Fondé en 1937, ce journal engagé donne la parole aux femmes depuis près de 80 ans. Il révèle leur quotidien, leurs revendications, et les injustices dont elles sont victimes. En 2019, la rédaction n’est pas au bout de ses combats. Entretien avec sa directrice : Marianne Mairesse.
Marie Claire est l’un des premiers magazines à se soucier de la vie réelle des femmes ! C’est ce qu’affirme Marianne Mairesse, la directrice de la rédaction. A l'occasion de la journée de la femme, nous l'avons rencontrée dans les bureaux du magazine, à Issy-les Moulineaux. Elle raconte les combats d'une rédaction engagée. Les journalistes de Marie-Claire tentent de faire évoluer les mentalités, et faire bouger les lois en faveur des femmes.Marianne Mairesse directrice de la rédaction de Marie Claire / © Marie Claire
Peut-on parler d’un magazine féministe ?
Oui, si pour vous, être féministe, c’est avoir une conscience de l’inégalité qui existe encore aujourd’hui entre les femmes et les hommes. Et féministe, cela veut dire se battre pour aboutir à cette égalité là.
On s’intéresse à la vie des femmes dans ce qu’elle a de plus complet, de plus complexe.
Comment vous démarquez-vous des autres magazines féminins ?
On s’est très tôt éloigné des stéréotypes du féminin. Et on a suivi notre propre voie qui est celle de l’engagement. Il est toujours très vivace et fait de nous un magazine fortement engagé mais aussi un magazine de mode, et un magazine de beauté. On s’intéresse à la vie des femmes dans ce qu’elle a de plus complet, de plus complexe.
On peut aller en Nouvelle Zélande et en Géorgie faire des séries modes, parce qu’on a envie d’inspirer les lectrices, de les faire rêver. Mais on peut aussi s’emparer d’une cause.
Quel fut votre premier combat ?
Le premier combat du magazine fût la bataille pour la contraception. On l’a oublié maintenant, mais la contraception n’est arrivée qu’en 1967. Dés le début des années 60, Marie Claire s’est vraiment emparée de cette question. Elle publiaut des lettres de lectrices qui expliquaient qu’elle n’en pouvaient plus d’avoir des enfants à répétition. Et que 4, 5 , 6 enfants, ce n’était plus une vie pour elles. Cela devenait vraiment difficile au sein de leur couple.
Elle est allée voir les participants du concile Vatican pour défendre le droit à la contraception. Pour expliquer que ce n’était plus possible pour les femmes de ne pas être libre d’avoir des enfants.Marcelle Auclair qui était éditorialiste à l’époque du débat, est allée à Rome, accompagnée de milliers de lettres de lectrices demandant le droit à la contraception.
Donc Marie-Claire a vraiment œuvré pour la vie des femmes. On ne s’est pas seulement contenté d’écrire des papiers, de faire des enquêtes. On a vraiment fait en sorte, que des lois changent, que les esprits s’ouvrent, et que la contestation fasse place à la résignation pour les femmes.
Marianne Mairesse l’affirme fièrement : Marie-Claire ne s’interdit aucun sujet!
Qu'est-ce qui vous distingue des autres magazines féminins ?
Il y a une chose qui nous distingue des autres, c’est que nous n’avons aucun tabou.A partir du moment où une femme vit quelque chose, on en parle. On a peur de rien. On a fait, il y a une quinzaine d’années, une enquête sur les femmes agresseuses sexuelles. Il y a des médecins psychiatres qui nous ont traités de fous car on osait dire que des mères pouvaient agresser des bébés. C’est une réalité ! A l’époque il y a des femmes qui étaient en prison pour cela. Et bien, on n’a pas peur de dire que ça existe !
Les batailles pour la liberté et l’intégrité des femmes s’enchaînent, depuis des décennies.
Pour Marianne Mairesse, l'essentiel, est d’éveiller les consciences pour faire changer les mentalités, et les lois, comme l’allongement du délai de prescription pour les victimes de viols.
Pourquoi l'allongement du délai de prescription est un combat important ?
Il y a trois ans, à l’occasion du 8 mars, on a consacré un grand dossier, sur l’allongement du délai de prescription sur les viols sur mineurs. C’est un combat qui nous semblait essentiel par rapport à tous les témoignages qu’on avait recueillis. On avait reçu beaucoup de témoignages de femmes. On savait que l’amnésie traumatique est un phénomène très concret qui fait que la victime, devant le choc tellement fort d’une agression, en arrive à l’oublier. Cette mémoire peut se réveiller 20, 30 ou 40 ans plus tard. Il était absurde que la prescription ne soit que de 20 ans. On a donc mené une grande campagne, et on a participé à ce débat. Je pense que cela a aussi pesé, pour éveiller les consciences et informer...demander que la loi change. Et la loi a changé. Alors ce n’est pas grâce à Marie-Claire que la loi a changé, mais on a participé à une prise de conscience.
En Août 2018 : Une loi a augmenté le délai de prescription de certains crimes violents ou de nature sexuelle commis sur des mineurs est porté de 20 à 30 ans à compter de la majorité de la victime.
Qu’est-ce que les réseaux sociaux ont changé dans la défense des femmes ?
« Me Too », c’est un hashtag qui a bouleversé la parole des femmes sur l’ensemble de la planète. Vous postez quoi que ce soit aujourd’hui, la terre entière peut le lire. C’est quelque chose qui nous permet de réagir plus rapidement, de nous mobiliser, et surtout d’avoir conscience que nous ne sommes pas seuls mais que nous sommes beaucoup à penser la même chose au même moment.
Il peut y avoir des dérives ?
Evidemment, c’est aussi la possibilité pour tout le monde de dire ce qu’il pense. Y compris les pensées les plus noires et les plus exécrables…Cela crée beaucoup de tumultes et de dérives et on ne peut pas tout dire. Il y a une part sombre. On l’a vu avec l’affaire Yann Moix.
Vous avez évoqué cette affaire dans votre journal ?
Je vais être très claire, Yann Moix a toute sa place dans Marie-Claire.Je n’ai aucun regret, J’assume totalement d’avoir fait son interview. J’assume totalement de l’avoir publiée. Par exemple, il a été reproché au magazine de publier ses propos. Ce qui est complètement fou. Marie Claire a toujours été un magazine ouvert qui se confronte au réel. Yann Moix a fait part de ses goûts personnels. Du moment qu’on se confronte aux paroles de quelqu’un, on fait notre travail de journaliste et tout va bien. Je tiens beaucoup à cette ouverture d’esprit de Marie-Claire. On se confronte au réel, à des choses qui peuvent être choquantes, génantes, dérangeantes. Mais on les affronte.
Quelle place donnez-vous aux femmes des autres pays du monde?
On a une conscience très élevée du sort des femmes dans le monde. On publie un grand reportage chaque mois. Nous sommes allées à la rencontre des militantes kurdes qui montent au front pour combattre l’état islamique. On est assez attentives aux femmes qui se battent contre la charia, contre l’Etat islamique quitte à partir carrément en guerre. On a 31 éditions dans le monde. On a une nouvelle édition en Argentine. On sait que dans ce pays, il y a une femme qui meurt toutes les 38 heures sous les coups de son conjoint. Je suis très fière que Marie-Claire existe en Argentine, qui va aussi être un relais pour les femmes, pour qu’elles puissent témoigner, et se battre. Mais il y a plein d'urgences comme celle-ci dans le monde !
En France, quelles sont les urgences ?
En 2019, l’urgence en France, c’est le combat contre le sexisme !
L’urgence en France, c’est qu’enfin un homme et une femme soient considérés de la même façon dans le travail, dans les droits, soient regardés et perçus de la même façon !
Ce qui nous pousse à être toujours aussi vaillantes pour défendre nos dossiers, c’est l’idée qu’en 2019, une femme soit toujours moins bien considérée qu’un homme. C’est aberrant !
Et c’est pour cela qu’on fait régulièrement des dossiers. Ce qu’on vise c’est l’égalité hommes-femmes ou plutôt l’égalité femmes-hommes.
On est en 2019, et il y a un sexisme extrêmement vivace. Les femmes sont moins bien payées que les hommes. Les femmes ne sont pas suffisamment considérées par la science.
Au sein de cette rédaction avec toute mon équipe, on réagit beaucoup. Et le sort des femmes est loin d’être gagné. Cela fait des dizaines d’années qu’on dénonce le sexisme ! Et cela n’évolue que très très peu... On a fait récemment une campagne politique. On a rencontré Anne Hidalgo, Valérie Pécresse, Brune Poirson. Ces femmes politiques qui nous ont fait part de ce qu’elles vivent au quotidien. C’est aberrant ! Et ça cela n’évolue pas beaucoup. Pour beaucoup d’hommes, une femme qui a le pouvoir, c’est quelque chose de très difficile à accepter. Une femme qui est au pouvoir ne fait pas preuve d’autorité. Elle fait peur d’autoritarisme tout de suite ! Et ça, à Marie-Claire, on le dénonce et on en rend compte.
Effectivement, il y a eu des victoires mais il y a encore beaucoup de combats à mener…
Je vais citer aussi la santé!
L’infarctus n’est pas diagnostiqué chez les femmes. Pourquoi ? Parce que les signaux on ne les connaît pas. Ils sont différents. Cela veut dire que les médecins sont moins formés à diagnostiquer les maux des femmes que ceux des hommes. Et donc il y a des chiffres, autour de 80 % d’infarctus moins bien diagnostiqués chez les femmes que chez les hommes. Donc la santé c’est pareil, c’est un enjeu considérable.3230
Le monde de la technologie est un enjeu primordial ?
La technologie est un phénomène nouveau. On pensait que les femmes allaient s’emparer de ce monde. Car l’enjeu est considérable. En fait non ! Elles sont 33% seulement à travailler dans le numérique. Il n’y a que 10% des femmes qui créent des start-ups. Les chiffres sont vraiment accablants. Et notamment sur des questions concernant l’intelligence artificielle. C’est considérable, car cela concerne des données qui sont rassemblées pour programmer nos vies dans le futur. Quand on pense que ce sont des hommes qui conçoivent ça ! Vous vous rendez compte de ce que cela signifie. Comment faire pour qu’il y ait autant de femmes que d’hommes qui réfléchissent à ces programmes. Parce que c’est notre vie de demain qui est en jeu !Le congé de paternité c’est une des clés vers l’égalité !
Pour la journée du 8 mars, nous mettons l’accent sur le congé de paternité. Le congé de paternité est une des clés vers l’égalité. C’est une des conclusions qui a émergé d’un think thank que nous avons organisé. Il est totalement sous-estimé par la société. Un bon nombre d’hommes et femmes politiques ne se rendent pas assez compte de l’importance très symbolique et concrète du fait que les hommes s’occuperaient enfin beaucoup plus longuement de leurs enfants dés la naissance. Pourquoi ? Parce que la charge mentale des femmes est considérable, et on le sait toutes.Quelque chose de très considérable se joue à la naissance de l’enfant. Comme la femme reste seule avec l’enfant, c’est elle qui va s’organiser autour de l’enfant. Les visites chez le pédiatre, l’organisation, la connaissance de l’enfant aussi, pourquoi il pleure. En fait l’homme, en n’étant pas auprès de l’enfant à la source de l’histoire, à la source du lien , va forcément avoir un rapport beaucoup plus distancié et beaucoup plus lointain à toutes les problématiques de l’enfant.
Nous, on est totalement convaincu du fait que il faut absolument allonger le congé de paternité pour que la question de l’enfant soit à la fois une question de la femme et une question de l’homme.
Marie-Claire préconise de suivre la directive du conseil européen. Le magazine propose un congé de paternité de 4 semaines, au lieu de 11 jours.
La rédaction de Marie-Claire en est convaincue :
Le féminisme doit se faire avec les hommes.
C’est important car pour nous, le féminisme ne peut pas se faire sans les hommes. Et on veut qu’il se fasse avec les hommes ! Et régulièrement ils sont avec nous dans bon nombre de dossiers. Ils témoignent. Par exemple, cette campagne pour l’allongement du congé de paternité , elle est portée par des hommes qui témoignent de la vie qu’ils ont eu en tant que pères, de jeunes pères, de l’importance de ce lien. Et ça c’est important. C’est un féminisme serein, équilibré, volontaire, et qui se fait vraiment avec les hommes.
Depuis 1937, vous avez le sentiment d’avoir fait avancer la cause des femmes ?
Je vais être très franche. Je pense que oui. Vraiment ! On parlait de Me too et de la libération de la parole des femmes. Depuis des dizaines et des dizaines d’années, Marie-Claire chaque mois, rend compte de la vie des femmes. Elles peuvent se confier, parler, témoigner. Je pense qu’on a joué un rôle de prise de conscience, de réflexions, et que parfois on a pu peser à notre niveau, sur des décisions.