"On est plus fort qu'ils ne le pensent et ils sont plus fragiles qu'on ne le croit" : dans "Merci patron !", en salles mercredi, cette maxime, érigée en morale, entend raviver la lutte des classes et rappeler l'impact des combats militants. (Bande annonce)
Première réalisation du journaliste François Ruffin, ce documentaire en forme de satire sociale blâme les pratiques de Bernard Arnault, première fortune de France, et notamment l'impact humain de son ascension dans le Nord en peignant le combat "de pieds nickelés picards contre le Goliath du luxe".Dans la peau d'un candide qui cherche à réhabiliter l'image du patron de LVMH, très écornée dans la région en raison de la fermeture de plusieurs de ses usines, Ruffin suit les mésaventures d'un couple au chômage depuis 2007, en fin de droits et toujours en recherche active d'emploi mais au bord de la rupture.
Serge et Jocelyne Klur sont d'anciens employés d'Ecce à Poix-du-Nord (près de Maubeuge), une filiale du groupe LVMH jadis chargée de la confection des costumes Kenzo avant que l'usine ne soit délocalisée en Pologne en raison d'une main-d'oeuvre devenue "trop chère". Ils risquent de voir leur maison saisie en raison d'une dette d'assurance de 25.000 euros. Or, ils ne touchent "que 400 euros par mois".
"Avec toutes ces délocalisations, la fraude fiscale, l'enrichissement des puissants, on est dans un degré d'obscénité sans pareille aujourd'hui", explique M. Ruffin, rédacteur en chef du journal satirique Fakir. "Or, quand vous voyez l'injustice avec un nom, un visage, une voix, ça vous prend au corps et vous donne une force pour aller affronter l'adversaire. En montrant leur histoire, j'espérais qu'on arrive à partager cette injustice et qu'on trouverait un chemin pour la réparer", poursuit-il, affublé ironiquement d'un t-shirt "I love Bernard".
'Dialogues dignes d'Audiard'
Auteur du pamphlet "Les Petits soldats du journalisme", collaborateur du Monde diplomatique et longtemps reporter pour l'émission "Là-bas si j'y suis" de Daniel Mermet sur France Inter, François Ruffin ne se définit pas comme un réalisateur. "J'ai fait un film par hasard", dit-il.Avec Michael Moore comme modèle -"j'ai appris à parler anglais avec ses films"-, il connaît depuis plus de sept ans le couple Klur, déjà présent dans plusieurs de ses précédents reportages, mais l'idée d'en faire les personnages principaux d'un documentaire vient sur le tas. "Il y a un personnage extraordinaire envoyé par la direction de LVMH. C'est lui qui, finalement, tient les discours les plus critiques avec des dialogues dignes d'Audiard ! Evidemment, il nous explique que +Bernard Arnault ne peut pas s'amuser à sauver toutes les personnes qu'il a fait licencier. C'est pas l'abbé Pierre!+",
s'amuse le réalisateur.
Documentaire incarné et engagé, "Merci patron !" use de l'humour pour faire passer ses messages, dont la réhabilitation du combat syndical : "Le film, c'est Bernard Arnault qui l'écrit. J'espère qu'il ne va pas me réclamer des droits d'auteur !", ironise le "journaliste militant".
"C'est la principale vertu de ce film : les spectateurs ne vont pas apprendre grand-chose, c'est pas très cérébral, mais ça doit les faire rigoler, les émouvoir, les surprendre, les venger même, quelque part, des super-riches. Et les gens vont en sortir, j'espère, enthousiastes, regonflés, prêts à des combats. Quand on sait comment la gauche a le moral dans les chaussettes, c'est pas inutile...".
Le film, qui abîme l'image du géant mondial du luxe, n'est pas à l'abri d'un référé pour contrarier sa sortie, même s'il a été retouché après le visionnage par deux avocats. Mais François Ruffin se veut confiant : "Depuis 2005 que je titille Bernard Arnault, il réagit de façon intelligente : il ne réagit pas".