Après plusieurs années de croissance, la filière bio connaît un ralentissement, en partie dû à la crise sanitaire. À partir de 2021, la consommation de produits bio a chuté d'un tiers, une tendance qui s'est confirmée en 2022. Les agriculteurs se retrouvent en difficulté. Exemples en Normandie.
La demande des produits bio a été forte à partir de 2015 et n'a cessé d'augmenter jusqu'à la crise sanitaire de 2020. Mais aujourd'hui, la volumétrie est bien moindre. Le bio tente de résister aux réalités du marché à l'aide des subventions publiques.
"Je m'en sors grâce aux subventions"
C'est le cas pour Denis Genissel, producteur dans l'Orne. Il produit du lait bio avec un cheptel de 90 vaches qu'il nourrit avec sa production de céréales bio, du maïs, un mélange de blé, d'orge, de triticale et de pois.
Je leur donne aussi de la luzerne et du trèfle, des cultures qui enrichissent les sols en azote et captent le carbone. Aujourd'hui, mon système de production est viable car je touche des aides de l'Europe et de l'État, encore pendant trois ans. Après, nous verrons !
Denis Genissel, producteur dans l'Orne
"Cela dit, je vends mes céréales et ma viande au prix du conventionnel, ainsi qu'un tiers de ma production de lait. Je m'en sors donc grâce aux subventions", poursuit-il.
Produire bio à grande échelle
Pour certains exploitants, l'effondrement des prix du bio et l'explosion des prix du conventionnel sont à mettre sur le compte de la géopolitique. Étienne Duval est agriculteur bio à Amayé-sur-Orne dans le Calvados. Selon lui, il faut donner le temps à la filière de s'installer :
Il faut rationnaliser le cahier des charges du bio pour aller vers un système productiviste. Le productivisme bio est possible à condition de trouver les bonnes associations de plantes. Il faut donc le temps de faire ce travail de recherche. Cela implique le maintien des prix le temps d'installer la filière, ce qui permettra ensuite d'avoir des prix à la baisse et de relancer la consommation.
Étienne Duval, exploitant bio à Amayé-sur-Orne dans le Calvados
Cet exploitant d'Amayé-sur-Orne constate que les prix ont été divisés par deux. "En cause, la baisse du pouvoir d'achat liée à l'inflation et entretenue par les médias", pense-t-il. Les consommateurs se seraient tournés vers des produits discounts au détriment du cercle vertueux de la production locale. Résultat, les stocks de produits bio s'accumulent, ne se vendent pas et se déprécient, assure-t-il.
L'exploitant fustige "une concurrence déloyale avec la production conventionnelle". Il fait aussi de la viande bovine qu'il est obligé de vendre au prix du conventionnel car le marché le lui impose. Le prix de revente au consommateur, que la législation ne contrôle pas, est bien supérieur. C'est notamment le cas pour la grande distribution qui fait des marges bien plus importantes avec le bio qu'avec le conventionnel.
Surproduction et désaffection des consommateurs
Si le nombre de consommateurs de produits bio décroît, on note parallèlement une intensification de la consommation bio chez les consommateurs réguliers : près d’un quart des consommateurs quotidiens de produits bio estiment à plus de 75 % la part de produits bio dans leur alimentation (+ 10 pts / 2021).
La chambre régionale d'agriculture de Normandie confirme la tendance. Avec la Covid, certains consommateurs ont découvert le bio. Puis, il y a eu un changement d'attitude après la crise.
Entre 2015 et 2020, la filière était en expansion. Les volumes de production se sont accrus, le lait par exemple. Mais ensuite, la consommation n'a pas suivi. Résultat, plus d'un tiers de la production bio a dû etre déclassé, c'est-à-dire vendu au prix du conventionnel et les déconversions ont commencé à apparaître.
Caroline Tostain, Conseillère en agriculture biologique à la chambre d'agriculture de Normandie
Heureusement, les prix du lait restent stables et sont plutôt hauts, notamment ceux pratiqués par les transformateurs. Ce qui n'est pas le cas des collecteurs qui ne disposent pas d'outils de transformation et qui achètent à prix bas.
Selon la chambre d'agriculture de Normandie, les projets de conversion récents trouvent difficilement leur équilibre. Tout comme les grandes cultures céréalières bio de la plaine de Caen ou de l'Orne victimes de l'augmentation du carburant et des intrants naturels.
Moins présentes dans la région, les filières du porc et de la volaille connaissent aussi des difficultés dues à la grippe aviaire, à l'augmentation du cours des céréales bio qui constituent la base alimentaire de ces animaux.
Une déconversion progressive
Impact aussi sur la filière légumières en plein champ qui fait les frais d'une légère baisse de la vente directe et en circuits courts.
Stéphane Catherine est exploitant à Cairon dans le Calvados. Avec son fils, il fait des céréales (blé, maïs, triticale, orge de brasserie) et des légumes. Il s'est lancé dans le bio en 2016 au moment où la demande était forte.
Aujourd'hui, le marché s'est inversé, la demande ne suit plus l'offre. Les charges liées à la mécanisation, à la main d'œuvre, au coût des intrants naturels et la fin pour lui des aides publiques l'a contraint à repasser en agriculture conventionnelle.
En bio, nous sommes tributaires des aléas climatiques. Parfois, ce sont les insectes qui détruisent les cultures, cela m'est arrivé deux fois avec le colza. Les pommes de terre sont infestées par le taupin, un ver de terre dévastateur qui fait des trous. Le bio, ce n'est jamais 100% de réussite. Quand le prix est là et que d'autres cultures peuvent compenser, ça peut aller, sinon, ce n'est pas possible.
Stéphane Catherine, exploitant en céréales et en légumes à Cairon dans le Calvados
Pour lui, "le bio n'est plus dans l'air du temps". "À quoi bon produire si c'est pour mettre à la poubelle ? Et fonctionner avec des aides, ce n'est pas logique, les cultures doivent être rentables", peste-t-il.
Le cultivateur ne regrette pas cette expérience qui lui permet aujourd'hui de faire du conventionnel mais de façon raisonnée.
Relancer une consommation bio massive
En Normandie, le bio représentent 9 à 10% de la surface agricole utile. En 2023, la Chambre régionale d'agriculture constate un taux d'arrêt des conversions en légère augmentation.
Pour maintenir la filière bio, la chambre d'agricuture a mis en place deux plans de soutien aux exploitants. Le premier par la communication, le second par la ressenbilisation dans les cantines qui constituent un marché important.
On accompagne les agriculteurs pour faire ou non marche arrière. Le marché reste fragile et ne tient qu'avec les consommateurs convaincus. Les occasionnels boudent et la concurrence d'autre labels participent à la dépréciation du bio. Si le bio n'est plus une évidence, il faut donc ressenbiliser le consommateur à son cahier des charges.
Caroline Tostain, Conseillère en agriculture biologique à la Chambre d'agriculture de Normandie
Pour Caroline Tostain, il faut garder espoir ! Le bio traverse une mauvaise passe mais c'est un système autonome, plus résilient, qui emploie plus de monde et qui devrait apparaître comme une alternative crédible face à des modes de production intensifs, destructeurs et polluants.
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