À l'occasion de la Journée internationale du droit des femmes et à une semaine du premier tour des élections municipales, le 15 mars 2020, “Dimanche en politique” s’attaque à la place des femmes dans les municipalités et intercommunalités. Et la région a un train de retard.
Peu de femmes maires, des conseillères municipales cantonnées à certaines thématiques, ou encore des réflexions machistes : ces inégalités s’inscrivent au niveau national, mais les Hauts-de-France font pâle figure. En termes de nombre de femmes élues locales, la région se place 10è sur 13.
"Ma génération a du mal à quitter le pouvoir"
“Être un homme public, c’est un honneur, être une fille publique, c’est la honte”, c'est ce qu'écrit l'historienne, Michelle Perrot, dans La place des femmes : une difficile conquête de l'espace public (Textuel, 2020). Nombreux sont les freins à la candidature des femmes à l'échelle locale.
Pour Françoise Prouvost, ancienne vice-présidente de l'agglomération du Douasis, la sous-représentation des femmes dans la vie politique locale repose sur "le système politique bâti par des hommes et pour des hommes, en fonction des personnalités masculines. Les femmes sont arrivées après et elles ont dû s’adapter. Donc, ou bien, elles rentraient dans le moule qui existait, ou bien elles avaient du mal à percer et ça se passe encore comme ça."
Depuis 2001, dans le Nord et le Pas-de-Calais, le nombre de femmes maires est passé de 15 à 41 personnes sur 250 communes de plus de 3 500 habitants.
Si cette relative progression est à noter entre 2001 et 2014, date des dernières élections, elle fait face à des blocages : "Ma génération, les élus qui ont une soixantaine d'années, a du mal à quitter le pouvoir, les hommes en particulier. De ce fait, ils ont du mal à laisser les jeunes", concède Françoise Prouvost. L'ancienne élu a aussi été présidente du syndicat mixte des transports du Douasis.
Si cette progression de la part des femmes est à noter, c'est en partie parce que "quand on veut renouveler une liste, on va plus aller chercher des femmes que des hommes", explique l'enseignant-chercheur en science politique, Rémi Lefebvre. Cependant, les femmes font de la politique moins longtemps : "Comme c’est plus coûteux pour elles, parce qu’elles s’occupent de la famille, elles arrêtent plus souvent du coup elles montent moins dans la hiérarchie", développe-t-il.
"Le prisme masculin est enraciné dans les institutions"
La distribution genrée des délégations est aussi pointée du doigt."En général, on confie aux hommes les délégations les plus convoitées, les plus importantes : les finances. Aux femmes, on leur propose ce qui est présenté comme féminin, ce sera les écoles, la culture, les services à la personnes, souligne le politiste, une élue me racontait qu'elle avait additionné toutes les délégations des femmes, ça représentait 10% du budget global de la commune."
Une discrimination genrée qui vient "aussi un peu des femmes", pour Françoise Prouvost, "elles ont intériorisé", complète Rémi Lefebvre.
"Elles se sentent plus compétentes dans ces domaines-là. Mais c'est une question où il faut changer les mentalités, les préjugés et il faut travailler en profondeur et en permanence. Ce n'est pas une fois aux élections ou une fois le 8 mars qu'on change les mentalités", répond Michelle Demessine, ancienne adjointe de Martine Aubry, à Lille, de 2001 à 2014.
"Le prisme masculin (...) est aussi enraciné dans les institutions", explique l'ancienne élue lilloise. Solution pour contrer la distribution inégale des délégations : "Il faut s’attaquer à la transition féministe comme on s’attaque à la transition écologique. Et pour ça il faut que dans chaque collectivité, il y ait une délégation aux droits des femmes qui travaille à ça et à contraindre et à repérer les freins."
Pour Véronique Genelle, élue d'opposition sortante à Hallennes-lez-Haubourdin et vice-présidente nationale du collectif Elles aussi, c'est en appliquant "une parité parmi les adjoints", et donc parmi les postes à responsabilité qu'on "changera fondamentalement le fonctionnement".
Mettre en place des aménagements
"Il faut qu’on pense comment organiser la vie démocratique pour que tout le monde puisse participer", réfléchit Michelle Demessine. Car au-delà des mesures contraignantes pour pallier les inégalités, il y a un besoin d'agir sur les "réserves" émises par les femmes. "La réserve est plus forte chez les femmes, donc il faut insister" pour qu'elles rejoignent une liste, souligne l'ancienne vice-présidente à la communauté urbaine de Lille.Les aménagements pourraient passer par des aides financières, par exemple à la garde d'enfants, ou encore sur l'aménagement des horaires, parfois "infernaux" pour "les jeunes mamans, réagit Françoise Prouvost. La question des horaires est vraiment centrale."
Selon Rémi Lefebvre, c'est une question similaire à "la conciliation entre une activité professionnelle et une activité d'élu", notamment pour les salariés du privé.
Permettre une meilleure organisation avec les entreprises serait donc un levier pour inciter à la participation politique. "La balle est dans ce camp-là, déclare Michelle Demessine, si les femmes ne peuvent pas prendre du temps sur leur travail sans être discriminées financièrement et sur leur carrière."
Le cas des petites communes et des intercommunalités
En 2013, une loi sur la parité pour les élections municipales est entrée en vigueur. Problème : elle ne concerne que les listes des communes de plus de 1000 habitants. L'an passé, une proposition qui souhaitait étendre la parité dans les communes de moins de 1000 habitants (soit 74% des communes de France) a été rejetée."Là où la loi n’est pas passée, la parité ne s’est pas faite. Je n’étais pas favorable aux lois qui imposaient la parité, admet François Provost, mais j’ai changé d’avis quand j’ai compris que quand il n’y a pas de loi, il n’y a pas de parité."
Le faible nombre de femmes maires ou adjointes dans ces communes se ressent dans les intercommunalités. Au niveau national, l'Association des maires de France compte 34 % de conseillères communautaires, et 20 % de femmes dans les exécutifs.
Le collectif Elles aussi, par la voix de Véronique Genelle, propose l'envoi par commune "d'un binôme de deux délégués communautaires", et donc un homme et une femme.
Françoise Provost suggère de "ne pas avoir les maires en représentants à l'intercommunalité", une mesure qui toucherait "au cœur du problème" pour Rémi Lefebvre : l'enjeu de pouvoir.
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