Le portrait de la semaine : Maurice Bigot, 75 ans, charcutier à Pierrefonds, optimiste invétéré et travailleur acharné

C'est une institution à Pierrefonds dans l'Oise. La charcuterie de la place de l'hôtel de ville, comme son propriétaire, Maurice Bigot. Installé depuis les années 70, cet homme droit, optimiste et volontaire continue, à 75 ans, de travailler et de former des apprentis avec rigueur et bienveillance.

La première chose qui vous frappe lorsque vous rencontrez Maurice Bigot, c’est d’abord sa voix. Dans l’arrière-boutique de sa charcuterie de Pierrefonds dans l'Oise où il me reçoit, sa voix résonne. Elle est grave, concise et ferme. Le genre de voix qui ne trahit pas et qui vous donne à réfléchir dès qu’une phrase est formulée. Car le sens de la formule, il l’a en lui, Maurice Bigot. Pas pour faire joli mais parce que c’est sa façon à lui de me raconter sa vie...

Une enfance en familles d'accueil

Et ça commence en 1946. Le 14 avril précisément. Dans le Loiret. À Saint-Maurice Fessard précisément. Son lieu de naissance. Ses racines. Où il aime retourner malgré une enfance tout droit sortie d’un roman de Victor Hugo.

Lui et sa sœur jumelle sont placés dès l’âge de 2 ans par la DASS. Ballottés de foyers en familles d'accueil, ils sont séparés à plusieurs reprises. Maurice Bigot se souvient de certaines phrases que seuls les adultes devraient entendre. Des pharses qui parlent d’argent pour continuer d’avoir la garde. Il se lève pour me montrer une carte de famille nombreuse SNCF : "Vous voyez la tristesse dans le regard d’un gosse à cet âge-là".

Personne ne sait presque rien de ses parents. Lui si. C’est un secret et probablement sa plus grande blessure. Et c’est avec elle qu’il va grandir.

Son certificat d’étude, il le décroche avec une première place. Pour le récompenser, le village lui offre un ticket pour assister au spectacle du cirque Amar. On l’y emmène en tracteur. C’est le seul souvenir heureux de son enfance. 

Un destin pas vraiment tout tracé

Puis arrive l'adolescence. "Qu’est-ce que tu veux faire comme métier ?
- Mécanicien.
Très bien. Tu iras à Beauvais chez ton oncle pour devenir charcutier."

Voilà le destin de Maurice. Tout tracé. Pas par lui mais pour lui. Dans les années 50, on ne parlait pas de métier plaisir mais de métier utile. Quand certains seraient montés en Picardie découragés, lui se dit que c’est peut-être une chance. Et qu’il faut la saisir. 

Après trois ans d’apprentissage et un certificat des Compagnons dans le tablier, vient le moment du premier emploi. Maurice trouve rapidement un cuisinier à Beauvais qui l’embauche dans sa brigade. "Un chef insupportable qui m’a appris la rigueur". C’est en regardant travailler André Mérival, que naît son envie de devenir indépendant. À son compte. Pour Maurice, être chef d’entreprise, c’est l’envie de travailler avec des citoyens !

Des chèques et des jambons

Lors d’une émission matinale, Picardie Matin, que j’ai eu la chance de tourner dans son magasin en 2014, je me souviens l’avoir entendu dire à l’un de ses apprentis: "tu ne travailles pas pour moi mais avec moi !"

C’est à Beauvais qu’il rencontre Gladys. Tout juste majeurs l’un et l’autre, ils ne se quitteront plus. Deux garçons viendront. Francois né en 1975 et Florent, en 1979. L’un est boulanger juste à côté de la charcuterie de son père. L’autre travaille avec lui dans la boutique de Pierrefonds : 9m² qui ressemblent à une vitrine de dessin animé façon Disney.

Et quelle histoire, ce petit magasin justement !

Après son service militaire, en 1971, il est temps de trouver un lieu où poser ses couteaux et son ambition. Cela va durer quatre ans. Maurice Bigot voulait trouver un lieu qui corresponde à ses valeurs. Et il ne s’est pas trompé. M. et Mme Visbeck sentent en lui la volonté et le sens du travail bien fait. "J’ai confiance en vous. Je vous fais le crédit moi-même", lui sort le propriétaire des lieux, désireux de passer la main.

Maurice, que je sens un peu ému à l’évocation de ce souvenir, embraye: "Je leur ai fait 84 chèques et 84 jambons de porc parce que Madame Visbeck était triste de ne plus en avoir une fois par mois pour son pot-au-feu". Sourire. Maurice Bigot s'installe dans sa boutique en 1974.

Le portrait du Général

Cette arrière-boutique où nous discutons vaut le détour. Vous y êtes convié comme un membre de la famille. Ici, le lieu respire l’humain et le sens du travail. Pas de chichi. Tout ou presque est resté dans son jus. Des messages écrits au mur pour les collaborateurs et des photos décolorées. Parmi elles, une est plus importante que les autres. Celle du Général. Charles de Gaulle devant lequel Maurice Bigot a défilé en 1966 durant son service militaure. C’était le 14 juillet.

Quand il me parle de cet événement, il ne prononce pas le nom du Général de Gaulle. Comme s'il n'osait pas. Il me montre juste la photo du doigt. La même que l’on trouvait dans les mairies à l’époque. Quand je vous dis que le temps s’est arrêté...

Maurice est un bâtisseur d’avenir. Il le dit lui-même entre deux anecdotes. "Je n’aime que les mots qui rassemblent : venir, aimer, construire. Pas ceux qui divisent". Le sens de la formule, encore.

Tous les apprentis qu’il a formés (40 en tout...) ont un mot pour celui qu'ils appellent "M. Bigot". C’est le cas de Michel. Grand gaillard, ancien paysagiste à l’allure de quarantenaire lassé par son métier. "Je connaissais déjà M. Bigot par sa renommée. J’étais aussi son client, je venais souvent au magasin. Je ne m’attendais pas à travailler à ses côtés un jour !"

Pléthore de récompenses

En 2018, sa passion pour la transmission est récompensé : la Chambre des métiers de l’Oise lui remet le trophée des artisans formateurs. Un honneur. Une distinction en plus des multiples prix reçus pour ses boudins noirs ou ses foies gras. Et celle dont il est particulièrement fier est marquée sur son col de tablier : deux "Mercure d’Or" remis à Paris par le premier ministre Raffarin. "C’est important car c’est un état des lieux de votre parcours. On récompense à la fois vos résultats comptables, le travail avec les apprentis, les produits et la renommée", explique-t-il.

À la même époque, il reçoit la médaille de l'ordre du mérite. Jacky Lebrun, alors président de la chambre de commerce de Picardie, a cette phrase magique : "Maurice on t’a décoré du mérite et t’as même pas été foutu de venir chercher ta médaille".

C'est qu'il n'a pas de temps à perdre pour les breloques, Maurice. Ni pour les vacances. Pour lui en tout cas : il a donné 15 jours de congés en plus aux 14 personnes de son équipe pour les remercier de leur investissement dans l’épisode Covid 2020.

Deux heures sont passées. Vient l’heure pour moi du bilan. J’ai l’impression d’être dans une scène de film à la Lautner... 

"Est ce que vous vous donnez le droit à l’erreur ?
Bien-sûr ! Pour moi, c'est le seul moyen d’apprendre !"

Toute critique est bonne à prendre

Sur internet, on peut lire certains commentaires comme celui d’Hélène P. Elle met une étoile et écrit: "très beau au regard, semblait très appétissant. Désillusion car beaucoup trop salé ! Rien à envier au boudin que j'ai l'habitude d'acheter chez mon charcutier où je le paye 2 fois moins cher... ! N'en vaut pas la peine". Beaucoup recevraient ce commentaire comme un uppercut. Mais pas Maurice Bigot : "Elle me rend service cette dame. Je vais travailler sur le sel encore plus que je ne l’ai fait jusque-là".

C’est ça, son secret à Maurice : toujours se relever. Le moto-cross n’est pas son sport favori pour rien. Et pour dire vrai, c’est peut-être le seul plaisir qu’il s’accorde en dehors de sa famille. "La piste, le circuit, c’est un cadre. Si vous n’êtes pas précis et que vous en sortez, c’est l’hôpital direct. L’essence de ma vie: c’est l’effort". Le sens de la formule, toujours.

Un regard acerbe sur le monde actuel

50 ans après avoir posé ses valises à Pierrefonds avec Gladys, la panne d’essence n’est jamais arrivée et toute son équipe est toujours prête à refaire le plein. 

Quand je lui demande son regard sur notre monde actuel et comment il a vécu la crise sanitaire, Maurice est égal à lui-même et n’y va pas par quatre chemins : "Pour moi la société est trop laxiste. Trop basée sur le loisir et la récompense immédiate. On ne se parle pas assez avec franchise. On ne se dit pas les choses. C’est comme les hommes politiques. On m’a déjà proposé des rôles en politique locale. J’ai répondu que je ne savais pas mentir. Pour la crise sanitaire, je ne comprends pas les règles que l’on impose. Mais je les applique. Je respecte et je fais ce qu’il faut pour faire les choses au mieux".

Avant d’ajouter une idée qui pourrait faire son chemin : "Et si tous les magasins qui, comme le mien, sont restés ouverts aidaient ceux qui sont restés fermés ? Une idée... Ce ne serait sûrement pas suffisant mais au moins ce serait un beau geste". Rassembler, construire, reconstruire. Encore et toujours.

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