Le Premier ministre Edouard Philippe a annoncé ce 28 avril à l'Assemblée nationale que les commerces pourront rouvrir à compter du 11 mai, sauf cafetiers et restaurateurs. Dans quelles conditions ? Comment les commerçants se préparent-ils à cette réouverture ? Témoignage de trois d'entre-eux.
Amélie Delsaux est gérante d'un institut de beauté - Chrys Beauté - à Arras qui emploie cinq esthéticiennes. Elles sont toutes en chômage partiel depuis le 17 mars. La commerçante a reçu pour mars et avril une aide de 1500 euros. "J'apprécie mais ça ne permet pas de payer les factures. Ma trésorerie est à plat, il va falloir que je fasse un crédit pour payer les fournisseurs, le loyer et les charges fixes".
Amélie Delsaux est donc impatiente de pouvoir rouvrir, même si elle s'interroge à propos des autorisations et du surcoût sanitaire : "Je ne sais pas ce qu'on aura le droit de faire ou pas. Les massages et les soins du visage seront je pense interdits dans un premier temps. Est-ce les épilations et les soins pour les mains et les pieds seront permis ?... Nous attendons les réponses de notre syndicat, la CNAIB, qui travaille avec le ministère de tutelle."
La gérante s'attend de toute façon à un surcoût en sur-blouses, sur-chaussures, en masques et gants. "Avant le confinement j'avais acheté 7,75 euros une cinquantaine de masques jetables pour l'onglerie. Aujourd'hui, pour le même nombre, je viens de payer 49 euros". Mais ce n'est pas tout, il va falloir désinfecter les cabines individuelles de soin, "cela va nous prendre un quart d'heure à chaque fois, du coup je ne pourrai pas faire sans augmenter les prix de deux ou trois euros."
Encore des interrogations, mais les commerçants anticipent
Le 11 mai, si, dans un premier temps, aucun soin en cabine n'est autorisé, Amélie ouvrira seule, sans ses salariées, pour que les clientes puissent acheter les produits exposés dans le magasin. Mais là encore, des règles d'hygiène seront mises en place avec pour principes : gestes barrière et distanciation sociale. Si les massages et les soins sont autorisés dès le 11 mai, "on fera attention à ce que les clientes respectent bien les horaires de façon à ce qu'elles ne se croisent pas en salle d'attente et on prévoira un temps de désinfection".
Hervé Delassus est coiffeur-barbier et gérant de l'Atelier#26, rue St-Fuscien à Amiens. Un salarié et un apprenti l'aident à couper les cheveux de la vingtaine de clients quotidien. Depuis le 17 mars, le salon est fermé et les deux salariés sont en chômage partiel, et actuellement Hervé anticipe la réouverture du 11 mai. Avec un certain nombre d'inconnues tout de même : "la fiche technique d'hygiène de notre métier n'est pas encore disponible sur le site du gouvernement". Du coup, le gérant prend les devants. "Nous sommes presque début mai, alors je dois prendre les premiers rendez-vous. Du coup, j'anticipe également sur les mesures sanitaires". Et c'est carré...
Une visière pour la taille de barbe
Toutes les coupes de cheveux et les tailles de barbes se feront désormais sur rendez-vous. Masques obligatoires pour les clients durant le temps de leur passage dans le salon. « Attention, pour permettre la coupe, il faut un masque avec des attaches aux oreilles, pas de masque passant derrière la tête, dans les cheveux ». Du gel hydro-alcoolique sera mis à l’entrée et chacun se lavera ainsi les mains en entrant. « Je supprime un bac à shampoing, un plan de travail et un fauteuil dans la salle d’attente pour que les règles de distanciation sociale soient respectées ».
Surcoût répercuté ?
Quant à la taille de barbe, si elle ne peut se faire tout le temps avec un masque pour le client, le barbier, lui, mettra une visière en plus de son masque. « Quand, nous avions une couleur à faire, avant, le temps de pause était mis à profit pour effectuer une autre coupe, là on désinfectera ». Enfin, à la question allez-vous augmenter vos tarifs, étant donné l'investissement en gel, en produits désinfection, en temps... Hervé répond oui, "cela m'embête mais malheureusement, je vais devoir le faire. J'y réfléchis encore mais ça pourrait être de l'ordre d'un euro pour une coupe ou une taille de barbe et de trois ou quatre euros pour quelqu'un qui fait des mèches, une couleur et une coupe et qui va rester trois heures dans le salon".
A Lille, Alexandre Fol, opticien chez Optique Vergez, place de Strasbourg, est en clientèle. Dix jours après le début du confinement, le 27 mars, ayant des masques et possédant une machine mesurant l'écart pupillaire à distance, il a pu se rendre volontaire pour être désigné opticien d'urgence. Des familles sont venues de Lens ou Douai lui rendre visite pour une urgence car, sur le Nord (et vraisemblablement sur le Pas-de-Calais), les opticiens d'urgence se comptaient sur les doigts d'une main. "Le plus souvent, ce sont des cas de deuxième paire de lunettes cassée pour les enfants", commente Alexandre Fol.
"Ne pas se faire croiser les équipes"
Quand ce n'est pas nécessaire, les familles ou les clients ne rentrent pas dans le magasin. "Des rendez-vous toutes les heures leur sont proposés pour avoir une marge pour le client qui a un quart d'heure de retard ou d'avance. J'essaie d'alterner entre clients et clientes, afin si je viens de recevoir une femme, qu'une autre cliente ne touche pas le même présentoir à lunettes. On désinfecte ensuite". Une organisation difficile à trouver mais qui s'est mise en place. Aujourd'hui, ce qui questionne Alexandre c'est le 11 mai.
Car, si Alexandre (gérant) est seul pour le moment, la reprise de son équipe de trois opticiennes est difficile à mettre en place. D'une part, parce qu'il faut jongler avec la reprise de leurs enfants à l'école, qui ne se fait pas aux mêmes dates selon l'âge de l'enfant, d'autre part parce qu'il ne faut pas croiser les équipes. "Admettons que nous reprenions tous notre travail d'opticien le 11 mai, faut-il qu'on travaille à deux une semaine et les deux autres la semaine suivante ? Ou une équipe le matin, l'autre l'après-midi ? Ou une demi-semaine ?", prend en exemple Alexandre. En toile de fond, la crainte, si les quatre collaborateurs travaillent ensemble et que l'un d'entre-eux tombe malade, que tout le monde soit placé en quarantaine et que le commerce doive être complétement désinfecté.
Alors, pour l'instant, Alexandre Fol, envisage non seulement de ne pas se faire croiser les équipes mais de fonctionner au maximum sur rendez-vous, grilles fermées, la plupart du temps.
"Poignées, balustrades... nettoyées toutes les 45 min"
Thomas Phemius est directeur d'un centre commercial à Glisy, situé sur la rocade amiénoise. Pour Eurocommercial, il loue une soixantaine de locaux commerciaux à autant d'indépendants ou de franchisés. Dans ce centre commercial, il y a aussi un hypermarché Géant-Casino qui lui, est resté ouvert pendant le confinement. Au total, Grand A, c'est le nom du centre commercial, est étendu sur 23 000 m2. Le Géant-Casino (10 000 m2) compte une centaine de salariés, les autres magasins totalisent plus de 200 salariés. Un H&M et un New-Yorker en comptent une dizaine de salariés, mais en général, les autres enseignes sont à moins de cinq salariés.
"Tout se met en place pour la réouverture le 11 mai. On aura confirmation ce soir que le département de la Somme est bien en vert (1), mais d'ores et déjà, on met tout en oeuvre pour que tout le monde puisse rouvrir le 11", explique Thomas Phemius. Des barrières ont été installées aux accès pour séparer les clients qui sortent de ceux qui entrent. Le système a été mis en place pendant le confinement pour l'hypermarché, où une centaine de clients pouvaient faire leurs courses simultanément, pendant le confinement. Mais à partir du 11 mai, ce sont 2 100 personnes qui vont pouvoir être présentes dans le centre commercial en même temps.
Entièrement désinfecté
D'où un certains nombre de mesures supplémentaires : désinfection toutes les 45 minutes des bancs, des poignées, du mobilier urbain à l'intérieur du centre. "La règle établie par le CNCC (Conseil National des Centres Commerciaux) c'est une personne par 10 m2. Des capteurs vidéo vont compter les clients à l'entrée ce qui permettra d'informer en temps réel le PC sécurité, qui interviendra si nécessaire. Il ne sera pas obligatoire d'avoir un masque pour entrer dans le centre mais c'est fortement recommandé", précise le directeur qui prévoit de la distribution de gel hydroalcoolique à l'entrée de l'établissement. Les gestes barrière seront rappelés sur des écrans et la distanciation sociale sera matérialisée par des traits marqués au sol.
Dans chacune des boutiques, chacun est libre de son process, mais les gants, le gel et l'utilisation du plexiglass sont également recommandées. De toute façon, "chacun est bien conscient du risque", commente le directeur. Enfin, pendant deux jours, la semaine qui vient une entreprise spécialisée viendra désinfecter totalement le centre commercial.