Passionnante et passionnée, Hafida Khorsi-Cauet est professeure en microbiologie, biologie moléculaire et cellulaire à l’UFR de médecine de l’Université de Picardie Jules Verne d’Amiens. Un parcours incroyable réussi grâce à ses parents et à la vie qui a mis sur son chemin les bonnes personnes. Voici la belle histoire du jour.
Nous sommes en mars 1976. Hafida a 11 ans quand elle arrive en France. Elle ne sait ni lire, ni écrire. Son papa, d’origine marocaine, après avoir travaillé en Arabie saoudite et en Allemagne, est nommé à Amiens. Il décide de faire venir son épouse et leurs enfants, pour enfin vivre en famille. "Moi qui pensais qu’il faisait froid en Picardie, nous sommes arrivés l’année de la sécheresse et de la canicule… (rires)".
L’école est obligatoire en France, la petite fille se retrouve dans une classe de primaire avec d’autres enfants de tous horizons, dans le but d’apprendre le français. En septembre, elle entre en 6ème. "La réussite, c’est un tout ! Les bonnes rencontres, l’éducation reçue, les parents. J’ai la chance d’avoir reçu tout cela".
Nous parlions beaucoup et papa nous disait : "Faites des études, je vendrai ma chemise s’il le faut, mais étudiez !"
Hafida Khorsi-Cauet
Elle pense notamment à un couple d’enseignants, lui était professeur de mathématiques et faisait les activités manuelles, comme la cuisine par exemple : "On préparait des gâteaux pour le goûter de la classe, et il nous apprenait les proportions en pratique ! C’était beaucoup plus facile à comprendre et mémoriser ! Il savait quoi faire pour nous donner de l’appétence pour les maths".
Son épouse enseignait le français et l’histoire-géographie. "Pour passer mon diplôme national du brevet des collèges, j’ai tout appris par cœur !". Leur fille était la voisine de classe de Hafida et la corrigeait lorsqu’elle se trompait en français. Ces enseignants ont pris sur leur temps et lui ont, chacun, consacré quatre heures par semaine pour la faire progresser. "Pour moi, tout était nouveau ! Ma bête noire, c’était la dictée".
Hafida n’oublie pas non plus la complicité avec son père : "J’ai quatre petits frères et quatre grands frères. Papa exigeait que tous les jours, nous soyons rentrés à 19h à la maison. Nous parlions beaucoup et il nous disait : « Faites des études, je vendrai ma chemise s’il le faut, mais étudiez !".
Un papa qui la pousse à poursuivre ses études, et quand après le bac, Hafida est admise en médecine, son père est le plus heureux des hommes ! Et sa maman y est pour beaucoup aussi. Elle ne parlait pas le français, mais soutenait sa fille à sa manière, en étant présente à ses côtés lorsqu’elle révisait, lui amenant de bons petits gâteaux faits maison et du thé pour les longues nuits de travail.
À l’époque, elle s’imagine bien travailler dans un laboratoire, comme technicienne par exemple. Une autre belle rencontre lui dit après un stage dans un laboratoire : "Je t’ai beaucoup observée, tu peux aller bien plus loin…".
L’apprentissage est perpétuel dans nos métiers. J’apprends tous les jours. Chaque découverte nous enseigne qu’il faut chercher ailleurs, que parfois une recherche peut entraîner de nombreuses pistes de nouvelles solutions !
Hafida Khorsi-Cauet
C’est là que débute l’aventure pour le doctorat. Guidée par les mains qui se tendent vers elle, elle rencontre le professeur Gilles Duverlie. Il travaille, comme beaucoup à l’époque, sur ce nouveau virus apparu sur la planète, le V.I.H (le virus du Sida). Il lui dit alors : "Il y a un virus mal connu, celui de l’hépatite C. Seul un scientifique japonais travaille dessus. Es-tu prête à relever le défi ? À travailler sur ce virus 24 heures sur 24 ?".
Comme Hafida n’est pas du genre à lâcher prise et qu’elle a la force et le tempérament pour relever un défi, elle y va ! Elle soutiendra sa thèse de doctorat en 1999 : "Variabilité génétique et mécanismes moléculaires de résistance à l'interféron du virus de l'hépatite C de génotype 1b : étude de l'interaction entre les protéines NS5A et PKR". J’avoue, c’est un peu compliqué à suivre pour nous qui ne sommes pas scientifiques !
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Malgré ses nombreuses années d’étude, elle nous confie que "l’apprentissage est perpétuel dans nos métiers. J’apprends tous les jours. Chaque découverte nous enseigne qu’il faut chercher ailleurs, que parfois une recherche peut entraîner de nombreuses pistes de nouvelles solutions !".
Pesticides dans nos assiettes, quelles conséquences?
Elle démarre sa carrière en bactériologie. Aujourd’hui, elle est en microbiologie. Justement, parlons de microbiote intestinal, car c’est son domaine de recherches actuellement. Il regroupe des milliers de milliards de micro-organismes qui vivent dans l’intestin. Ils sont indispensables pour notre santé mais des éléments extérieurs peuvent les perturber, les faire muter.
Jusqu’en 2020, certains insecticides étaient répandus sur nos territoires (Hauts-de-France), jusqu'à 13,4 tonnes par an. Interdits depuis, quels sont encore aujourd’hui leurs effets ? "Ils n’ont pas disparu de nos terres, avant, on pensait qu’une forte dose était la dose toxique. Aujourd’hui, on se rend compte des effets néfastes dus à l’accumulation de doses faibles mais régulières dans l’organisme."
C’est donc sur le chlorpyrifos qu’elle se penche avec son équipe. "Quand on regarde les Hauts-de-France, nous sommes en rouge pour les pesticides, en rouge pour les maladies inflammatoires chroniques, en rouge pour les cancers. Il n’y a pas que le régime alimentaire qui est responsable de tout cela ! Les pesticides également, il y a forcément un lien."
Un chercheur doit être honnête, il ne doit pas porter de jugement, essayer au contraire d’apporter des solutions.
Hafida Khorsi-Cauet
"Comme on ne tue pas un animal pour rien, nous avons créé un intestin artificiel au labo. Il mime tout ce qui se passe de l’estomac au colon, dans le tube digestif". Cela leur permet de travailler sur l’impact chimique, physique, des pesticides. De découvertes en découvertes, les travaux de notre spécialiste et de son équipe ont bien avancé et démontré les répercussions sur l’organisme.
Il y a maintenant trois intestins artificiels dans le laboratoire de recherche. Ce qui permet de faire des comparatifs. Pour rester simple dans les explications, l’un mange des fibres (extraits de racine de chicorée car Hafida est attachée aux cultures des Hauts-de-France), l’autre des pesticides (un cocktail de trois), et le troisième des fibres et des pesticides. "Un chercheur doit être honnête, il ne doit pas porter de jugement, essayer au contraire d’apporter des solutions. Je vous ai montré les résultats, maintenant je propose des stratégies. Quand on mange des fibres, les bonnes bactéries augmentent."
Il a été démontré, que lorsque l’équilibre microbiotique de l’intestin est perturbé, une petite "porte" s’ouvre et libère dans l’organisme des bactéries qui vont toucher le foie, la rate, les reins, mais aussi le cerveau. Dans le cas de la femme enceinte, qui est le point départ des recherches sur l’impact des pesticides, force a été de constater que ce déséquilibre des microbiotes traversait aussi la barrière placentaire.
Cette étude, qui est loin d’être terminée, ouvre de nouveaux horizons pour lutter contre l’obésité (dans certains cas), des maladies telles que l’endométriose dont souffrent beaucoup de femmes dans le monde, la stérilité, voire la dépression. Car tout est lié et l’on sait maintenant que l’intestin est notre deuxième cerveau. Après avoir travaillé sur lien de l’intestin au colon et aux organes génitaux, voilà à présent Hafida et son équipe en train de travailler vers le haut : de l’intestin au cerveau, "Le dialogue des bactéries entre les deux".
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Chercheuse, enseignante, mais aussi actrice de la transmission
Hafida Khorsi-Cauet est aussi depuis 2014 déléguée à la réussite étudiante. "Ce n’est un secret pour personne, nous manquons de médecins, de spécialistes. Certains jeunes qui vivent loin des grandes villes, dans les quartiers dits défavorisés, se disent que ce n’est peut-être pas pour eux ces études, alors, nous allons les chercher et nous les accompagnons !". Avec les Cordées de la Santé, cela commence au lycée. Un vrai accompagnement est réalisé, avec des tuteurs. "Avec le PREL, programme régional d’études longues, la prise en charge et l’accompagnement sont faits jusqu’à ce qu’ils deviennent généralistes !". (Un tuteur pour 3 à 10 étudiants maximum).
Échanger, partager, transmettre, c'est dans sa nature. "C’est un besoin, dans la vie il faut donner ! Mon père disait toujours, donne et n’attends rien de personne". Son vécu fait qu’elle a envie de transmettre, de tendre la main vers les autres. "Quand on veut s’orienter dans les métiers de la recherche, il faut vraiment aimer cela ! Et aussi être optimiste ! Si on ferme la porte devant vous, passez par la fenêtre ! Il y aura des projets d’études refusés, il faut s’accrocher, trouver des projets d’études nationaux, internationaux. Des thématiques riches et originales, à nous de relever le défi ! Il faut toujours garder les yeux et les oreilles ouverts. Aujourd’hui, les microbiotes, tout le monde s’y intéresse !".
Un parcours impressionnant pour la petite fille qu’elle était, devenue une femme incroyable, une épouse comblée et une maman heureuse "J’ai quatre enfants, trois garçons et une fille. Les aînés, des jumeaux, ont 25 ans. Lanis est en 6e année de dentaire et Damien en 6e année de médecine. Puis viennent Inès, 21 ans, en alternance en commerce et enfin Sofiane, 19 ans, en CPGE MPSI (en prépa Science de l'Ingénieur en maths/physique), trois sont scientifiques comme leurs parents !"