Azincourt : il y a 600 ans débutait le siège d'Harfleur, prélude meurtrier de la bataille

Il y a 600 ans, en août 1415, l'armée anglaise du roi Henry V débarquait sur les côtes normandes pour assiéger la ville fortifiée d'Harfleur. Un épisode crucial qui déboucha deux mois plus tard sur la bataille d'Azincourt. 

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13 août 1415. Les voiles d'une immense flotte apparaissent devant les côtes normandes, à l'embouchure de la Seine. Très impressionnés, les chroniqueurs de l'époque ont évoqué 1500 navires mais selon les récents travaux de l'historien Craig Lambert, ils étaient probablement deux fois moins nombreux. Ce qui est déjà très imposant !

A bord de ces navires partis deux jours plus tôt du port de Southampton se trouvent environ 11 700 soldats (2500 hommes d’armes et leur suite, 9000 archers et 200 combattants spécialisés dans l’artillerie à poudre, pour la plupart des mercenaires allemands), et toute une logistique de siège, canons, bombardes et chevaux. L'objectif du roi d'Angleterre Henry V, qui s'apprête à commander ses troupes en personne, c'est la ville fortifiée d'Harfleur (3 kilomètres de remparts, 18 tours) où il souhaite établir une tête de pont pour la reconquête de la Normandie, terre de son ancêtre Guillaume le Conquérant. C'est aussi un riche port de commerce à l'époque et un point stratégique qui permet de contrôler l'estuaire de la Seine et l'accès à Paris. 


Une ambition contrariée

Il a fallu au jeune monarque de 28 ans tout le printemps et l'été pour rassembler son armée et sa flotte. Les bateaux sont venus de tout le royaume : Bristol, Londres et même Newcastle au nord de l'Angleterre. Certains ont été achetés en Zélande et en Hollande. La Normandie n'est qu'une première étape pour Henry V, dont l'objectif final est de s'emparer de la couronne de France. Une ambition que nourrissait déjà son arrière-grand-père, Edouard III, petit-fils par sa mère du Capétien Philippe Le Bel. C'est ce qui a déclenché la Guerre de Cent Ans 78 ans plus tôt. En 1415, l'état de santé du roi de France, Charles VI, en proie à des crises de folie régulières, et les violentes divisions des seigneurs français entre Armagnacs et Bourguignons laissent espérer à Henry V une issue rapide et favorable. Mais Harfleur va se défendre beaucoup plus durement et longuement que prévu.


Les premières troupes anglaises débarquent de nuit le 13 août du côté de Sainte-Adresse, où se trouve l'actuelle ville du Havre. Henry V et le gros de son armée mettent le pied sur la terre ferme le lendemain. Le siège ne débute véritablement selon les sources que le 17 ou le 18 août. Les Français avaient anticipé un débarquement anglais en Normandie. Charles VI, dans l'un de ses rares moments de lucidité, avait chargé son cousin le duc Jean d'Alençon de surveiller les côtes. Le connétable Charles d'Albret, premier grand officier de la couronne, est positionné à Rouen, en amont de la Seine, avec des troupes. Mais les Anglais étaient attendus plus au sud, voire à l'ouest, dans le Cotentin, comme l'armée d'Edouard III en 1346. D'après l'historienne anglaise Anne Curry (Agincourt, A New History), ce sont des pêcheurs de Boulogne-sur-Mer qui ont repéré les premiers l'avancée des navires anglais et donné l'alerte. La garnison présente à Harfleur a pu être renforcée in extremis de 400 hommes, ce qui reste bien mince face à la déferlante qui s'annonce. Mais la place est commandée par des chefs déterminés et prêts à en découdre : les sires d'Estouteville, de Gaucourt, de Quitry, de Blainville et de Bracquemont.    

Guerre totale

Henry V, qui a établi ses quartiers au Prieuré de Graville, a confié l'avant-garde à son frère, le redoutable Thomas de Lancastre, duc de Clarence. Trois ans plus tôt, celui-ci avait mené avec ses hommes une terrible chevauchée entre la Normandie et Bordeaux, dévastant tout sur leur passage. Dès l'ouverture des hostilités, les Anglais ne font pas dans la demi-mesure. "Pour commencer, afin de dégager les murailles et permettre à son artillerie de les battre plus efficacement, (Henry V) fit raser toutes les maisons et bâtiments qui se trouvaient autour", explique Dominique Paladilhe dans son livre, Azincourt, 1415. Les assaillants déploient d'impressionnantes machines de guerre. "Il s'en trouvait quelques unes d'une grosseur extraordinaire qui lançaient d'énormes pierres au milieu des tourbillons d'une épaisse fumée et avec un fracas si effroyable qu'on les aurait crues vomies par l'enfer", raconte Le Religieux de Saint-Denis dans sa chronique du règne de Charles VI. Harfleur va être littéralement pilonnée, de jour comme de nuit.


Le 23 août, les habitants font parvenir un message au connétable d'Albret à Rouen pour obtenir des renforts, mais celui-ci ne bouge pas. Préfère-t-il laisser les Anglais se fixer à Harfleur et donner du temps à l'armée royale qui a commencé à se mobiliser laborieusement pour affronter en nombre l'ennemi héréditaire ? Cet immobilisme sera sévèrement jugé au regard des événements qui suivront, certains contemporains accusant même d'Albret de trahison. "Je dois dire, parce que c'est la vérité, que le connétable se compromit en cette occasion aux yeux des gens sages et considérés", écrira quelques années plus tard Le Religieux de Saint-Denis. "Une contestation s'étant élevée à ce sujet dans un conseil de guerre, le bâtard de Bourbon, jeune homme à peine sorti de l'adolescence, d'un caractère bouillant et hardi, l'accusa hautement de trahison, pour avoir défendu qu'on s'opposât au débarquement des Anglais. Ce sentiment était partagé par un grand nombre de seigneurs et de notables bourgeois ; ils assuraient que cette année même, le connétable, faisant partie de l'ambassade envoyée au roi d'Angleterre, avait promis au prince de ne rien faire contre lui, et qu'en conséquence, pendant qu'il était à Rouen, il avait enjoint, de la part du roi, aux gens de guerre qui venaient lui demander des ordres, de se tenir enfermés dans les villages voisins, et de ne point chercher à s'opposer à l'entreprise des ennemis. Telles étaient les accusations publiques que l'on produisait contre cet illustre personnage. Cependant quelques personnes dignes de foi m'ont assuré que ces accusations étaient sans fondement, et que le connétable n'avait donné de pareils ordres que pour montrer le peu de cas qu'il faisait de l'ennemi..."

Un siège d'usure      

Malgré l'absence de renforts, les assiégés résistent et contrarient les plans d'Henry V. "On peut se faire une idée de leur constance, en songeant aux sorties audacieuses qu'ils firent si souvent contre l'ennemi, à la vigueur avec laquelle ils le repoussèrent toutes les fois qu'il chercha à s'introduire dans la ville par les galeries souterraines et les mines qu'il avait secrètement pratiquées", s'enthousiasme Le Religieux de Saint-Denis. Les semaines passent et le roi d'Angleterre n'arrive pas à bout de la place forte. Les conditions sanitaires commencent à se dégrader dans le camp anglais. Les vivres acheminées du pays se sont dégradées sous l'effet de la chaleur estivale et de l'air marin. Les hommes commencent à tomber malades. Beaucoup meurent de la dysenterie. Les cadavres en putréfaction contaminent les puits et les réserves d'eau potable.


Alors que les assaillants à l'extérieur peuvent se livrer au pillage des villages alentours pour se nourrir, Harfleur souffre de l'absence de renforts et de ravitaillement après un mois de siège. Les assiégés, eux aussi, ont perdu beaucoup d'hommes et sont à bout de force. Henry V y voit l'opportunité de négocier une reddition. Une trêve est acceptée jusqu'au 18 septembre mais les portes de la ville ne s'ouvriront que quatre jours plus tard. Les habitants non rançonnables sont expulsés de leurs maisons. Les autres sont faits prisonniers. Malgré quelques dernières poches de résistance, les Anglais sont désormais maîtres de Harfleur, mais à quel prix ?

Déroute française ou fiasco anglais ? 

Certes, la prise du port normand est durement ressentie en France. Elle plonge même le roi Charles VI dans une nouvelle crise. Pas de fureur cette fois, mais d'abattement. "La chevalerie française devint à cette occasion la fable et la risée de tous les étrangers", juge sévèrement Le Religieux de Saint-Denis. "Elle fut raillée dans des chansons injurieuses, pour avoir laissé enlever au royaume l'un de ses ports les plus fameux et les plus importants, sans chercher à le défendre et à sauver ses braves défenseurs d'un honteux esclavage"Pour autant, si Henry V s'est bien emparé d'Harfleur, rien ne s'est passé comme il l'avait prévu. L'automne est déjà là et poursuivre la conquête de la Normandie s'avère une aventure plus qu'hasardeuse. Il a perdu beaucoup trop d'hommes -  près de 2 000 au total selon plusieurs chroniqueurs -  pour affronter l'imposante armée royale française qui s'est enfin rassemblée à Rouen et qui l'attend de pied ferme.


Le roi d'Angleterre se retrouve également privé de plusieurs commandants et proches conseillers tombés au cours du siège. Richard Courtenay, évêque de Norwich, est mort le 15 septembre, et Michael de la Pole, comte de Suffolk​, trois jours plus tard. Thomas FitzAlan, comte d'Arundel, est tombé malade et décèdera le 13 octobre, une fois rentré au pays. Comme lui, plus de 500 combattants blessés ou malades devront être rapatriés de l'autre côté de la Manche, et non des moindres : le frère du roi Thomas de Lancastre, duc de Clarence, en fait partie tout comme John Falstof et William de la Pole (fils du précédent), deux chevaliers qu'on retrouvera 14 ans plus tard face à  Jeanne d'Arc et ses compagnons lors des batailles de Jargeau et Patay.


Craignant une contre-attaque française d'envergure, Henry V doit se résoudre à regagner l'Angleterre au plus vite. Mais une tempête disperse sa flotte. Pour fuir, le roi d'Angleterre n'a pas d'autre choix que de remonter vers le nord pour embarquer à Calais, alors possession anglaise. Il laisse à Harfleur une garnison de 1 200 hommes sous le commandement de son oncle, Thomas Beaufort, comte de Dorset​, et quitte la place forte le 8 octobre avec les 9 000 soldats valides qu'il lui reste. Il compte parcourir les 230 km qui séparent les deux places en seulement huit jours. Mais la fatigue et la maladie qui ont affaibli ses troupes ralentiront la marche, de même que la météo pluvieuse et le harcèlement de l'armée française qui a engagé une course-poursuite à travers la Picardie pour lui régler son compte. Alors qu'il fera tout pour l'éviter, l'affrontement aura finalement lieu à Azincourt, le 25 octobre 1415. Bien qu'en sous-nombre, Henry V et ses hommes décimeront alors la chevalerie française. Le fiasco annoncé se transformera, contre toute attente, en glorieuse épopée pour le jeune souverain.
Une exposition sur le siège de 1415 au Musée du Prieuré d'Harfleur
Depuis le mois d'avril, le Musée du Prieuré d'Harfleur (Seine-Maritime), installé dans une vieille auberge du XVe siècle, consacre une exposition au siège de 1415, avec des éléments d'armures, les blasons des combattants, des dessins et des dioramas reconstituant les différentes phases du siège, ainsi que des maquettes des effrayantes machines de guerre - catapultes, mangonneaux et autres trébuchets - utilisées par les Anglais.

Cette exposition, réalisée par l’Association des Amis du Musée d’Harfleur, se déroule jusqu'au 6 décembre 2015.
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