À le voir être aussi à l’aise au milieu du troupeau de vaches allaitantes, rien ne laisse imaginer la vie que Mamadou a dû affronter. Parti de son pays, la Côte d’Ivoire, alors qu’il avait à peine 16 ans, il a dû réapprendre à vivre en France. C’est en Béarn, dans une exploitation, qu’il trouve quotidiennement le soutien, les conseils et les bases d’une vie paisible.
Sur l’exploitation béarnaise, Mamadou Bamba a refait sa vie aux côtés de David Couture qui l’a accueilli il y a trois ans. C'était alors dans le cadre d'un apprentissage, avant que le lien entre eux ne devienne indéfectible. Et que Mamadou, né en Côte d'Ivoire et arrivé en France illégalement, ne découvre le métier d'éleveur bovin.
"On a formé un duo"
"Il restait là le week-end, on a vite sympathisé" , se souvient David qui cherchait depuis longtemps quelqu’un pour l’aider sur l’exploitation. "J’ai vu avec Mamadou un garçon qui avait envie et qui voulait se battre". Cette envie et la confiance mutuelle ont fait le tout. " Ça a été deux années magnifiques", insiste le tuteur. Je lui ai appris des choses et il m’a appris des choses, on a formé un duo". Un duo qui perdure au-delà de l’apprentissage. Aujourd’hui, Mamadou se sent comme chez lui dans cette exploitation, auprès de celui qui lui a donné sa confiance.
"Le veau élevé sous la mère, avant, je n’y connaissais rien", dit en souriant le jeune adulte venu des confins de la Côte d'Ivoire. "Toutes ces techniques-là, je les ai apprises avec lui". La consécration, Mamadou la vit désormais aux côtés de David."Ca arrive qu’il me laisse l’exploitation une semaine", confie-t-il, comme un gage de savoir et de confiance mutuelle. Avant de poursuivre, un grand sourire dessiné sur le visage, "on peut dire que j’avance vers mon objectif."
Un long chemin vers le Béarn
Et pourtant rien ne pouvait laisser penser au jeune homme qu'il allait pouvoir vivre cette vie. Quand il quitte son foyer de Côte d'Ivoire, il laisse une grand-mère, une mère et une sœur, il quitte aussi l'insécurité, la faim, et surtout la guerre. Issu d'une ethnie victime de représailles, il passe son enfance à redouter le conflit à venir. Une crainte qu'il raconte avec ses yeux d'enfants "En Côte d'Ivoire, ce n'était pas la première guerre ni la deuxième, dans l'histoire qu'on apprenait à l'école (...)
En 2002, il y avait eu une guerre. En 2007, ça a voulu recommencer, et en 2010, c'est revenu.
Mamadou BambaApprenti agricole
Avec retenue, Mamadou explique ne pas avoir pu se rendre compte de ce qui s'était passé lors des conflits précédents. "En 2010, j'étais à fond dedans, parce que j'ai tout vu, j'ai vu des gens tuer face à moi, j'ai vu plein de choses". Plein de choses dont il a du mal à parler et qu'il ne souhaite pas ressasser. En temps de guerre "les gens sont prêts à tout, pour pouvoir se procurer de quoi manger", résume-t-il sobrement.
C'est alors que commence à germer dans sa tête l'idée de l'exil, souvent exprimée par ses compatriotes, ses voisins, ses amis. "Petit à petit, ça s'est installé dans ma tête... et voilà, c'est arrivé, quoi".
Une longue traversée
Mamadou est assez discret sur sa fuite. Il évoque brièvement son arrivée à Barcelone, le fait qu'il ne parle pas espagnol et qu'on lui conseille de venir en France. C'est ainsi qu'il décide de franchir la frontière avec trois compagnons d'infortune. Des quatre, il est le seul à avoir pu mettre le pied en France, à Irun, avant de se dire "Voilà, un endroit où tu sais que tu peux être en paix."
Conduit à Bayonne en tant que Mineur non accompagné, il est vite pris en charge et fait la rencontre de Danielle Ganchu-Lumier, une bénévole auprès des associations d'aide aux migrants et de RESF, dont il parle des étoiles dans les yeux. C'est cette femme qui l'a pris sous son aile et a tout fait pour qu'il puisse faire ce qu’il souhaitait : étudier l'agriculture.
"J’ai dit, moi, c'est l'agricole qui me plaît".
Quand Mamadou est monté pour la première fois dans un train en France, il a enfin pu poser son regard sur les paysages qui l'entouraient."J’ai vu un tracteur dans les champs et voilà, tout est parti de là".
Le jeune homme amusé se souvient des questionnements de ses encadrants. " Ils me disaient, alors, tu ne veux pas un autre truc comme tes autres copains, aller dans le bâtiment ?" , mais Mamadou sait trop bien ce qu'il veut.
J'ai dit non, moi, c'est l'agricole qui me plaît.
Mamadou BambaApprenti agricole
Cette fascination pour le travail agricole a des racines bien profondes, "cette voie, est ancestrale" raconte le jeune homme élevé au milieu des champs, "je peux dire mon père, ma mère, mes grands-pères, mes grands-parents, ils sont tous du milieu agricole ". Celui "qui a vécu dans ça", se rend bien vite compte, arrivé en France, que, "ce n’était pas du tout la même manière de travailler". Bien loin du pastoralisme pratiqué dans son pays, il souhaite à tout prix apprendre les rudiments de cette découverte.
Une scolarité exemplaire
Après de nombreux tests de langue et de niveaux, Mamadou intègre le lycée professionnel d'Orthez en fin d'année. En cette mi-décembre, au tableau, Mamadou se concentre sur la formule chimique qu’il a apprise par cœur. Il place ses molécules d’hydrogènes et d’azote comme n’importe quel élève de l’année en cours. Et pourtant, le jeune homme revient de tellement loin. Son travail a porté ses fruits. Il est actuellement en première année de BTS Bioqualim au lycée agricole de Montardon, en alternance avec un apprentissage dans une ferme de Lescun.
Aujourd'hui, je peux le dire et je le dis haut et fort : ce que j'ai appris, ça vaut le coup, parce que cette chose-là peut me faire manger et sauver plein de vies.
Mamadou BambaApprenti agricole
"Parce que chez nous" reprend Mamadou, "on dit que l'économie de notre pays, la Côte d'Ivoire, repose sur l'agricole".
Transmettre
Ce que Mamadou apprend, il souhaite le transmettre, comme on a pu le faire avec lui. Tous ces savoirs acquis, il souhaite les apporter à son pays d'origine, où "les agriculteurs, ne vivent pas de leur art" dit-il.Selon lui, en Côte d'Ivoire," les terres ne sont pas exploitées" ou difficilement, et de plus les gens se tuent à la tâche tant il y a peu de mécanisations.
"Les agriculteurs, ils ont des milliers de chances pour pouvoir s'en sortir dans l'avenir, Mais comme ils n'ont pas les moyens matériels et la connaissance, c'est un peu compliqué pour eux", estime-t-il.
Et plus tard, je voudrais essayer de ramener la connaissance que j'ai acquise ici, chez moi.
Mamadou Bamba
Mamadou envisage également de leur faire parvenir du matériel agricole adéquat. "Même si c'est du vieux matériel.", pour "qu'ils soient plus autonomes."
Un projet, mais surtout des connaissances dont il se dit "fier", avant de conclure : "quand je vois mon avenir, il est vaste. Demain, tout peut changer."