Il n'était pas "normal" de priver un fils des obsèques de son père: certains prévenus du procès des gens du voyage ayant bloqué l'autoroute A1 fin août en Picardie ont tenté jeudi d'expliquer ce geste de colère collective qui avait suscité une vive polémique.
Sur les douze personnes de cette communauté qui comparaissent devant le tribunal correctionnel d'Amiens pour "entrave à la circulation de véhicules", certains aussi pour "destruction du bien d'autrui par un moyen dangereux pour les personnes" et "vol en réunion", la moitié a nié les faits.
Seuls six ont cependant reconnu leur participation à ce barrage à hauteur de Roye (Somme) durant 14 heures, dans les deux sens, de l'une des autoroutes les plus fréquentées d'Europe, en ce week-end de retour de vacances.
Pour Dimitri Petit, cette manifestation n'était "pas normale" mais le fait "d'empêcher un enfant d'aller dire au revoir à son père, n'était pas non plus normal". Mickael Novella, qui ne "regrette pas" ces faits, a affirmé que "si la première décision de justice avait été bien prise, il n'y aurait jamais eu tout ça". "Des tragédies, des drames, il en arrive souvent, mais, pour autant, tout le monde ne débarque pas sur l'autoroute pour commettre des dégradations. Quand on est en désaccord avec une décision de justice, on fait appel", a rétorqué la présidente, Yasmine Hedin, à cet argument. Il faut faciliter le dossier car "quand on leur parle d'État de droit, ils ont du mal", a alors déclaré Me Jérôme Crépin, l'avocat de trois des prévenus, pour qui ce dossier c'est l'histoire "d'un gosse qui veut dire au revoir à son père".
"Geste de désespoir"
A l'origine de ce mouvement de colère : un triple homicide quatre jours plus tôt dans leur communauté à Roye et le refus de la justice de laisser sortir de prison le fils de l'une des victimes, le temps d'assister aux obsèques. Cette décision avait déclenché la fureur des gens du voyage qui avaient décidé cette spectaculaire action pour faire pression sur la justice. La cour d'appel d'Amiens avait finalement autorisé cette présence aux funérailles. Les gens du voyage avaient levé aussitôt le barrage. "C'était un geste de désespoir. Dans cette histoire, nous étions victimes avant d'être manifestants sur l'autoroute", a affirmé avant l'audience Joseph Dorkel, porte-parole de la communauté des gens du voyage et proche de certains prévenus, regrettant la "stigmatisation" de cette communauté en France.Et de s'insurger devant la forte présence policière encadrant le procès: "Je ne comprends pas (...) on n'est pas des terroristes. Notre pays, on ne l'attaque pas !". L'avocat de deux des prévenus, Stéphano Daquo, comparant au passage ce blocage aux manifestations d'agriculteurs et de taxis, a lui aussi reconnu son caractère "hors norme". Mais "quand vous apprenez que vous avez perdu votre frère, votre soeur, dans des circonstances profondément atroces (...) et que l'on empêche l'un des vôtres de venir se recueillir sur la tombe de son père, je pense qu'on peut comprendre qu'il y ait une réaction épidermique", a-t-il justifié devant la presse. Pour Me Crépin, "s'ils ne faisaient pas partie des gens du voyage, ils n'auraient pas été traités comme ça". La société d'autoroute Sanef, qui avait annoncé avoir perdu un demi-million d'euros à cause du blocage (dont 100 000 euros représentant le coût des dégâts), la communauté de commune du grand Roye, un garage et l'Opsom (Office public de l'habitat en Somme), ainsi qu'un usager de la route, se sont portés partie civile. Dans une lettre adressée au procureur, ce dernier a expliqué avoir subi un préjudice: bloqué pendant quatre heures sur l'autoroute, il avait raté son train. "Dois-je aussi bloquer l'autoroute pour me faire rembourser ?", a-t-il ironisé dans son courrier.
Le parquet rendra ses réquisitions vendredi et la décision devrait être donnée la même journée, selon la présidente.