Histoire et confinement : les prisonniers célèbres de la forteresse royale de Chinon

L'an de grâce 2020 n'a pas inventé les épidémies ni le confinement. Comment nos ancêtres ont-ils vécu l'enfermement et l'isolation ? Pour ce premier épisode, direction Chinon, où ont été enfermés un comte d'Anjou, une reine d'Angleterre et un grand maître des Templiers.

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Être confiné en période d'épidémie, ce n'est pas la joie. Impossible de sortir sans une petite attestation (dont le modèle vient de changer) certifiant que vous faites vos courses, allez au travail ou promenez le chien. Mais ça pourrait être pire et ça, Geoffroy le Barbu pourrait vous le dire.

Geoffroy III est un comte d'Anjou et de Touraine né en 1040 ou 1041. Petit-fils du terrible comte Foulque Nerra du côté de sa mère, il hérite également de son père, Geoffroy Féréol, des terres du Gâtinais. Ce territoire vaste n'est pas sans susciter la jalousie de son frère cadet, Foulque le Réchin, qui n'a hérité que d'une petite portion des terres de la famille, à savoir la Saintonges, qui lui est contestée par le duc d'Aquitaine, et la modeste seigneurie de Vihiers.

Frères ennemis

De son côté, Geoffroy entre en conflit avec l'église et est excommunié en 1067. Le 4 avril, Foulque Réchin, qui a rallié le soutien de puissants barons, passe à l'attaque, conquiert Angers et emprisonne son frère. Au cours de l'année qui suit, les deux frères se réconcilient puis se brouillent à nouveau et s'affrontent à la bataille de Birssac-Quincé, dans le Maine-et-Loire actuel.

Totalement défait, Geoffroy est emprisonné, d'abord à Loches, puis probablement au château de Chinon, où il passera pas moins de vingt ans. Aucune intercession du comte de Blois voisin ou du roi de France ne fait plier Foulque IV. Après 1094, le fils du comte vieillissant, Geoffroy Martel, libère enfin son oncle.

Mais Geoffroy, désormais surnommé "le Barbu", n'est plus que l'ombre de lui-même. "Il est devenu fou lors de sa captivité", raconte la responsable de la forteresse royale, Marie-Eve Scheffer, "et les quelques sources qui nous sont parvenues le décrivent comme tantôt absent, tantôt exalté". Il meurt probablement vers 1095, après avoir passé plus de la moitié de sa vie enfermé.

Une reine derrière les barreaux

Cette histoire fait relativisier, mais la forteresse de Chinon, comme beaucoup de châteaux forts, a servi plusieurs fois de lieu de confinement pour des personnes indésirables au cours du Moyen Âge. Un siècle après Geoffroy, le château entre dans l'histoire mouvementée des Plantagenêt, une dynastie angevine qui a régné sur l'Angleterre et une bonne moitié de la France du XIIe au XVe siècle.

Tout commence avec un divorce. Le 21 mars 1152, le mariage de quinze ans entre la duchesse Aliénor d'Aquitaine et le roi des Francs Louis VII est annulé après de profonds désaccords entre les époux. Probablement une des personnalités politiques les plus puissantes du royaume, Aliénor est à la tête d'un domaine féodal qui va de Bordeaux jusqu'à l'Auvergne et de la Loire aux Pyrénées. Huit semaines après le divorce, elle épouse le duc de Normandie et comte de Maine et d'Anjou, Henri Plantagenêt.

Deux ans plus tard, en 1154, ce dernier hérite du royaume d'Angleterre et se retrouve à régner sur un vaste territoire que les historiens appelleront l'empire Plantagenêt. Pendant le règne de Henri II, c'est à Chinon que se trouve le centre de gravité de cet empire, comme en atteste le palais du fort Saint-Georges, bâti par les Plantagenêt.
Au cours des vingt ans qui suivent Aliénor met au monde cinq filles et trois fils, dont deux deviendront rois d'Angleterre. Mais la situation entre les époux se dégrade, et la reine se retrouve exclue des décisions du gouvernement. "Aliénor était très proche de ses enfants", raconte Marie-Eve Scheffer. "En 1173, elle pousse ses deux fils aînés, Henri et Richard, à se révolter contre le roi." Cette insurrection est appuyée militairement par les rois rivaux de France et d'Ecosse. Mais la guerre tourne court. Aliénor tente de s'échapper à la cour de son ex-mari, Louis VII, mais elle est arrêtée par les hommes d'Henri II et emprisonnée.

Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'Henri II est rancunier. Ne parvenant pas à faire annuler son mariage avec Aliénor, il l'enferme "de quelques semaines à quelques mois" à Chinon, avant de l'envoyer sous surveillance en Angleterre. Mais sa captivité est loin d'être aussi rude que celle de Geoffroy le Barbu, d'après Marie-Eve Scheffer : "Même enfermée, Aliénor reste reine. On doit plutôt imaginer sa captivité comme une sorte de résidence surveillée." Elle n'est libérée qu'en 1189 lorsque son fils, Richard Ier Coeur de Lion, monte sur le trône à la mort d'Henri II. A soixante-dix ans, elle passera les dix années suivantes à consolider le pouvoir politique de ses descendants. Huit cents ans plus tard, Aliénor d'Aquitaine fascine encore

Barbecue interdit

Le troisième prisonnier célèbre de Chinon est nimbé de mystère. En 1307, l'ordre du Temple, fondé deux cents ans plus tôt lors des croisades, est au pied du mur. D'un côté, en 1291, les croisés ont perdu définitivement la ville d'Acre, la dernière forteresse qu'ils possédaient en Terre Sainte et l'ordre se retrouve privé de sa raison d'être. De l'autre côté, les richesses et les donations amassées en deux siècles d'existence on fait des Templiers une très grande puissance militaire, financière et immobilière, gangrénée par la corruption et attisant la jalousie. Suite à des causes complexes, le roi de France, Philippe IV le Bel, décide de décapiter l'ordre sur fond de conflit avec le Pape Clément V, et fait arrêter tous les templiers du royaume. Par la menace et la violence, les forces du roi extorquent aux moines-soldats des confessions portant notamment sur leur supposée corruption morale et religieuse.

Or en procédant à ces arrestations de masse, "le roi de France remet en cause l'autorité du Pape", explique Marie-Eve Scheffer. Ce dernier, légalement le seul à même de juger un ordre militaro-religieux, prend la défense des templiers et exige d'auditionner à Poitiers soixante-douze de leurs dignitaires, parmi lesquels le grand maître, Jacques de Molay. "Dans un premier temps Philippe le Bel accepte, mais il change d'avis et retient les quatre plus hauts dignitaires de l'ordre à Chinon", dans une tentative de garder le Pape à l'écart et de l'empêcher d'absoudre les templiers.

De son côté, Clément V envoie trois cardinaux enquêter à Chinon, et recueillir les aveux des quatres chefs de l'ordre. Cette entrevue a été consignée dans un document, le Parchemin de Chinon, redécouvert en 2001 et conservé au sein de la bibliothèque apostolique du Vatican. Les trois ecclésiastiques accordent l'absolution aux templiers, mais en 1314 ces derniers, condamnés à la prison à vie, reviennent sur leurs aveux et proclament leur innocence. Déclarés "relaps", autrement dit "retombés dans l'hérésie après l'avoir abjurée", ils sont brûlés sur le bûcher. La scène a d'ailleurs inspiré un nombre massif de mythes et de fictions, comme la saga littéraire des Rois maudits de Maurice Druon.

Finalement, le télétravail, c'est pas si mal.

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