Témoignage. Traversées de la Manche : Osama, 20 ans, cherche son père disparu dans un naufrage au large de Calais

Il y a dans son regard, une pointe de désespoir. Pourtant, depuis qu'il a fait naufrage avec d'autres migrants au large des plages du Calaisis, Osama fait tout pour retrouver son père, son modèle. Ensemble, ils ont quitté la Syrie pour rejoindre des membres de leur famille installés en Angleterre. Le jeune homme attend et raconte son histoire. Et celle de son père toujours porté disparu.

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Sur la banquette de l'association calaisienne La Margelle, Osama a l'air un peu perdu. Mais déterminé. Comme un ultime devoir à accomplir pour ne pas décevoir son père.

Tous les deux sont montés sur une embarcation, la nuit du 22 au 23 octobre 2024 sur la plage de Sangatte (Pas-de-Calais). Il raconte : "Le soir, nous sommes partis nous cacher dans une sorte de château abandonné. Vers minuit 45, nous sommes allés nous cacher dans les dunes avant de rejoindre la plage, une heure plus tard."

C'est là qu'ils retrouvent les passeurs. Ils sont, d'après lui, 70 migrants. Osama poursuit : "On a commencé à embarquer mais il y avait de l’eau qui entrait dans le bateau. On est descendus pour revenir vers la plage mais il y avait 5 passeurs qui nous ont poussés, ils nous ont dit que c’était normal. Ils nous ont forcés à remonter sur le bateau. On avait avancé de 2 ou 3 kilomètres dans la mer quand le côté droit du bateau a explosé. D’habitude, sur les bateaux, les parties sont séparées, si une se dégonfle, pas les autres. Mais là, une moitié du bateau s'est séparée, elle a chaviré et tout le monde est tombé à l’eau. On a essayé de se tenir aux restes du bateau. Certains ont pris de l’essence sur eux, ont été brûlés. Moi aussi, j’ai une brûlure au 2e degré du bas du dos aux jambes". Des brûlures provoquées par le mélange d'eau de mer salée et d'essence.

Dans la nuit noire, la panique gagne alors les naufragés. "Tout le monde criait. J’ai entendu qu’il y avait un mort, c’était l’hystérie. On essayait de tenir, pour survivre. Deux ferries sont passés, ils nous ont vus, il y avait la lumière sur nous, mais ils ne nous ont pas porté assistance. L'un des ferries a appelé les gardes-côtes français. Ils sont arrivés plus d’une heure après. On a commencé à avoir des morts, on a commencé à perdre des gens". 

 

On a commencé à avoir des morts, on a commencé à perdre des gens.

Osama, rescapé du naufrage du 23 octobre 2024.

"Personne n’avait de gilets de sauvetage. Les passeurs nous avaient dit qu’ils nous les donneraient sur la plage. Ils nous ont dit que ceux qu’ils voulaient nous donner étaient endommagés."

D'une voix calme et posée, le jeune homme poursuit son récit : "J’ai vu des morts, des gens avec nous sur le bateau, je sais que des gens ont été emportés par le courant, je n’ai pas pu voir si c’était mon père".

La recherche de son père

La famille d'Osama est originaire d'Alep en Syrie. Pays en guerre qu'ils ont quitté quand il avait 7 ans pour fuir en Turquie. Pendant 13 ans, ils ont été réfugiés à Izmir avec ses frères, sœur et parents.

Et puis, il y a un an, il a pris l'avion avec son père pour rejoindre la Grèce. Première étape d'un périple à travers l'Europe pour rejoindre deux de ses frères qui ont réussi ce périlleux voyage. Ils vivent désormais en Angleterre.

Ossama Ahmed raconte : "J’ai perdu de vue mon père quand le bateau s’est ouvert en deux. Certains sont restés accrochés aux côtés du bateau et moi j’étais sous l’autre partie du bateau retournée. Il devait y avoir 50 mètres entre les deux. On criait "à l’aide !" Je ne l’ai pas cherché tout de suite, je pensais qu’il était accroché au bateau. C’est quand on est venus nous aider que j’ai commencé à poser des questions aux autres migrants. Je demandais si quelqu’un avait vu mon père. Certains m’ont dit qu’ils l’avaient vu accroché, d’autres non. Je n’avais pas encore réalisé que je l’avais perdu. Je me disais qu’il était là quelque part ou à l’hôpital. J’ai passé les 8 jours suivants à le chercher à droite et gauche, à demander à certains blessés".

Les corps retrouvés en mer ou sur les plages

À chaque corps retrouvé depuis, Osama espère et désespère. "D’autres ont commencé à trouver leurs proches morts dans le naufrage. La plupart ont réussi à traverser depuis, je suis le seul à être resté là, à Calais."

Tous les jours, il poursuit ses recherches, se rend au commissariat, à l'hôpital. "La police a fait un prélèvement de mon ADN, si jamais ça matche avec quelqu’un. Ça fait déjà une semaine et je n’ai pas de nouvelles. J’espère toujours qu’il est en vie. Je n’arrive pas à l’imaginer mort. J’ai peur qu’il soit parmi ces gens retrouvés. J’espère qu’il est quelque part, dans un autre pays européen. J’attends de ses nouvelles. (...) Je vais à la police tous les jours, j’attends 4 ou 5 heures... Ils ont pris des informations, des photos, quels vêtements il portait, quelles marques il a sur son corps. Il portait une bague depuis très longtemps avec son nom inscrit à l'intérieur et il n’arrive plus à la retirer depuis un moment".

Quitter Calais ?

À la question de savoir s’il envisage de quitter Calais, la réponse est claire : Non. "Je ne pense pas à traverser. Je n’ai pas envie de quitter Calais pour le moment. J’ai l’impression que mon père va revenir un jour. Il y a des endroits, un parc où j’allais avec mon père. J’y retourne depuis et j’ai toujours du mal à en partir… Tant que je n’ai pas de nouvelles de mon père, je ne me vois pas quitter Calais. C’est trop dur pour moi. Je me demande si mon père n’a pas été sauvé par quelqu’un, c’est pour ça que je témoigne".

Quand on lui demande qui était son père, un sourire envahi son visage avant qu'un voile de tristesse ne lui fasse baisser les yeux, au bord des larmes. Il commence, ému : "C’est la plus belle personne que j’ai connue. C’est la personne la plus gentille que j’ai rencontrée. Il est très respectueux avec tout le monde, très gentil envers les enfants, les adultes, les personnes âgées. C’est quelqu’un de très croyant. Même avant de tenter la traversée, 30 minutes avant, sur la plage, il s’est arrêté pour la prière. C'est mon exemple dans la vie".

Sa jeunesse le pousse à ne pas perdre espoir. Sa mère, ses frères, restés en Turquie comptent sur lui. "Ces derniers jours, je me prépare à recevoir une mauvaise nouvelle. J’ai besoin de le trouver pour pouvoir avancer. J’ai peu d'espoir de le retrouver vivant, mais j’ai besoin de le voir". 

Avec Flavien Bellouti / FTV.

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