Des cols du Tour de France aux pavés de Paris-Roubaix, Bradley Wiggins a suivi une incroyable trajectoire, à l'image de ce coureur fantasque qui se voulait rebelle avant d'être anobli par la reine d'Angleterre.
L'homme, dont les rouflaquettes ont laissé place à une barbe rousse et drue, suscite les sentiments les plus opposés. L'admiration, pour se risquer au défi des pavés dimanche, jour de sa dernière sortie sous le maillot Sky. La déception pour des sorties (Giro 2013, Paris-Nice 2015) déconcertantes, piteuses, qui ont assombri les saisons après son exceptionnelle réussite de l'été 2012.Wiggins, qui aime tant provoquer, se veut différent. Et il l'est, de l'avis de ceux qui l'ont cotoyé à ses débuts professionnels en 2002, Marc Madiot, son premier directeur sportif à la Française des Jeux, Frédéric Guesdon, son coéquipier.
"Il était passionné par les chaussures de coureurs, il se rappelait des miennes quand j'ai gagné Paris-Roubaix (1997), celles de Marc aussi", s'amuse encore Guesdon. "Wiggo", au look de rocker, était alors et surtout un pistard, qui allait rafler trois titres olympiques dans l'atmosphère ouatée des vélodromes avant sa transformation radicale après les JO de Pékin 2008 pour devenir un coureur de grand tour.
La mutation a stupéfait le monde du cyclisme. A l'exception de l'encadrement scientifique de l'équipe Sky qui l'a expliqué par un spectaculaire amaigrissement sans que le Londonien perde pour autant sa puissance dans les "chronos". Une fois le Tour en poche, et une nouvelle médaille d'or olympique (du contre-la-montre) en supplément, Wiggins a éprouvé le besoin de passer à autre chose.
"Le top à mes yeux"
Son dernier défi sur route, avant qu'il s'attaque au record du monde de l'heure (sans doute au début de l'été à Londres), a pris corps l'an passé. A l'étonnement des sceptiques qui l'imaginaient sur le déclin, il intègre le haut du classement de Paris-Roubaix (9e) et imagine une sortie par la grande porte. Dans ce qui est, dit-il, "l'une des courses dont je rêvais quand j'étais enfant".Depuis le début de la saison, le premier Anglais vainqueur du Tour - anobli ensuite par Elizabeth II - a tout axé sur Roubaix. Quitte à se désintéresser ostensiblement des autres épreuves, une fois ses tests en course effectués, et brouiller les cartes. Même le Tour des Flandres, qu'il a couru dimanche en équipier au service du Gallois Geraint Thomas (en espérant un renvoi d'ascenseur une semaine plus tard), ne lui a servi que de préparation.
"Si je gagnais, ce serait énorme, le top à mes yeux", affirme-t-il sans vouloir comparer précisément avec le Tour de France. Trois ans après son défilé des Champs-Elysées, Wiggins n'est plus vraiment le même coureur, ni le même homme. Pas seulement parce que, comme il le dit avec son sens habituel de la dérision, "j'ai arrêté d'acheter des guitares".
Au crépuscule de sa carrière, l'Anglais, alourdi d'une dizaine de kilos par rapport à l'été 2012, rêve d'une conclusion historique. Trente-quatre ans après Bernard Hinault, le dernier vainqueur du Tour à s'être imposé sur le vélodrome nordiste (1981), alors que Wiggins était encore un bébé de 11 mois.
Même Greg LeMond, le grand champion américain qui fait encore aujourd'hui référence pour son talent naturel et ses qualités tout-terrain, a échoué à conquérir la "reine". Madiot résume la situation: "Il n'est pas 'le' favori mais il en est capable."