La période de recharge en eau des nappes phréatiques entre 2022 et 2023 s'est achevée, comme chaque année, en mars. Dans les Hauts-de-France, la majorité des nappes souterraine se situe à un niveau préoccupant. Des niveaux majoritairement en baisse par rapport aux années précédentes.
La période de recharge en eau des nappes phréatiques entre 2022 et 2023, qui s’étend chaque année entre septembre et mars, a été marquée par une succession d’épisodes de recharge et d'épisodes de sécheresse sur le plan national. Concrètement, en France, 75% des nappes sont en mauvaise posture, indique le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), dans un bulletin sur la situation hydrogéologique, publié le 1er avril, contre 58%, en mars 2022. Et les Hauts-de-France ne sont pas épargnés.
Dans son rapport, le BRGM explique ce constat : "par une faible infiltration des pluies en profondeur, du fait de sols très secs et d’une végétation active tardivement. En décembre 2022 et janvier 2023, la recharge était active avec des niveaux globalement en hausse. La fin de l’hiver 2022-2023 a été marqué par un fort déficit de pluies efficaces et février 2023 a été caractérisé par des niveaux en baisse."
Des précipitations excédentaires en mars qui ne changent pas la donne
Et les précipitations du mois de mars, excédentaires sur une grande partie de l’Hexagone, n’ont pas changé la tendance. Dans les Hauts-de-France, les pluies sont tombées abondamment, avec un excédent mensuel de 111 % sur le Pas-de-Calais, 102 % sur le Nord, et 77 % sur la Somme. Des données transmises par la DREAL (la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement Hauts-de-France), dans son bulletin sur la situation hydrologique de la région. Si elles ont permis à la recharge de se poursuivre sur l'ensemble des nappes de l'Artois-Picardie, elles n'ont pas été suffisantes pour atténuer l’inquiétude et changer les niveaux d'alerte.
Les niveaux piézométriques, correspondant à la profondeur de la surface de la nappe d'eau souterraine, sont globalement inférieurs à la moyenne des mois de mars. Sur les 15 stations présentes dans la région, 9 sont classées à des niveaux "très bas", "bas" et "modérément bas", indique la DREAL. Les courbes de l'évolution des nappes depuis 2001 montrent que la plupart d'entre-elles sont en dessous des niveaux habituels. Des données retranscrites dans la carte ci-dessus.
Une crainte qui s’est traduite, ces dernières semaines, par l’entrée de pratiquement tous les départements dans le processus des niveaux d’alerte sécheresse définis par le ministère de la Transition écologique. Seule, la préfecture de l’Aisne n’a pas encore pris de mesure.
Mercredi 19 avril, le Pas-de-Calais a rejoint le Nord en étant placé sous vigilance sécheresse. Il s’agit du premier des quatre niveaux d’alerte sécheresse (niveau 1/4). Mais dans la Somme et de l’Oise, la situation se détériore plus vite. Le premier a positionné deux de ses bassins versants (l’Ancre et l’Avre) en vigilance renforcée (niveau 2/5), alors que tous les autres sont en situation de vigilance (niveau 1/5). Mais l’échelle d’alerte est particulière dans ce département puisque la préfecture a appliqué cinq niveaux d’alerte en ajoutant le stade de "vigilance renforcée", dernier niveau avant les premières restrictions de l’usage de l’eau.
L'Oise, déjà dans une situation critique sur certains secteurs
C'est dans l'Oise que se trouve la situation la plus critique dans les Hauts-de-France. Quatre secteurs (Aronde, l’Esches, le Matz et l’Oise-Aisne) sont passés en alerte renforcée (niveau 3/4), tandis que deux autres (la Brèche et l’Epte-Troesne-Viosne) sont en alerte (niveau 2/4).
Marie Anguenot, chargée de mission SAGE (schéma d’aménagement et de gestion de l’eau) au syndicat mixte Oise-Aronde, décrivait déjà un relevé "assez critique" pour la période, en mars dernier. Des niveaux qui posent un problème puisque c'est à ce moment-là que la recharge doit être effectuée : "pour anticiper une potentielle période estivale sèche. Et là, malheureusement, nos réserves ne sont pas reconstituées".
Jean-Christophe Bullot, le technicien rivière qui l’accompagnait ce jour-là, précisait : "pour ce cours d'eau (l’Aronde,NDLR), on est aux alentours de 500 et 600 Litres/secondes, on devrait plutôt être aux alentours de 1600 Litres/secondes".
Dans ce secteur placé en alerte renforcée, il y a une réduction de tous les prélèvements en eau, une interdiction des activités impactant les milieux aquatiques et des restrictions renforcées en matière d’arrosage, de remplissage et de vidange des piscines, de lavage de véhicules et d’irrigation de cultures.
Des restrictions déjà mises en place
Pour Olivier Delignières, agriculteur à Canny-sur-Matz ces mesures ont déjà un impact sur l’irrigation de ses cultures. "Si j’ai besoin d’importer de l’eau, je sais que je vais avoir une interdiction sur des plages horaires, en journée, de 9h à 19h. Je ne pourrai arroser que la nuit. On essaye de favoriser au maximum l’irrigation la nuit pour éviter les déperditions. C'est là qu'il y a moins de vent, donc on a une irrigation plus homogène, beaucoup plus efficace. Mais pour autant, si je ne peux arroser la journée, je sais que je ne pourrai le faire sur toutes les parcelles qui nécessiteraient d’avoir un apport d’eau. Donc, je vais faire des choix, sacrifier des parcelles pour respecter la réglementation", explique-t-il.
L’agriculteur partage sa crainte pour les mois à venir. "L’irrigation permet de se prémunir d’une sécheresse. Et je sais dès aujourd’hui qu’avec les restrictions en place, si ne la tendance ne s’inverse pas, si la pluie ne vient pas de façon régulière au cours de la période estivale (de juin à août), les cultures ne pourront pas apporter le rendement nécessaire pour avoir une bonne rentabilité."
Une possible sécheresse dans les Hauts de France cet été 2023
Mais alors quels sont les scénarios envisagés pour les mois à venir ? "À partir du mois d’avril, la hausse des températures, la reprise de la végétation et donc l’augmentation de l’évapotranspiration vont limiter nettement l’infiltration des pluies vers les nappes", rapporte le BRGM. "En absence de précipitations suffisantes, la vidange devrait se généraliser à l’ensemble des nappes courant avril. Les niveaux devraient alors rester en baisse jusqu’à l’automne." En somme, si la vidange se confirme en avril, la situation pourrait se dégrader avant même l'été.
Les hydrogéologues du BRGM ont réalisé une carte d’anticipation du risque sécheresse pour l’été 2023. Les départements des Hauts de France pourraient connaître une sécheresse dont l'intensité va de "fort" à "très fort". Le littoral du Pas-de-Calais et celui du nord de la Somme seraient sensiblement épargnés avec un risque "faible".
De son côté, Olivier Delignières veut rester positif et envisage le possible futur pour son métier. "Les agriculteurs ont toujours su s’adapter. L’irrigation et l’eau sont un enjeu majeur et on doit être acteur à part entière dans la préservation de la ressource en eau". Cela passe par "des variétés qui sont plus tolérantes au stress hydrique, pour limiter les apports d’eau", mais aussi "notre façon de travailler les sols, pour favoriser au maximum l’infiltration et la recharge des nappes."