Le procès de Fabienne Kabou, qui a noyé sa fille Adélaïde, 15 mois, le 19 novembre 2013 à Berck-sur-Mer s’ouvre lundi à la Cour d’Assises du Pas-de-Calais à Saint-Omer. Que s’est-il passé ? Qui sont les acteurs du procès ? Rappel.
Les faits
Le 20 novembre 2013, un pêcheur de crevettes découvre le corps d’une fillette morte sur la plage de Berck-sur-Mer. Les enquêteurs concluent à une noyade et il leur faut une dizaine de jours pour retrouver la mère de l’enfant, dont on découvre alors l’âge : 15 mois et le prénom : Adélaïde.La mère, elle, s’appelle Fabienne Kabou. Française née au Sénégal, elle a 36 ans au moment des faits. Elle vit à Saint-Mandé dans la région parisienne, avec son compagnon, Michel L., le père de l’enfant.
Aux enquêteurs qui viennent chez elle, Fabienne Kabou raconte d’abord avoir amené Adélaïde chez sa mère au Sénégal (c’est aussi la version qu’elle a donnée à son compagnon). Mais devant l’évidence, elle admet rapidement avoir amené Adélaïde à Berck pour la noyer. Le Parisien, qui a eu accès au dossier, rapporte ses déclarations sur le jour où elle a abandonné sa fille à la mer :
« C'est comme si il y avait un projecteur braqué sur moi, qui me guidait parce qu'il y avait de l'obscurité (…) À ce moment-là, j'ai vraiment très peur. (...) Je m'arrête. (Adélaïde) a un petit sursaut, comme si elle venait de se réveiller. Elle devait chercher mon sein. Je lui donne le sein. Je reste debout, je la serre contre moi et puis là, je ne sais pas, je dis non, non, non, j'arrête pas de dire non, je ne sais pas pourquoi. Je pleure, et comme si je disais à quelqu'un je ne peux pas faire une chose comme ça, mais je le fais». Elle l’abandonne à la marée montante. Depuis le 30 novembre 2013 Fabienne Kabou est détenue à la maison d’arrêt de Sequedin. Dès ce lundi et jusqu’au 24 juin, elle sera jugée par la Cour d’Assises du Pas-de-Calais à Saint-Omer pour avoir assassiné sa fille. La préméditation a été retenue.
L’enquête
Après la découverte du corps de la fillette, les enquêteurs trouvent à proximité une poussette abandonnée. Un hôtelier, qui a pris connaissance des faits, dit avoir accueilli dans son établissement à Berck-sur-Mer une femme, enregistrée sous le nom de Fabienne Cabou, entre le 19 et le 20 novembre 2013. Venue avec un enfant dans une poussette, elle repart sans. Les enquêteurs cherchent alors à établir par quels trains cette femme aurait pu arriver à Berck, via la gare de Rang-du-Fliers. Il y a notamment ceux venus de Paris. Dans des vidéos de surveillance de la Gare du Nord à Paris, une femme aperçue le 18 novembre avec une poussette et un bébé correspond à la description faite par l’hôtelier. A Berck, plusieurs témoins déclarent avoir échangé avec elle lorsqu’elle cherchait un hôtel et un bus.Même si Fabienne Kabou n’a pas cherché à se cacher, elle n’est pas facile à retrouver : elle n’a plus de documents administratifs depuis longtemps.
Avec le nom donné par l’hôtelier, les enquêteurs retrouvent finalement la trace d’une Fabienne Kabou, domiciliée à Saint-Mandé, dans la région parisienne, chez Michel L. L’homme reconnaît être le compagnon de Fabienne Kabou mais pas le père de l’enfant, qu’il croit partie au Sénégal chez sa grand-mère. C’est ce que lui a raconté sa compagne.
Après avoir été interrogé par les enquêteurs, il n’est pas mis en cause.
Fabienne Kabou, également retrouvée à Saint-Mandé, ne cherche pas à se soustraire à la justice. Elle avoue rapidement le meurtre de sa fille. Chez elle, des billets de train pour Berck et des bottes salies par le sable l’accusent.
Les enquêteurs ne trouveront pas dans l’appartement des traces évidentes qu’un enfant a récemment vécu là. L’ordinateur, montre que Fabienne Kabou s’est renseignée sur les horaires des marées et les trains pour Berck. Elle est partie sans couche ni nourriture pour sa fille. C’est ce qui convaincra les enquêteurs : son geste était prémédité.
Les acteurs du procès
Adélaïde, la victime, avait 15 mois quand elle est morte noyée par sa mère à Berck. Fabienne Kabou a accouché seule dans son appartement, sans déclarer l’enfant. C’est la justice qui lui donnera un état-civil après sa mort et établira sa date de naissance. L’enfant a été enterrée dans le carré des indigents au cimetière de Boulogne-sur-Mer, en présence de ses grands-parents maternels et de quelques employés du cimetière. Sa tombe ne porte pas de plaque jusqu’à ce que la mairie de Boulogne-sur-Mer ne décide d’en déposer une.« On s’attend à voir une pauvresse un peu rustre et c’est une princesse qui apparaît », prévient son avocate, Fabienne Roy-Nansion à propos de l’accusée, Fabienne Kabou. Ce n’est qu’un des paradoxes de Fabienne Kabou : une mère que son compagnon estime « exemplaire », qui prend soin de sa fille et qui pourtant, la tue. Une femme d’une « grande intelligence », étudiante en philosophie, qui rédige une thèse sur la théorie du réel. Elle évoque des voix qu’elle entend bien avant la mort d’Adélaïde, une « machine » qui se met en marche et la pousse à commettre l’irréparable mais ne se croit pas « folle » ou malade. Les experts psychiatres évoquent une possible « altération » de sa volonté au moment des faits : elle n’est pas malade mais "sa structure psychique est largement influencée par des références culturelles et une histoire individuelle liées à la sorcellerie sénégalaise et à un fonctionnement magico-religieux ayant modifié radicalement son rapport au monde", affirme une expertise. Fabienne Kabou est née en 1977 au Sénégal, elle est française et dit avoir été élevée dans la culture occidentale. Pour son avocate : « elle appelle ça de la sorcellerie mais sans vraiment y croire. Elle cherche dans sa culture un moyen d’expliquer ce geste qu’elle-même ne comprend pas».
Reportage : M. Schelcher et D. Dumont
Le père d’Adélaïde, ses grands-parents maternels et trois associations de défense des enfants se portent parties civiles.
Michel L. père d’Adélaïde a cru ce que lui avait déclaré sa compagne avant son départ pour Berck : elle emmenait leur jeune fille chez sa grand-mère au Sénégal. Agé de près de 30 ans de plus que Fabienne Kabou, il est marié mais séparé, retraité et déjà père d’une fille.
Sculpteur, il partage sa vie avec Fabienne Kabou depuis 12 ans dans un loft de Saint-Mandé dans la région parisienne. Son implication dans l’éducation d’Adélaïde sera très probablement questionnée au moment du procès. Il avait d’abord prétendu ne pas être le père d’Adélaïde, ne s’est pas soucié de sa déclaration à l’état-civil, avait cru sa compagne quand elle lui avait assuré l’avoir fait, tout comme il l’avait cru quand elle avait annoncé son départ pour le Sénégal. Il n’avait cherché ni à accompagner sa fille et sa femme, ni à connaître sa belle-mère, à qui il croyait confier sa jeune enfant. Il se sépare rapidement des effets personnels d’Adélaïde après son départ, notamment de ses jouets.
Une dispute entre Fabienne Kabou et Michel L. aurait entraîné le départ de Fabienne Kabou pour Berck. Une « broutille », selon lui.
Les grands-parents maternel d’Adélaïde se portent aux aussi parties civiles. Pas à charge, ils « soutiendront l’action publique pour peu qu’elle soit compréhensive et bienveillante », explique Fabienne Roy Nansion, avocate de Fabienne Kabou.
Ils ont découvert l’existence de leur petite-fille au moment de son décès et ont été les rares personnes présentes à son enterrement. La mère de Fabienne Kabou, qui ne vit pas au Sénégal mais en Espagne, avait sa fille au téléphone presque toutes les semaines, mais celle-ci n’avait pas mentionné l'existence Adélaïde.
Fabienne Kabou vivait apparemment très seule, coupée du monde et n’avait pas d’échange avec son père.
Parmi les associations qui se portent parties civiles, l’Enfant Bleu, qui lutte contre la maltraitance faite aux enfants, estime que les proches de l’accusé ne suffiront pas à représenter « au mieux » Adélaïde dans cette affaire. L’avocat de l’association cherchera à démontrer la thèse suivante : « Adélaïde, enfant non désirée de parents formant un couple bancal, est devenue une gêne pour sa mère qui a souhaité s’en débarrasser. »
Me Jean-Philippe Broyart, avocat de l'association Enfance et partage, autre partie civile au procès, a déclaré à propos de Fabienne Kabou sur France Inter : « (…) elle est, juridiquement et pénalement parlant, responsable de ses actes. Mais il y a de toute façon depuis une vingtaine d'années une évidence : de moins en moins d'abolition du discernement sont prononcées par les psychiatres. »
La troisième association parmi les parties civiles est La Voix de l’Enfant, assistée par Me Sylvie Fenart.