Septembre en Or, mois de sensibilisation à la lutte contre les cancers pédiatriques, a laissé la place à Octobre Rose, dédié au cancer du sein, mais la mobilisation ne faiblit pas. En France, 2 500 familles se retrouvent chaque année face au diagnostic du cancer de leur enfant. Rencontre avec Élise Quillent, de l’association "Grandir sans cancer 80".
Élise Quillent est médecin généraliste : "Ma foi, ma religion, c’est la médecine. Mais chez l’enfant, la recherche contre les cancers, c’est le parent pauvre ! On ne peut pas recycler en permanence les thérapies de l’adulte. Les cancers et leurs petits organismes sont différents."
Depuis 2000, les chiffres de guérison n’ont pas évolué. Tous les ans, 2 500 enfants sont diagnostiqués et malheureusement, 500 ne s’en sortiront pas. C'est comme si 20 classes disparaissaient ! Elise Quillent le souligne, il n’y a rien de plus difficile que d’annoncer à des parents : "Nous n’avons aucun moyen de soigner, de guérir votre enfant."
Il y a actuellement une soixantaine de cancers pédiatriques. "Vous imaginez pour les familles que l’annonce du diagnostic d’un cancer de leur enfant, c’est un séisme. Leur vie est chamboulée de tous les côtés."
Avancer pas à pas
Le premier combat gagné par la Fédération Grandir sans cancer remonte à fin 2018. Depuis, chaque année, une somme de 5 millions d’euros est allouée par l’État pour la recherche sur les cancers pédiatriques. "Il en faudrait beaucoup plus, cinq fois plus, explique Élise Quillent, mais les cancers pédiatriques ne sont pas rentables. Donc depuis 20 ans, aucune molécule n’a été élaborée par l’industrie du médicament en première intention."
"Recherches en laboratoires, plus recherches cliniques, vous ne pensez pas qu’avec les bénéfices qu’engrange la France, l’industrie du médicament pourrait s’investir ?", s'insurge la généraliste. 95% de la recherche sont en effet financés par des dons privés, le mécénat, les associations.
Le fameux séisme pour les familles, outre la maladie de leur enfant, c’est la paupérisation du foyer.
Dr Elise Quillent
Autre combat, lutter contre la "double peine" pour les familles concernées. "Le fameux séisme pour les familles, outre la maladie de leur enfant, c’est la paupérisation du foyer. Imaginez les difficultés dans lesquelles elles peuvent se retrouver. Un des deux parents va devoir arrêter de travailler. Par exemple, la première hospitalisation en cas de leucémie, c’est deux mois en chambre stérile. Certaines familles sont à plus de 100km du lieu d’hospitalisation de leur enfant, et quand il n’y a pas de structure, de centre d’hébergement, à destination des parents (NDLR :en moyenne 10€ à 20€ par nuit), ils se retrouvent à devoir louer un Airbnb pour être à côté de leur enfant. Nous leur venons en aide financièrement quand c’est nécessaire."
En 2021, les associations ont réussi à faire doubler le montant journalier de l’AJPP (Allocation journalière de présence parentale), soit l’équivalent d’un SMIC par mois, mais aussi depuis 2022, le doublement du nombre de jours (620 jours au lieu de 310). Mais il faut aller encore plus loin, comme l'explique Élise Quillent : "En comparaison, un adulte atteint d’un cancer est protégé par rapport à son emploi, à son loyer ou son prêt s’il est propriétaire de son logement."
"Dans le cas d’un enfant malade, c’est le deuxième combat le plus injuste auquel sont confrontées les familles. J’entends souvent la colère des familles qui se retrouvent dans une détresse financière. Certains ont même été expulsés de leur domicile, ont perdu leur emploi. Comme pour les adultes malades, il existe des aides que l’on peut demander à la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées), car le cancer est reconnu comme une maladie handicapante, mais il faut au moins 4 mois pour répondre à un dossier."
Dans ce domaine, les cofondateurs de Grandir Sans Cancer sont à l'origine du colloque "cancers pédiatriques et maladies graves", inédit à l'Assemblée Nationale ainsi que d'avancées législatives fortes, travaillées main dans la main avec les parlementaires, les professionnels et les familles. C’est grâce à cela que, le 19 juillet 2023, a été promulguée une loi visant à renforcer la protection des familles d'enfants atteints d'une maladie ou d'un handicap, ou victimes d'un accident d'une particulière gravité. Elle a été publiée au Journal officiel le lendemain.
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Chercher les causes
Elise Quillent poursuit : "La question que se posent tous les parents, c'est : « Pourquoi mon enfant est-il malade ? ». Aujourd’hui, on sait qu’environ 10% des cancers pédiatriques sont génétiques. D’où viennent les 90% restants ? Il y a, nous en sommes sûrs, un lien fort, un effet cocktail avec les pesticides. (NDLR : Une étude de l’INSERM publiée en 2023 démontre comment l'exposition aux pesticides est un risque de cancers pédiatriques, et plus spécifiquement de leucémies chez les enfants de moins de 15 ans vivant près de domaines viticoles.) Mais les causes réelles des cancers chez l’enfant sont encore mal connues." (Cet entretien a été réalisé avant la reconnaissance du premier décès à cause de pesticides, celui de la petite Emmy disparue en 2022 des suites d’une leucémie et dont la maman était fleuriste. Lire l'article de France Info ici)
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Le don de vie
Elise Quillent rappelle : "La greffe de moelle osseuse est un traitement destiné notamment aux enfants et aux adolescents atteints de certains types de cancer. Or, nous sommes des cancres en matière de dons. Je ne parle pas de dons financiers, mais de dons de moelle osseuse. 70% des greffes de moelle osseuse viennent de l’étranger ! Pour s’inscrire, c’est facile. Il faut avoir au moins 18 ans et au maximum 35 ans."
"Il faut être en bonne santé et réaliser un test salivaire ou une prise de sang pour établir la carte d’identité biologique, ce qui permet de savoir si on est compatible avec un patient. Une fois la carte d’identité biologique établie, on devient donneur potentiel. Mais on peut passer sa vie sans être appelé pour donner sa moelle osseuse. De même, il faut sensibiliser au don du sang, de plaquettes, de plasma. Chacun d’entre nous à un moment donné peut avoir besoin d’en recevoir."
Élise Quillent a été personnellement concernée par les cancers pédiatriques. Elle a découvert la Fédération Grandir Sans Cancer, suite à leur combat et à l’obtention de 5 millions d’euros chaque année pour la recherche sur les cancers pédiatriques : "Je trouvais cette démarche collective sensée, leurs revendications légitimes. Je partage ce constat injuste, qu'en France, les enfants atteints de cancers pédiatriques et leurs familles ne bénéficient pas des mêmes droits que les adultes, tant sur l'investissement dans la recherche, que sur la protection sociale face à la maladie. La maman, le médecin, la citoyenne, a eu envie de les rejoindre pour mener, au niveau national, ce combat à leurs côtés."
Un combat qu’elle mène au quotidien dans le département la Somme en apportant avec l’association un soutien aux familles suivies dans le service d'oncopédiatrie du CHU d'Amiens.