Au lendemain du 80ème anniversaire du Débarquement et de la Bataille de Normandie, les habitants de plusieurs communes libérées de la Région ont voté pour le Rassemblement National. Pour quelles raisons ?
Bayeux (Calvados), capitale de la Libération en 1944, Sainte-Mère-Église ou encore Carentan-les-Marais (Manche)... Toutes ces communes viennent de commémorer les 80 ans du Débarquement et de la Bataille de Normandie. Au lendemain des festivités, les élections européennes se tiennent : le RN est en tête dans ces trois villes avec 38,98% des voix à Sainte-Mère Église, 26,67% à Bayeux et 35,35% à Carentan-les-Marais.
Sur le marché de Sainte-Mère-Église, ce jeudi matin, les réactions sont mitigées : "Quand on voit qu'on est capable de célébrer la paix et que derrière les gens vont dans les extrêmes, ce n'est pas agréable, c'est horrible même", lance une passante. Une autre nous donne son point de vue sur la situation : "Ça se contredit, c'est sûr. Mais chacun est libre de voter ce qu'il veut."
"On voit monter des mécontentements depuis un certain temps"
Dans les allées, nous croisons un homme. Lui a voté RN et ne s'en cache pas : "Si on prend le Front National de Jean-Marie Le Pen, ce serait choquant, mais aujourd'hui c'est quand même différent". Même son de cloche pour ce passionné de la Seconde Guerre mondiale : "Le gouvernement nous prive de notre liberté donc c'est très bien ce qu'il se passe maintenant, moi, je suis pour".
Patrick Gomont, le maire sans-étiquette de Bayeux, lui, n'est pas vraiment surpris : "C'est vrai qu'on vient de rendre honneur aux vétérans qui nous ont libérés, ça a fait des déçus. Mais je pense qu'on voit monter des mécontentements depuis un certain temps, avant même ce rendez-vous électoral, avec la hausse des prix de l'énergie, l'insécurité, la réforme des retraites".
Que ce soit en Normandie ou dans le reste de la France, le RN a remporté toutes les communes visitées en juin par Emmanuel Macron dans le cadre des commémorations de la Seconde Guerre mondiale.
Des villes déjà ancrées à droite
Olivier Pjanic, conseiller régional RN se félicite que son parti bénéficie de ce souffle : "Ces personnes, ces habitants ont une soif de liberté et de souveraineté et ils le démontrent par le vote. On a souvent dit que les gens qui votaient pour le Rassemblement National, votaient par contestation. On voit aujourd'hui que c'est un vote de conviction, un vote d'adhésion pour les valeurs que le parti représente."
Pour Christophe Boutin, politologue, il n'y a pas forcément de lien entre ces "communes de mémoires" et ce vote significatif pour le RN : "Ce sont des zones ancrées à droite, ce qui a toujours donné des votes de droite classique. Bayeux, avec la droite gaulliste évidemment ! Et du côté de Sainte-Mère-Église et Carentan-les-Marais, nous sommes plus sur des communes rurales, enracinées, paysannes, et de pêcheurs qui ont traditionnellement voté à droite depuis des années."
Le Rassemblement National est un parti d'extrême droite. Le Conseil d'État, la plus haute juridiction française l'a confirmé en mars dernier, mais pour beaucoup de citoyens, le RN est vu comme un "simple" parti de droite : "Il y a beaucoup d'électeurs décomplexés, autant avant, on ne le disait pas qu'on votait extrême droite, autant on n'hésite plus aujourd'hui avec ce parti qui a une image d'elle moins extrémiste", explique Patrick Gomont.
"Emmanuel Macron a fait voler en éclat les partis traditionnels"
Patrick Gomont estime que la ville de Bayeux a toujours été une ville modérée, mais que l'arrivée d'Emmanuel Macron au pouvoir n'a pas aidé : "Les partis traditionnels ont volé en éclat. Marine Le Pen et Jordan Bardella sont toujours restés en retrait, ce qui leur permet d'avoir une meilleure image aujourd'hui comparée à LFI par exemple. Et puis avec la dissolution de l'Assemblée nationale, les partis ont également explosé. Regardez ce qu'il passe avec les LR. Alors demain, quand les citoyens vont aller voter, ce ne sera pas pour tel ou tel parti, mais plutôt contre l'insécurité, un meilleur pouvoir d'achat".
Pour le politologue Christophe Boutin, le RN est : "loin d'être un parti nazi. Aujourd'hui, beaucoup de Français cherchent une droite plus classique, plus populiste et pensent se retrouver dans le Rassemblement National. Un grand nombre de personnes a voté pour Emmanuel Macron en 2017, car ils voulaient renverser la table. Aujourd'hui, il y a beaucoup de déçus avec un sentiment d'abandon de la France rurale notamment. Et ces gens veulent essayer de croire en un nouveau parti et peut-être, qui sait, être libérés de l'Union européenne cette fois...", explique Christophe Boutin.
"J'étais surpris et peiné"
Pour Jean-Pierre Lhonneur, maire DVD de Carentan-les-Marais, ces résultats aux élections européennes ont été un peu une douche froide : "J'étais surpris et peiné. Notre commune propose tous les services publics. On a un cabinet de radiologie, nous sommes plutôt bien lotis en termes de médecins".
Le territoire est en plein-emploi avec un taux de chômage de 3% : "On a divisé par deux le nombre de personnes touchant le RSA, nous avons des offres d'emploi même sans formation, notre épicerie solidaire est moins fréquentée", ajoute Jean-Pierre Lhonneur.
Pour cet élu dépité, il faudrait s'interroger sur le rôle joué par les réseaux sociaux et les chaînes d'informations : "On est dans un climat anxiogène qui fait peur. Beaucoup de gens ne s'informent que par ces canaux. Les gens éprouvent un ras-le-bol vis-à-vis de ce qu'il se passe au niveau national".
Mais il veut rester confiant : "En milieu rural, les gens ont tendance à faire confiance aux élus qu'ils connaissent et ils se fient à leur bilan. Philippe Gosselin, député sortant LR a toutes ces chances".
Reste plus qu'à savoir ce qu'il se passera dans les urnes lors des élections législatives des 30 juin et 7 juillet prochain.