Sur les 7 races d’ânes françaises, deux font partie de notre patrimoine : les ânes normands et les ânes du Cotentin. Mais aujourd’hui ces animaux ont déserté les fermes en Normandie et les deux races sont en voie de disparition. Ils sont pourtant loin d'être bêtes et peuvent se rendre très utiles.
« Les ânes normands et du Cotentin étaient plus de 9000 rien que dans la Manche au début du 20e siècle. » Et aujourd’hui ? Sylvie Cheyrezy, éleveuse et présidente de l’association de l'âne normand fait grise mine : « Aïe aïe aïe… Il ne reste que 800 ânes normands dans toute la France. Le double, jusqu’à peut-être 2000 pour les ânes du Cotentin. »
Au siècle dernier, ils étaient des travailleurs agricoles indispensables en Normandie. Dans cette terre d’élevage laitier, les ânes servaient à transporter les bidons de lait. On les équipait d’un bât et ils pouvaient porter des charges équivalentes à leur propre poids (environ 180 kg). Selon des études agricoles de l’époque, à la fin du 19e siècle, la France comptait ainsi 400 000 ânes !
A l’époque, les différentes races n’étaient pas répertoriées. Pourtant, il existait bien un type d'âne dont le berceau se trouve dans l’ex Basse-Normandie, et un autre franchement Manchois.
Il aura fallu attendre le 20 août 1997 pour que le ministère de l’agriculture reconnaisse les ânes du Cotentin et les ânes normands. Des stud book sont ouverts : c’est l’équivalent du LOF (Livre des Origines Françaises) chez les chiens. Ils définissent les critères de chaque race. Ainsi chaque année, des séances de confirmation ont lieu. La dernière s’est déroulée au haras du Pin pour les normands, à Saint Lô pour les Cotentin :
Comment différencier les deux ânes typiques de la Normandie ?
Physiquement, les deux races patrimoniales de Normandie se ressemblent. Les ânes normands et Cotentin sont petits et trapus.
Le Normand est même le plus petit parmi les 7 races d’ânes françaises. Adulte, il mesure entre 1,10m et 1,25m. Il est brun ou « bai », « chocolat » dit Sylvie Cheyrezy. Le bout de son nez, son ventre et le tour de ses yeux son gris. Et la fameuse croix de saint André doit être visible sur son dos. C’est une caractéristique que l’âne normand partage avec l’âne du Cotentin et l’âne provençal. Son origine serait biblique :
La légende nous raconte que c’est sur le dos d’un âne que Marie, mère de Jésus, fuit l’Égypte. Pour remercier sa monture, la Vierge le bénit, lui dessinant ainsi une croix sur son dos ; croix de forme latine, un des symboles du christianisme. L’âne portant à vie cette croix, le Diable ne peut donc ni le monter, ni prendre sa forme
L’âne du Cotentin est légèrement plus grand que son compère normand : entre 1,15m et 1,30m pour les femelles, jusqu’à 1,35m pour les mâles. Il est plus clair, de couleur gris tourterelle. Et sa crinière doit être droite comme celle de son cousin africain le zèbre.
Avec la mécanisation de l’agriculture, les ânes ont déserté les exploitations laitières. Toutes les races françaises sont en déclin et la plupart sont en voie de disparition.
La situation de l’âne normand est encore plus critique que celle de l’âne du Cotentin, qui compte le double d’effectifs. Avec 83 naissances en France en 2006, la race normande était déjà menacée. Quinze ans plus tard, il n’y a plus qu’une vingtaine de naissances par an.
Pour l’âne normand, il n’y a plus que 18 baudets et une soixantaine d’ânesses pour la reproduction sur toute la France, c’est clairement insuffisant.
Notre éleveuse Manchoise, présidente de l’association de l’âne normand, souligne que les éleveurs vieillissent, et que la relève n’est pas au rendez-vous. Ils sont devenus très rares les baudets, ânesses et ânons normands : nous les avons rencontrés chez Sylvie Cheyrezy à Berigny (50) près de Saint Lô :
Alors comment sauver les ânes de Normandie ? En leur trouvant une nouvelle utilité. Ils ne servent plus à transporter le lait dans les fermes comme au siècle dernier ? Non, certes. Mais ils peuvent produire du lait.
Le précieux lait des ânesses du Cotentin
Elle a eu un coup de cœur pour la race : « L’âne du Cotentin est le plus beau!» pour Brigitte Pieau. Depuis 13 ans, elle élève ces animaux dans la Manche, d’abord à Beauchamps, puis depuis 3 ans à Carolles, près du Mont-Saint-Michel.
Ses ânesses, des pures cotentines, sont mises à la reproduction tous les deux ans, afin de leur laisser un temps de repos entre les gestations (qui durent de 12 à 14 mois). Et pendant les trois premiers mois de vie des ânons, le lait de leur mère leur est réservé.
En ce printemps 2021, trois bébés sont arrivés au Domaine d’Esthine, véritable maternité de Cotentines. Brigitte partage ces moments magiques avec les internautes sur les réseaux sociaux :
Quand les bébés passent de la crèche à l’école maternelle, Brigitte Pieau peut commencer à traire ses ânesses.
J’arrive à prélever entre 300 et 800 ml de lait, par ânesse et par traite. C’est très peu. Ca explique que le lait d’ânesse est rare et cher.
Ce bien précieux est ensuite mélangé à de la soude et différentes huiles pour fabriquer des savons, reconnus pour leurs vertus hydratantes et protectrices pour la peau.
Elle nous a livré quelques secrets de fabrication dans ce reportage réalisé dans son élevage à Carolles (50). Et surtout attention ! Vous allez voir des bébés trop craquants :
Et les mâles pendant ce temps-là, que font-ils ? Il n’y a pas de baudet dans l’élevage de Brigitte Pieau, tous ses mâles sont hongres (stérilisés). Cela stabilise leur caractère et en fait d’excellents compagnons pour la randonnée. Et ça tombe bien, dans les parages il y a une autre merveille : le Mont-Saint-Michel n’est qu’à quelques kilomètres…
L'âne, un compagnon idéal de randonnée
Les éleveurs d’ânes du Cotentin ou normands sont eux aussi une espèce rare. Franck Prevel a accueilli sa première ânesse du Cotentin en 2007. Elle a vite été rejointe par d’autres, et petit à petit l’asinerie de la Jaunais est née. Franck et Christel se disent « éleveurs amateurs et passionnés ». Leur premier objectif était de participer à des concours avec leurs animaux.
Mais au fil des rencontres avec d’autres éleveurs, ils ont découvert d’autres utilités pour leurs ânes du Cotentin. Notamment la randonnée, que ce soit en attelage ou avec un bât. Régulièrement, ils se retrouvent à plusieurs passionnés pour parcourir les sentiers avec leurs fidèles compagnons. Franck Prevel en profite aussi pour éduquer ses jeunes ânes.
Nous éduquons nos ânons jusqu’à l’âge d’un an environ. Ainsi, les futurs acquéreurs pourront leur donner une utilité autre que celle d’une simple tondeuse à gazon.
Tous les passionnés en sont convaincus : les ânes sont de formidables compagnons de promenade. Plusieurs estiment que le caractère de leur ami à 4 pattes est plus proche de celui d’un chien que d’un cheval. Foi d’utilisateurs, l’âne est doté d’un tempérament stable, il n’est pas têtu, et surtout pas bête : il réfléchit avant d’agir.
Nous avons randonné avec Franck, Christel, Philippe, Chantal, Augustin, René et leurs ânes normands et du Cotentin dans la baie du Mont-Saint-Michel. Attention aux yeux, les paysages sont magnifiques!
Bâté ou attelé, l’âne peut marcher pendant de longues distances et supporter le poids d’un humain sur son dos (les utilisateurs que nous avons rencontrés estiment qu’il peut porter un enfant jusqu’à 40kg sur plusieurs kilomètres).
L’âne, nouvel ami du maraîcher
Autre force de l’âne : celle de la traction. En agriculture, la traction animale est très ancienne mais c’est la force du cheval ou celles des bœufs qui est traditionnellement utilisée. Pourtant, les ânes ont aussi leur carte à jouer pour désherber, creuser des sillons ou récolter des légumes.
Cet atout, Sébastien Levacher l’a compris depuis longtemps. Il fait partie des agriculteurs que l’on appelle "Non Issus du Milieu Agricole". Son exploitation de maraîchage bio, il l’a construite à son idée, et autour de l’âne, combinée avec une association qui organise des randonnées pédestres avec des ânes bâtés.
Les animaux du « coq à l’âne » ne sont pas pure race. Les 15 ânes sont dits « communs », de type Cotentin, Normand, grand noir du Berry, ou autres. Randonnée ou maraîchage, à chacun sa spécificité.
Pour l’aider dans les travaux de maraîchage, Sébastien compte notamment sur Swan, ânesse de type normande qu’il éduque depuis deux ans. Même si elle dépasse le standard de la race de quelques centimètres, Swan reste petite, « trapue et musclée , ce qui est finalement aussi bien qu’un grand âne pour la traction animale ».
Entre ces deux-là, la complicité est née du respect mutuel entre l’homme et l’animal.
Ce sont des animaux très sensibles. L’âne peut avoir la morphologie adaptée mais il faut aussi le mental. Il faut qu’il ait vu les copains prendre du plaisir à rendre service aux hommes. S’ils ne veulent pas ils ne le font pas.
Sébastien Levacher a beaucoup appris tout seul, mais aime partager ses connaissances avec qui veut. Il a accueilli cette année Annette, une jeune allemande volontaire du service civique franco-allemand, à qui il a enseigné les techniques de maraîchage en traction animale.
Notre reportage zen et bio du côté de chez Swan, avec Sébastien, Annette et les autres à Beaubec-la-Rosière (76) :
Les idées de Sébastien ont germé aussi chez un voisin maraîcher. Aujourd’hui, la ferme de la Cavée à Sommery compte sur deux ânes normands pour les travaux dans les champs.
Les outils et les techniques semblent archaïques, mais l’utilisation de l’âne en permaculture est éminemment moderne. Elle permet d’éviter la mécanisation et donc la pollution et la destruction du sol.
Le tourisme de randonnée, les cosmétiques au lait d’ânesse et le maraîchage sont autant d’utilisations qui permettraient de sauver les ânes normands et du Cotentin, aujourd’hui menacés d’extinction.
Sur les 7 races d’ânes françaises, cinq sont en voie de disparition car elles comptent moins d’une centaine de femelles reproductrices (23 ânesses bourbonnaises, 34 ânesses grand noir du Berry, 40 ânesses normandes, 43 ânesses de Provence, 88 ânesses du Cotentin) selon les chiffres de l’Institut Français du Cheval qui datent de 2015.
Si vous aussi vous voulez sauver nos deux races patrimoniales en faisant l’acquisition d’un âne, les connaisseurs vous mettent en garde sur deux choses pour le bien-être de votre animal : vous devez posséder 3000 m2 de terrain par âne, et ne pas le laisser seul… L’âne étant très sociable il lui faut une compagnie : un autre âne, un cheval, un chien ou même une oie, ou bien votre présence active à ses côtés.