Un consommateur s'est fait verbaliser, près de Caen, la semaine dernière pour un simple pot de peinture commandé au Drive de bricolage. Justifié ou arbitraire ? Ai-je d'ailleurs le droit d'acheter, par exemple, un barbecue en ce moment ? On ne sait plus ce qui est autorisé ou interdit.
Notre liberté de circuler, principe fondamental en France, en a pris un sacré coup avec l'état d'urgence sanitaire, confinement oblige.
Doit-on pour autant croire ou penser que notre liberté de consommer est-elle aussi atteinte?
On ne sait plus à quoi se réferer puisque nos fondamentaux sont bousculés et qu'il n'existe pas de liste officielle des produits dits "de première nécessité". Notion très floue d'ailleurs, détaillée dans aucun décret, et qui après 4 semaines de confinement, ne peut plus s'arrêter à des pâtes, des oeufs, du lait et de la farine.
Les dérogations pour sortir de chez soi... les magasins et restaurants fermé..., bref tout ce qui peut aider au confinement, nous ont obligé à revoir notre mode de consommation. Et si c'est certainement mieux pour la planète, nous ne sommes pas pour autant privé d'acheter. Et les mails reçus dans toutes nos boîtes personnelles montrent bien que l'économie frétille. La consommation doit reprendre.
"Il faut continuer à faire vivre le pays", a insisté Emmanuel Macron dans son dernier discours lundi 13 avril 2020.
Bravo @oliviersampson pour cette synthèse ! Si vous n'étiez pas devant votre écran hier soir : https://t.co/PQiWHe4UVR
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) April 14, 2020
Les amendes pleuvent : avec discernement ?
Les 3 premières semaines nous étions en phase de sidération. Maintenant c'est une autre étape. Celle de la Normalisation. Alors, voilà, après quatre semaines chez soi et des règles de sortie stricte faut-il tomber dans l'abus, le zèle, voire l'arbitraire. Et se priver de tout ? même d'un bon barbecue en famille ( dans le respect du confinement, avec parents-enfants à la maison et pas plus) sous prétexte de crise sanitaire ?
Notre santé mentale peut en dépendre. Et on ne sait plus quoi faire, quoi penser. Toutes les "petites choses de la vie" semblent verbalisables, ou presque, aujourd'hui.
"Un policier (ndlr:ou un gendarme) doit toujours faire preuve de discernement. On peut constater une infraction et choisir la pédagogie plutôt que la verbalisation", soupire Karim Bennacer, responsable Normandie du syndicat de police Alliance à Rouen, désolé de voir les verbalisations flamber.
"Et les contrôles se multiplient. On reçoit chaque jour du renfort supplémentaire pour être visible partout, à la demande des maires qui se plaignent de ne pas parvenir à faire respecter correctement le confinement."
Des contraventions de 135 euros sont en ce moment dressées auprès de citoyens et ne semblent pas toujours justifiées.
Alors ai-je le droit de consommer autre chose que de l'alimentaire, du soin d'hygiène et de santé tout en sortant un minimum de chez moi ? Et en ayant respecté les gestes barrières, le port du masque et la logique sanitaire autant que possible ? La réponse est incontestablement oui. Même si certains viendront opposer la morale à l'aspect légal.
Cocher la bonne case : la seule chose à faire
Pour éviter tout quiproquo avec les forces de l'ordre en cas de contrôle. Il n'y a qu'un devoir citoyen : remplir son attestation et sortir avec.
"Il faut absolument être en mesure de présenter une attestation bien remplie et la bonne case cochée avec ses papiers d'identité. C'est la seule obligation et la seule chose que nous sommes amenés à contrôler réellement" rappelle Karim Karim Bennacer, secrétaire régional du syndicat Alliance de la Police Nationale.
Et pour aller chercher les marchandises d'un Drive de bricolage ou vous rendre dans une jardinerie, cochez celle des achats de première necessité. Même si, la notion même de première nécessité semble discutable dans ce cas là, c'est pourtant la bonne case.
Les drive de bricolage ou d'électro-ménager sont ils autorisés?
La liste des magasins autorisés à ouvrir est consultable assez facilement sur internet. En revanche ne cherchez pas la liste des produits autorisés à la vente. Elle n'existe pas.
"On peut en déduire que tout ce qui est à vendre dans la liste des magasins autorisés à ouvrir est légal à l'achat", constate Maître Gaël Balavoine, bâtonnier à Caen.
Il faut savoir que de nombreuses enseignes comme celle de bricolage ou de l'électroménager ( Brico-Dépôt, Boulanger, Castorama, Leroy-Merlin, etc) peuvent vendre mais uniquement à distance, avec un paiement sans contact sur leur site internet et une livraison à domicile ou via leur drive (sans contact lui-aussi). Ceci assure une sécurité sanitaire pour le personnel, comme pour les clients.
Ainsi, vous pouvez payer votre produit via le site internet et, en général, un SMS ou un mail vous avertit quand votre article est prêt à être enlevé en Drive. Parfois l'opération prend 2 heures ou 48H, pour d'autres il faudra attendre une semaine.
Mais est-ce de l'achat de première nécessité ?
Le sens de "première nécessité" n'est pas le même pour tous. Et ça ne se discute pas vraiment.
C'est d'ailleurs à ce moment-là qu'il ne faut pas se laisser emporter par la tentation moraliste. Celle qui pousse beaucoup de nos concitoyens, en ce moment, à la dénonciation. Chacun sa vie, et ses priorités.
"Le principal pour tous dans ce contexte de confinement étant de tenir sur la durée. Il faut au maximum faire en sorte qu'il n'y ai pas de tensions inutiles", précise Karim Bennacer, le policier conscient que tout n'est pas si simple.
On peut considérer que l'achat d'un jeu vidéo est de première necessité pour une famille qui vit en confinement avec deux ados depuis 4 semaines et qu'une certaine tension s'est développée. L'achat de ce jeu aura peut-être créé un déblocage et va permettre d'apaiser tout le monde. On voit bien qu'une première nécessité dans une famille ne va pas se définir de la même manière dans une autre. C'est comme ça.
Gaël Balavoine, Batônnier des avocats de Caen
175 euros un pot de peinture, amende comprise pour un Drive?
Ce mardi 7 avril, un habitant du sud de Caen commande sur internet un pot de peinture via le site d'une grande enseigne de Bricolage qui possède plusieurs magasins autour de Caen. En quelques clics, il trouve ce jour-là la peinture qu'il recherche pour rafraîchir les murs de la chambre de son fils.
On lui annonce un "retrait sur place sous 48H entre 9H et 16H" et pas de restrictions avec des marchandises réservées aux professionnels ou à l'urgence.
"Ce pot de peinture est en vente sur le site. Et quand je suis allé le chercher le drive est fait en toute sécurité, avec un plexiglas qui vous sépare du personnel et une vente sans contact. Franchement, je portais un masque et je n'avais pas l'impression d'avoir à ce moment-là un comportement dangereux ou irresponsable. Je n'étais pas sorti chez moi depuis plus de 2 semaines. Ce temps libre à la maison, autant le rendre utile pour ne pas devenir dingue", raconte le consommateur verbalisé.
2 minutes après le Drive j'ai été arrêté par trois motards de la gendarmerie. Le premier est venu à moi vêtu d'un gilet pare-balles, de lunettes et de gants. Après m'avoir demandé les papiers du véhicule, on m'a demandé d'ouvrir mon coffre. En voyant le pot de peinture, le gendarme m'a regardé dans les yeux en me demandant si je pensais que c'était décent, ce que je venais de faire...
Il aura bon s'expliquer dans le calme et sincèrement, rien n'y fera. L'amende lui a été dressée. "Je me suis senti comme humilié", déplore t-il. "Je n'ai rien fait d'autre que de faire tourner un peu l'économie. C'est presque un geste citoyen. J'ai pris et je prends toujours toutes les précautions. Je ne sors que pour des achats."
Paul n'a effectivement pas enfreint la loi. Son attestation était correctement rempli. Et le pot de peinture était en vente légale.
Un barbecue ? ça s'achète en ce moment ?
"Un barbecue ? mais oui... allez dans le supermarché le plus proche de chez vous", assure Karim Bennacer, du syndicat Alliance Police. Il comprend très bien pourquoi on se pose la question dans le contexte. Mais de son côté, il ne voit pas le problème.
Il suffit de sortir avec son attestation et ses papiers, et puis bien sûr ne pas abuser de la situation. Tout est question de bon sens. Mais si vous le commandez en drive, il n'y a pas de raison de ne pas aller le chercher. Notre problème dans les déplacements aujourd'hui vient plus de la vitesse des véhicules sur les routes désertes. (Karim Bennacer, Alliance-Police)
Et pourtant, lors d'un déplacement dans une jardinerie de l'agglomération caennaise, on a pu constater que les rayons plantes et engrais sont accessibles au public. Mais pas les barbecues, interdits à l'achat. Mieux, on peut se procurer sans restriction des briquettes et du charbon mais pas de barbecue neuf !
Un produit pourtant autorisée à la vente, que l'on trouve dans les supermarchés voisins et même dans un drive de grande enseigne d'électro-ménager. Où est la logique?
Une preuve certainement du flottement constaté dans le autorisé/interdit et la définition de "première nécessité". Pourtant le confinement va durer. Et il faudrait peut-être continuer à vivre, malgré tout.