Depuis 2019, l’Association des chiens sauveteurs de la baie de Somme investit tous les dimanches les eaux du littoral picard pour s'entraîner au sauvetage canin en milieu aquatique. Une discipline pas encore reconnue en France, portée par des bénévoles passionnés, leur terre-neuve et autre Leonberg ou golden retriever.
C’est une troupe insolite que l'on croise sur les plages de la baie de Somme tous les dimanches. Hiver comme été. Qu'il pleuve ou qu'il vente. Par grand froid comme par température plus élevée.
Avec leur combinaison de plongée, leur t-shirt rouge barré dans le dos des lettres ACSBS et leur chien, les membres bénévoles de l'Association des chiens sauveteurs de la baie de Somme se retrouvent tous les week-ends pour de longues séances d'entraînement en milieu aquatique.
Former les chiens, mais aussi les maîtres
"Quand tu pars à l'eau, pars vraiment. Ta chienne, elle va te suivre automatiquement. Et je ne sais pas si tu as vu, mais elle a commencé à te grimper dessus dans l'eau parce que tu n'allais pas assez vite. (…) Il faut que tu accélères ta nage, pour prendre de la distance et être libre de faire ce que tu as à faire. Ta chienne, elle est avec toi, elle connaît son boulot." Amélie écoute avec attention Alain Level, président et fondateur de l’association. Elle sort de l'eau, une bouée boudin jaune à la main, sa chienne s'ébrouant à ses pieds. C’est le moment de débriefer leur sauvetage. Autour, golden retriever, Leonberg et surtout terre-neuve noirs piaillent d'impatience sur le sable.
Plus le chien va répéter les exercices, plus il va avoir l’autonomie de travailler.(…) Le chien ne s'ennuie jamais. Lui, il joue."
Alain Level, président et fondateur de l'Association des chiens sauveteurs de la baie de Somme
Les chiens sauveteurs en milieu aquatique, c'est le moteur d'Alain Level. Ambulancier depuis 33 ans, il a créé l'ACSBS en 2019 par amour pour les terre-neuve. L'association compte aujourd’hui 35 membres et une vingtaine de chiens.
Hommes et femmes de tous âges, venus de tous les Hauts-de-France, mais aussi de région parisienne qui sacrifient leur temps libre pour cette passion. "On s'entraîne tous les weekends pour que les chiens acquièrent les bonnes compétences, explique Alain Level. Plus le chien va répéter les exercices, plus il va avoir l’autonomie de travailler.(…) Le chien ne s'ennuie jamais. Lui, il joue."
Travailler dans l'eau mais aussi au sol
Un jeu que Talya, golden retriever de 18 mois, semble grandement apprécier. "On prend plaisir, autant la chienne que moi, à se jeter à l’eau, avoue sa maîtresse, une autre Amélie. C'est un plaisir et un besoin : ça défoule !"
La jeune chienne vient d'aider sa maîtresse à ramener au bord de l'eau un membre du club de longe côte qui passait par là et qui s'est prêté au jeu. Assise, les oreilles relevées à l’affût du moindre bruit suspect, elle est encore en formation. "Ça ne fait que depuis le mois de mars qu'on va toutes les deux à l'eau, raconte Amélie. Moi, j'y allais avant mais en tant que victime. Là, on est le nouveau binôme et on apprend encore et encore. (…) Pour l'instant, on y va tranquillement parce qu’elle est encore jeune, il faut qu'elle se muscle, mais même si ce n'est pas un terre-neuve, elle est capable de tirer une personne de l’eau."
Ils savent le dimanche quand on sort les harnais et les combinaisons, que ça y est, ils vont aller à l'eau et qu'on va travailler ensemble.
Isabelle, bénévole à l'ACSBS
Talya a encore besoin de travailler les consignes et la concentration. Et c'est au sol, en dehors de l'eau, qu'Amélie va pouvoir parfaire cette éducation. Apprendre aux chiens à suivre à la lettre les instructions de leur maître est un pan primordial des entraînements. "Si on a besoin de dire au chien de partir à droite, à gauche, de faire demi-tour ou de le laisser sur le bord à attendre, plus il aura les connaissances à terre, plus ce sera facile après de les travailler au bord de l'eau et dans l'eau", confirme Alain Level.
Amour, complicité et travail, les clés d'un binôme efficace
Des instructions immédiatement mises en pratique dans le canal de la Somme. En eau douce. Les chiens sauveteurs doivent en effet être capables d'intervenir en mer, mais aussi dans une rivière ou dans un lac. Ici, ils doivent lutter contre un autre type de courant que celui de la mer.
Dans cet environnement, la réussite du sauvetage dépend essentiellement de la complicité entre le maître et son animal. "Ils savent le dimanche, quand on sort les harnais et les combinaisons, que ça y est, ils vont aller à l'eau et qu'on va travailler ensemble, s'amuse Isabelle, bénévole à l'ACSBS. Mais c'est un travail quotidien : tous les jours, il faut les entretenir, les brosser, les balader, les travailler un petit peu au sol. Ce sont nos collègues, nos bébés, nos amours et on aime travailler avec eux."
Les scénarios s'enchaînent. À l'eau, les plongeurs, qui jouent les victimes. Sur la berge, les chiens attendent les consignes de leur maître pour enfin plonger sans hésiter. Au milieu du canal, Alain, sur son canot pneumatique, ne rate rien de l'exercice. La consigne : traverser le canal, récupérer la victime et la ramener sur le ponton. Simple en apparence. Il s'agit pourtant de renforcer la cohésion entre le chien et son maître.
Savoir intervenir dans toutes les eaux
Une fois arrivée sur le ponton, Shana, la terre-neuve, pose ses pattes avant sur l'avancée de bois, gardant le reste du corps immergé. "On fait remonter le chien comme ça sur la plateforme pour qu'il apprenne à attendre que son maître revienne", décrypte Alain. Une fois sur la terre ferme, le maître récupère son chien en le soulevant par l'une des poignées du harnais dont est équipé chaque animal.
Un équipement indispensable aux hommes et aux chiens qui facilite les interventions : "Le gilet de sauvetage, ça n'est pas tant pour aider les chiens à flotter que nous attacher dessus ou attacher une victime. On y attache aussi une ligne de vie. Comme ça, si on est dans un bateau, le maître et le chien savent quoi faire pour remonter dans le bateau sans aide."
Une formation bien utile quand les membres de l'ACSBS travaillent avec les bénévoles de la SNSM. Les deux associations s'entraînent de plus en plus souvent ensemble. C'est le cas ce dimanche-là. Exceptionnellement, le club de voile de Cayeux-sur-Mer les a autorisées à investir un petit lac qui fut autrefois une carrière de galets aujourd'hui inondée. Une autre eau, moins vive que le canal de la Somme et la mer.
Les chiens ont une grande force. Donc il y a des sauvetages qu'ils peuvent réaliser main dans la main avec les sauveteurs de la SNSM.
Cyril Brayer, SNCM de Cayeux-sur-Mer
Au programme, le tractage jusqu'à la berge d'une embarcation et de ses passagers. "En plan d'eau fermé, on bouge beaucoup moins. Donc c'est plus facile pour rattraper les exercices et les recommencer que quand il y a du courant qui nous dévie. En plan d'eau, on est en statique", admet Alain.
Une discipline de sauvetage non reconnue en France
Une collaboration qui, si elle permet aux membres de l'ACSBS de voir dans quel domaine faire progresser leur chien, est vue comme un atout pour Cyril Brayer, de la SNCM de Cayeux-sur-Mer : "c'est un plus d'avoir des chiens et des gens qui se mettent à l'eau pour le sauvetage. Les chiens ont une grande force. Donc il y a des sauvetages qu'ils peuvent réaliser main dans la main avec les sauveteurs de la SNSM. Je suis admiratif du travail des chiens et de leur maître. C'est du bénévolat et le temps qu'ils mettent à s'organiser, à dresser leur chien au service du secours à la personne, c'est une belle chose."
Le sauvetage aquatique en binôme homme/chien n'est pour le moment pas reconnu en France comme discipline de sauvetage. Un regret pour Alain Level qui milite pour que ce soit un jour le cas comme en Allemagne ou en Italie. Et sa femme Krystel de raconter l'histoire de l'un de leurs trois terre-neuve Linux, aujourd'hui à la retraite : "Linux a été médaillé parce qu'il a fait un sauvetage dans une course d'open swim. Un monsieur ne pouvait pas finir sa course et avait besoin d'être rapatrié au bord de l'eau. Linux est parti récupérer cette personne. (…) Il a reçu la médaille de sauveteur débutant. Il y a très peu de chiens décorés en France. C'est le troisième chien médaillé depuis 1928 parce que tous les autres, quand ils font un secours, en général, ils ne survivent pas."
Avec Yolande Malgras / FTV