Matthieu Duclercq vend, accorde et répare des pianos à Abbeville dans la Somme. Il a rencontré la musique enfant sur un harmonium. Toujours un sourire aux lèvres, il imagine sans cesse des projets fous. Comme lorsqu'il a joué du piano au milieu de la baie de Somme, lors de la Transbaie 2019.
Aujourd’hui, j’ai rendez-vous avec Matthieu Duclercq ! Cette phrase sonne dans ma tête depuis mon réveil. Le genre de choses qui vous met de bonne humeur pour la journée. "Aujourd’hui, j’ai rendez-vous avec Matthieu Duclercq !"
Révélation musicale sur un harmonium
Je le retrouve dans son magasin de pianos à Abbeville sous une pluie battante et glaciale. Matthieu ne fait pas la bise ni ne sert la main. Il vous fait direct un "hug" (du bout des bras façon covid) qui vous réchauffe immédiatement. La chaleur, c’est son truc et il aime encore plus la transmettre avec son piano. Il en a toujours un à ses côtés... Y compris lors de notre entretien pendant lequel je découvre sa vie qui ressemble à School, la chanson de Supertramp.
Matthieu est un Abbevillois. Pure souche. Né dans le quartier de Menchecourt le 1er décembre 1960, il découvre à 7 ans le son d’un harmonium. Cet instrument un peu désuet qui ressemble à un petit orgue ancien en bois. Pas le genre de son qui reste dans la tête... Sauf pour Matthieu pour qui c’est une révélation et l’un de ses premiers souvenirs d’enfant. D’autant plus que son oreille lui donne cette chance de pouvoir jouer sans partition. Très vite, il est capable de jouer l’Hymne à la joie... En culotte courte.
Une famille joyeuse
La joie, c’est d’ailleurs l'ambiance qui règne dans la famille. Ses deux parents tiennent une librairie. Il est le cinquième d’une fratrie de six ! Son père prend très vite du gallon est devient président de la chambre de commerce à Amiens. Matthieu récupère l’énergie paternelle et la chaleur farfelue de sa maman.
Son père, qui aurait eu 100 ans cette année, décède l’année dernière et sa mère il y a quelques jours seulement... Le 21 janvier 2021.
Pourtant, malgré le deuil, sur son visage, il y a des rides de sourires qui se dessinent. Matthieu est capable d’avoir des larmes dans le cœur qui n’atteignent jamais les yeux. Il me montre alors un film en Super 8 de sa mère en train de chahuter avec ses enfants: "Regarde-là comme elle est belle, ma mère".
Un groupe avec ses copains
Dans la famille tout le monde jouait de la musique. Lui, on lui apprend le piano donc. Mais le mot "apprendre" ne convient pas. "Il fallait que j’aille en cours ça ne me plaisait pas. Je ne travaillais pas donc je ne suis jamais allé très loin". Même à l’école Matthieu est ce qu’on peut appeler un cancre. Il le dit lui-même, non sans une certaine ironie... "Moi, c’était la musique, les scooters, les boums... Et les copains". Ah ça les copains dans sa vie, on sent assez vite que c’est dans son ADN.
D’ailleurs, après des études de commerce bâclées à Paris et un service militaire raccourci, c’est aux copains qu’il consacre son temps. "On a créé un groupe qui s’appelait les 7, rue de l'infini". Imaginez les 400 coups. Sept garçons lâchés sur les routes de la région à jouer dans des bals, des concerts improvisés et même à la radio... La belle époque où la vie pouvait s’imaginer comme ça à l’infini.
C’était sans compter sur ses parents qui avaient les pieds sur terre quand lui les avait dans le tourbillon de la vie. "Ils estimaient qu’on ne pouvait pas vivre comme ça et que ça ne nous ferait pas manger". Rêve brisé. Ce sera son plus grand regret.
Accordeur des pianos d'artistes
Le voilà donc parti dans la vie avec un autre rêve : celui de devenir indépendant ! Pas professeur de musique, c’est trop déprimant et trop triste. Pas musicien puisque "on-ne-peut-pas-vivre-de-ça". "En plus dans ce milieu soit tu es le meilleur soit tu es dans le ventre mou de la pyramide d’artistes, et comme je ne travaillais pas assez, j’ai vite renoncé". Son choix se porte donc sur les pianos. Accordeur et réparateur.
Je lui demande pourquoi. Immédiatement, il se lève pour toucher celui qui est à nos côtés. D’après lui, c’est un métier où l’on a une vraie sensibilité tactile avec l’instrument. "Quand je vais chez les gens parfois ils sont tristes et discrets sur leur vie. Moi, je suis le médecin de leur piano alors ils se confient. Et deviennent beaucoup plus souriants quand je repars !"
En plus, pas fou le Matthieu, il sait très bien que ça lui permet de rencontrer du beau monde. Abbeville n’est pas une ville de tournée obligatoire pour les artistes mais ils sont quand même nombreux à être venus ici avec leur piano. Matthieu était souvent l’homme de la situation : un accordeur 100% local disponible en un instant. Juliette Gréco, William Sheller, Georges Moustaki ou Yves Duteil... Lui est trop timide et impressionné pour échanger avec eux. Contraste immense avec ce personnage haut en couleur qui semble à l’aise en toutes circonstances.
Drôle et farceur
"Le piano, c’est pas juste un meuble ! C’est un instrument de bien être." Il m’explique qu’au 19e siècle l’image du piano était très bourgeoise et réservé à une élite. Puis, au fil du temps, c’est devenu plus accessible mais pas encore assez. Et c’est là qu’arrive ce qui est un but pour lui dans la vie : partager la musique à travers le piano.
Et pour y parvenir, comptez sur lui pour les bonnes idées. C'est ainsi qu'il décide d’aller souhaiter la bienvenue au printemps en jouant toute une journée dans des endroits inattendus : la gare d’Abbeville et son train de 5h40, Pôle Emploi, l’hôpital, à la sortie d’un lycée, dans une maison de retraite... Ou encore à la Poste.
Une fois, l’envie lui a pris d’aller jouer "la Truite" de Schubert dans une poissonnerie un 1er avril. Mais son coup de maître, c'est lors de la Transbaie 2019 lorsqu'il dépose son immense piano à queue en pleine baie de Somme pour accompagner les 8000 coureurs de l’épreuve :
Quant à ses enfants - Eloi, Jeanne et Louise qu’il a eus avec Sylviane - imaginez combien la musique peut désormais compter pour eux. Jeanne, 28 ans aujourd’hui est maintenant chanteuse. Il se souvient être allé la chercher sans la prévenir à la sortie du lycée pour l’emmener chanter dans le métro à Paris. Vous devinez bien les souvenirs que ça peut laisser dans l’esprit d’un ado.
Sa force, c’est son sourire. Son humour est son arme qu’il utilise pour ce qu’il déteste le plus : entendre les gens se plaindre.
Alors désormais il pense à sa succession. Son magasin de pianos à Abbeville - 35 pianos vendus cette année quand même - cherche repreneur. Quelqu’un à qui il pourrait transmettre cet amour du contact et ce dévouement total à l’instrument.
Et après ? "J’aimerais voyager avec mon piano. Traverser l’Atlantique par exemple..." Seul ? "Non avec mes copains".
Comme par hasard...