L'approche du démantèlement de la "Jungle" de Calais oblige l'Etat à trouver des milliers de places pour héberger les migrants partout en France, une perspective qui inquiète dans certaines communes.
Selon un document interne du ministère de l'Intérieur révélé mardi, 12 000 places environ seront nécessaires d'ici la fin de l'année pour héberger les migrants venus du campement calaisien, qui ne cesse de grossir, et du futur centre de pré-accueil de Paris, qui orientera les migrants vers un hébergement plus pérenne. Toutes les régions, sauf l'Ile-de-France et la Corse, seront sollicitées. Compte tenu de l'existant, "8 200 nouvelles places" en centres d'accueil et d'orientation (CAO) doivent encore être créées pour les héberger le temps qu'ils réfléchissent à une éventuelle demande d'asile, et "les orientations devraient commencer à la mi-octobre".
Pour l'Etat, le défi est immense, et s'inscrit dans le droit fil d'une "réponse équilibrée, associant humanité et fermeté, à la crise migratoire", selon Beauvau. Car il faut trouver les fameux hébergements, dans des centres de vacances, des locaux de La Poste ou d'EDF... Le ministère de l'Intérieur se veut rassurant sur la coopération avec les élus : si le document dévoilé mardi estime que le recensement en amont des sites peut se faire sans leur aval, "ensuite bien entendu il y a une concertation" avec eux.
Réunion houleuse
Mais la perspective fait grincer des dents. A Forges-les-Bains (Essonne), le futur centre d'accueil pour migrants a été incendié la semaine dernière, et à l'issue d'une réunion d'information houleuse des aménagements ont été consentis (sur la capacité notamment : 91 places). Dans la Drôme, c'est à Allex (2 500 habitants) que la création d'un CAO fait question, dans un château qui accueillait jusqu'à fin 2015 un centre géré par le diaconat protestant. Une manifestation d'opposition organisée par le Front National a réuni 200 personnes samedi (autant qu'une contre-manifestation) et un référendum local est prévu le 2 octobre.A Bruniquel (Tarn-et-Garonne), 24 migrants sont attendus dans une ancienne gendarmerie appartenant au conseil départemental. "Nous n'étions pas candidat. Mais le préfet est venu devant le conseil municipal qui ne s'est pas opposé au projet", a expliqué le maire DVG Michel Montet, reconnaissant que cette décision avait amené des critiques parmi les 670 habitants de la commune. A Saint-Brévin (Loire-Atlantique), le maire DVD Yannick Haury a publiquement regretté avoir été "mis devant le fait accompli" avec l'arrivée prévue de 70 migrants dans un centre de vacances d'EDF...
Sujet politique
A moins de huit mois de la présidentielle, le sujet est éminemment politique. Le président (LR) de la région Paca Christian Estrosi s'est inquiété mardi de la création de "micro jungles de Calais". Et le FN ne perd pas une occasion de dénoncer ces projets, que ce soit localement lors des manifestations ou réunions publiques, ou au niveau national en vilipendant le projet de répartition comme "parfaitement irresponsable". Le président du groupe FN au Conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes, Christophe Boudot, a ainsi parlé de "communes sacrifiées sur l'autel du "vivre-ensemble dans l'insécurité"". Ces inquiétudes ne sont pas nouvelles. A Pouilly-en-Auxois (Côte d'Or), commune pionnière, l'arrivée de migrants avait divisé les 1 600 habitants du village en février 2015. Un an plus tard, les migrants "vivent comme nous, avec nous", affirme le maire (SE) Bernard Milloir. Un phénomène classique, estime-t-on au ministère de l'Intérieur, où l'on souligne que les protestations restent minoritaires : "En général les inquiétudes apparaissent là où il n'y a pas de migrants, mais quand le centre est ouvert ça se passe bien."A Peyrat-Le-Château, commune limousine de 926 habitants, le maire (PS) Stéphane Cambou témoigne ainsi de son expérience d'accueil, depuis novembre, d'un flux constant d'une cinquantaine de réfugiés de Calais, dans une colonie de vacances d'EDF. "Tout ne s'est pas fait sans heurt", notamment au niveau des habitants "parfois réticents et inquiets. Mais pour finir tout se passe bien" et "les migrants eux-mêmes ont trouvé leur place". Clé du succès selon lui : "Nous avons montré à la population que nous avions mis en place tous les processus pour encadrer cette structure." Et "le monde associatif a joué le jeu".