilité participe au départ de certains habitants. En effet, depuis le début des années 80, le Tréport et Mers-les-Bains ont perdu, à elles d'eux, plus de 3 000 habitants. "Depuis dix ans, 10% de la population est partie. Les jeunes ont besoin de transports pour aller étudier. Et puis nous n'avons pas de médecins, il faut souvent rejoindre Abbeville ou Amiens pour se faire soigner, notamment chez les spécialistes. Entre le prix de l'essence, et le vieillissement de la population, on conduit de moins en moins, et le train serait très important."
Sans compter la volonté de certains Franciliens, depuis la pandémie, d'acquérir un logement dans l'une des villes sœurs. "Ils ont acheté une résidence pour venir télétravailler, mais ils vont avoir besoin de faire des allers-retours à Paris pour le travail", ajoute Brigitte Troquet.
Le train suivra-t-il l'évolution des modes de vie, tout en permettant de maintenir l'attractivité touristique ? C'est ce qu'espère le comité de sauvegarde des lignes ferroviaires. L'économie du territoire en dépend encore aujourd'hui. À Mers-les-Bains, d'après l'INSEE, près de 47% des logements sont des résidences secondaires, et près des trois quarts des entreprises sont dans le secteur du commerce, des transports et des services.