Dans les locaux de l'association Apic Mx, les mots sont durs contre le futur patron de la CGT.
Thierry Le Paon, 52 ans, ex-chaudronnier chez Moulinex et l'un des meneurs du mouvement contre la fermeture de l'entreprise bas-normande pour la CGT, n'a pas laissé que des bons souvenirs parmi ses anciens collègues.
Ceux notamment qui se battent encore aujourd'hui, plus de 10 ans après la liquidation du géant de l'électroménager et de ses 3000 emplois, pour faire valoir les droits des anciens salariés.
Ils sont regroupés au sein d'une association, l'Apic Mx, un collectif créé en janvier 2004, dont la véritable dénomination est "Accompagner Professionnaliser Insérer Créer Moulinex". Le leader de la CGT ne s'est jamais investi dans cette aventure-là.
Thierry le Paon, peu connu du grand public, apparaît comme un homme de consensus et de dialogue, plus pragmatique qu'idéologue. Le mieux placé pour succéder à Bernard Thibault. Une bouée de sauvetage alors que de guerre lasse, cadres et dirigeants souhaitent mettre un terme à la crise qui affaiblit le premier syndicat français au moment où le gouvernement socialiste lance le dialogue social.
Pragmatique, il a su l'être, assurément, durant le lourd conflit qui a opposé salariés et direction de Moulinex, de 1996 à 2001. Au point de siéger au conseil d'administration de Moulinex et de forcer le respect du PDG de l'époque, Pierre Blayau, pourtant réputé intraitable, qui le qualifiait de "syndicaliste de haut vol".
C'est sur les ruines de la plus grande catastrophe industrielle de la région après la fermeture de la SMN, que Thierry Le Paon a fait sa carrière syndicale, prenant les rênes de la fédération du Calvados dès 2001 avant de diriger la CGT Normandie, jusqu'au poste suprême où il devrait être désigné ce mardi 16 octobre.
Mais aux yeux des autres représentants syndicaux de l'époque, ceux de la CFDT et de SUD, il a failli à sa mission de défense des salariés durant le long combat judiciaire qui a suivi la fin de Moulinex pour obtenir l'indemnisation de tous ces salariés sacrifiés, licenciés en 2001 "sans cause réelle ni sérieuse".
C'est ce que montre le reportage ci-dessous de Rémi Mauger et Cyril Duponchel qui ont interviewé Jean-Louis Jutan, vice-président ApicMx, Lionel Muller, secrétaire Apic Mx militant CGT et Maguy Lalizel, présidente ApicMx :
Un homme de réseaux, candidat "par défaut"
Si le futur secrétaire général de la CGT, s'est fait un nom comme militant de terrain dans le secteur privé et défenseur des salariés de Moulinex, il est aussi fin connaisseur des réseaux et partisan de la ligne réformiste de Bernard Thibault.
Membre de la Commission exécutive (direction) de la centrale syndicale, il préside aujourd'hui le groupe CGT au Conseil économique, social et environnemental (Cese).
Né à Caen le 31 janvier 1960, il est aussi secrétaire général du comité régional CGT de Normandie.
Choisi ce mardi par la commission exécutive de la CGT, sa candidature doit encore être entérinée par le Comité confédéral national (CCN, parlement de la CGT) les 6 et 7 novembre.
On le sait, il n'était pas le premier choix de Bernard Thibault qui privilégiait l'accession d'une femme à la tête du premier syndicat français. Son atout - fruit d'une "tactique" disent certains - est d'être resté à l'écart des querelles intestines qui déchirent la CGT depuis des mois. "Je n'ai jamais été candidat à rien" et "j'accepte les responsabilités qui me sont confiées", affirmait-il la semaine dernière. Depuis le mois de mai, comme nous l'écrivions sur ce site, son nom circulait comme étant le recours dont Bernard Thibault avait besoin pour sortir d'une crise de succession sans précédent à la CGT.
Sa vie professionnelle et syndicale a commencé à 17 ans : il entre en 1977 comme soudeur chez Caterpillar près de Caen, une semaine après il adhère à la CGT. Deux ans plus tard il est licencié pour activité syndicale, mésaventure qu'il connaîtra de nouveau à Spie-Batignolles d'où il est renvoyé en 1981.
En 1983, il est embauché à l'usine Moulinex de Cormelles-le-Royal. C'est comme délégué CGT qu'il a mené son combat majeur lorsqu'en 2001 le groupe électroménager a déposé son bilan. L'entreprise est reprise par son concurrent Seb. Au total 3 300 des 5 600 salariés sont restés sur le carreau. De cette expérience amère il dit : "les salariés ne sont pas des produits jetables, il ne faut pas laisser les groupes industriels déménager des territoires après avoir reçu des aides publiques".
Depuis 2010 il préside le groupe CGT au Cese. Ses pairs le disent "ouvert", "à la recherche de consensus", "d'un abord sympathique".
"C'est quelqu'un de solide, un militant éprouvé" mais "il pèche par une certaine inexpérience", selon un analyste. Ainsi, son discours musclé en 2010 au Cese, dénonçant des nominations de complaisance, a été empreint "de maladresse", ce "qui a failli coûter à la CGT une place de vice-présidence", raconte cet analyste. Finalement, il a fallu l'entregent de Raymond Soubie, ex-conseiller de Nicolas Sarkozy, pour lui sauver la mise.
On le dit homme de réseaux, la presse fait allusion à une proximité supposée avec les "frères" maçons.
"Je ne suis pas franc-maçon, je ne l'ai jamais été et je ne le serai jamais", affirme-t-il. "C'est une espèce de fantasme. Dès qu'on est membre du Cese on est franc-maçon !".
"Arrivé à la présidence du groupe CGT au Cese, j'ai lu une dizaine de livres sur la franc-maçonnerie pour comprendre comment ça marchait" parce que "quand on préside un groupe dans une instance comme celle-ci, il faut savoir comment les réseaux fonctionnent", raconte-t-il.
Comme d'autres dirigeants cégétistes, dont Bernard Thibault, Thierry Le Paon a sa carte au PCF. "J'ai un rapport affectif profond avec ce parti qui date de ma jeunesse", confie-t-il. Mais, "je ne signe jamais d'appel à voter et je ne participe pas aux instances de direction" de ce parti.
Négociateur CGT en 2008 sur la formation professionnelle, il a pris aussi à coeur le dossier de la lutte contre l'illettrisme.