Après 10 ans de gel tarifaire et de décrochage des rémunérations par rapport à l’inflation, les kinésithérapeutes dénoncent une nouvelle convention au rabais imposée par la sécurité sociale. Ils nous font part du malaise dans la profession.
Bruno Pierre a installé son cabinet en 1999, à Picquigny, dans la Somme. Peu à peu, en quelques années, il a vu ses charges courantes augmenter sans revalorisation des tarifs fixés par l’Assurance maladie. Ses réserves ont fondu et cette année, pour la première fois, son exercice comptable est déficitaire. Ce qui le pousse à réduire ses investissements. "Les charges sociales et courantes ont explosées. Nous sommes contraints de baisser le chauffage. Nous commandons moins de produits de massage, les huiles essentielles notamment, qui ont augmenté de 60 %, les produits d’hygiène et de décontamination aussi. Nous ne pouvons plus nous permettre de renouveler notre matériel. C’est sûr ! La qualité des soins en prend un coup chez tous mes confrères", détaille-t-il.
Un avenant professionnel au rabais
Après 10 ans de gel tarifaire et de décrochage des rémunérations par rapport à l’inflation, les kinésithérapeutes sont à bout. Fatigue, inquiétude, découragement, colère, comme tous les métiers de la santé, ils veulent faire entendre leur voix, à l’heure où doit être signée une nouvelle convention avec l’Assurance maladie.
Après 11 mois de négociations avec trois syndicats, la Caisse nationale d’assurance maladie a rendu ses dernières propositions. Cette convention, qui lie les kinésithérapeutes à l’Assurance maladie, est reconduite tous les cinq ans. Cette année, c’est l’avenant 7 qui doit être signé, le 16 janvier prochain, entre l’Union nationale des caisses d’assurance maladie et les syndicats de la profession.
La Fédération française des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs (FFMKR), a déjà signé l’accord. Parmi les deux autres syndicats majoritaires, l’un (SNMKR) a refusé cet avenant, l’autre (Alizé) concerte les praticiens avant de prendre une décision. Le 16 janvier prochain, date de conclusion ou non de l’accord, l’avenir des kinésithérapeutes-masseurs sera scellé pour cinq ans.
Que prévoit cette convention ?
Le site de l’Assurance maladie annonce "un avenant historique de 530 millions d’euros (qui) engage une revalorisation significative de l’activité des masseurs-kinésithérapeutes". Parmi les grands axes annoncés, le rôle du kinésithérapeute dans la prévention sera renforcé auprès des personnes en perte d’autonomie, en milieu scolaire, notamment.
Nous avons le sentiment d’être méprisés alors que nous travaillons 50 à 60 heures par semaine
Une kinésithérapeute installée en Isère
Concernant la revalorisation des tarifs, deux actes, principalement pratiqués par les professionnels, seront portés à 18,06 € et 21,07 €. Soit une augmentation de 1,93 euros brut par acte, étalé sur trois ans. "Pour nous, c’est très peu. Cela ne va pas rattraper l’inflation, loin de là", indique une kinésithérapeute libérale de l’Isère qui souhaite rester anonyme et qui témoigne de la fatigue de ses collègues. "Nous sommes très déçus de cette convention, nous avons le sentiment d’être méprisés alors que nous travaillons 50 à 60 heures par semaine pour accueillir les patients qui en ont besoin et s’en sortir financièrement. Bientôt, il ne sera plus possible d’offrir à nos patients des soins de qualité, ni même un accès décent aux soins", justifie-t-elle.
Afin de "valoriser l’intervention des masseurs-kinésithérapeutes au domicile des patients en situation de dépendance, les indemnités forfaitaires spécifiques de déplacement sont étendues et valorisées à hauteur de 4 €". Les déplacements sont actuellement rémunérés 2,50 euros. "Lors de déplacements aux domiciles des patients, la voiture nous coûte plus cher que le travail nous rapporte. Les assistants kiné ne veulent plus se déplacer. On est encouragé à faire du travail à domicile, mais on ne nous en donne pas les moyens", réagit Bruno Pierre. "Avec le prix de l’essence, du stationnement, on perd de l’argent si on se déplace. Les personnes âgées ont beaucoup de mal à trouver des kinés à domicile et ça ne va pas s'arranger", ajoute la kinésithérapeute iséroise.
Une mesure pour réduire les inégalités d'accès aux soins
Un point de cette convention soulève de nombreuses contestations. Les nouveaux diplômés auront l’obligation de travailler au moins deux ans en établissement sanitaire ou médico-social dans une zone "sous-dotée" pour pouvoir être conventionné par la suite. Soit, dans un désert médical. "Cette injonction est très lourde, car ces jeunes vont devoir s’installer dans un territoire qui n’est pas forcément le leur et encore investir pour le logement après avoir financé leurs études, très chères", explique la kinésithérapeute iséroise.
Selon la Fédération nationale des étudiant(e)s en kinésithérapie, un étudiant en masso-kinésithérapie devra débourser 7 572 euros en moyenne pour financer sa rentrée et un quart d’entre eux est contraint de contracter un prêt, allant parfois jusqu’à 50 000 euros. "Dans certains territoires, nous avons des listes de patients qui s’allongent et avec cet avenant, nous allons avoir beaucoup moins de candidats aux études de kiné".
"Ce matin, j’ai dû refuser une femme qui doit faire une rééducation du cancer du sein. Je n’ai plus de places. Si je l’accepte, je vais mal le faire, faute de temps", annonce Jean-Marc Lascar, kinésithérapeute à Caudry, dans le Nord et Délégué régional du Syndicat national des masseurs kinésithérapeutes. "Cette mesure de l’Assurance maladie n’a pas de sens, car dans les zones très dotées, nos agendas aussi sont pleins et les listes d’attente s’allongent."
Un collectif de kinésithérapeutes a été créé il y a quelques semaines par un praticien du Nord de la France pour défendre les intérêts de la profession. Il regroupe à ce jour 10 000 kinésithérapeutes libéraux français. Son objectif : alerter sur le malaise général rencontré par la profession via un groupe Facebook, Négociations kiné : tous concernés !
Le 16 janvier prochain, si les mesures proposées par l’Union nationale des caisses d’assurance maladie sont refusées par les syndicats, la profession se retrouvera sans réévaluation tarifaire, même minimes. "Si on signe, c’est trop tard. Rien ne changera avant au moins cinq ans", conclue la praticienne installée en Isère.
L’Assurance maladie a annoncé qu'elle ne reprendrait pas les négociations.