"Madame, madame, choisissez-moi s'il vous plaît !": des dizaines de migrants désirant quitter la "Jungle" supplient, bras en l'air, trémolos dans la voix et regard plein d'espoir, de pouvoir monter dans le car partant mardi matin pour un Centre d'accueil et d'orientation (CAO), loin de Calais.
Hier réticents, ils sont désormais de plus en plus nombreux à opter pour un départ vers l'un des 161 CAO disséminés partout en France, après avoir reconsidéré leur projet de vie, mais aussi parfois par dépit. Victimes de leur succès, ces centres engorgés laissent cependant sur le carreau une grande partie des candidats qui attendaient leur tour et ne comprennent pas pourquoi certains cars repartent à moitié vide.
"Il n'y a presque personne dans ce bus ! J'attends ici depuis hier soir et une fois de plus, je n'ai pas été choisi. C'est la septième fois que je viens, pour
autant d'échecs", confie Achraf, un Soudanais portant un simple baluchon. Ce mardi matin, seules 22 places étaient disponibles dans ce car d'une capacité de 60 passagers en partance pour Challans et les Sables-d'Olonne (Vendée).
"Tout le monde n'a pas pu partir, le dispositif est victime de son succès. Il est amené à monter en puissance", explique, gilet orange siglé "préfecture" sur le dos, Georgia Fayet, chargée de mission à la direction de la cohésion sociale de la préfecture du Pas-de-Calais. Avant un démantèlement "rapide" de la "Jungle", promis début septembre par Bernard Cazeneuve, les autorités privilégient la méthode douce en s'appuyant sur ce mécanisme, noeud de la politique migratoire, pour désengorger le plus grand bidonville de France, où vivent entre 6 900 et 9 100 personnes.
Le gouvernement compte ainsi avoir créé 12 000 places d'hébergement d'ici à la fin de l'année pour évacuer les migrants de Calais et Paris,
selon un "relevé de conclusions" révélé mardi par le Figaro, qu'a pu consulter l'AFP. Il chiffre à 8.200 le nombre de nouvelles places encore à créer compte-tenu de l'existant.
"Partir loin de Calais"
Mais en attendant, sur le terrain, la théorie se heurte à la pratique... La jeune femme de la préfecture porte sur elle la lourde charge de sélectionner,avec l'aide de travailleurs sociaux, les quelques élus du jour qui pourront "monter dans le bus", faute de places suffisantes dans les centres. La scène frappe par sa dureté : un cordon de policiers bloque une rangée d'environ 150 migrants, certains ayant dormi sur place pour espérer se retrouver aux avants-poste, criant de désespoir dès que la représentante de l'Etat réapparaît.
Ils portent un simple sac à dos ou en plastique avec quelques effets personnels, mais la plupart arrivent les mains vides. Elle désigne alors un homme qui sort avec une canne de la foule, le visage qui s'illumine. Il entame immédiatement des pourparlers pour que son ami puisse le suivre. "Plus de place", lui rétorque-t-elle. Il partira, seul.
"Stop, finish !"
"Nous choisissons en priorité des sujets vulnérables, repérés par les travailleurs sociaux, qui nécessitent un accompagnement particulier", explique Mme Fayet. Hussein a également eu cette chance. Parti de Syrie voici un an et vivant seul dans une tente de la "Jungle" depuis janvier, il souffre d'un lumbago. "J'ai tenté à plusieurs reprises de rejoindre l'Angleterre, en vain. J'en peux plus, je suis fatigué! Je veux partir loin de Calais et demander l'asile".Quelques minutes plus tard, Mme Fayet contourne la rangée et revient aux côtés d'un mineur soudanais, timide et resté en retrait: "Nous devons proposer ces places à tout le monde et faire attention que ceux qui jouent moins des coudes ne soient pas désavantagés", précise-t-elle.
"Stop, finish !", lance-t-elle ensuite, les bras croisés en l'air. La déception se lit sur de nombreux visages. Certains tentent de négocier mais la jeune fille, navrée, explique qu'un autre bus partira dans l'après-midi, avec 25 places, pour Nîmes et les Pyrénées orientales. "A tout à l'heure", glisse, confiant Achraf, avant de rejoindre ses amis malheureux du jour.