Le prêt de l'oeuvre millénaire est à l'ordre du jour du sommet franco-britannique du jeudi 18 janvier. Ce geste diplomatique fait la Une outre-Manche. La ville de Bayeux, qui en est le dépositaire, y est favorable. Mais la tapisserie est fragile. Elle est "intransportable" en l'état.
"Une formidable opportunité" pour Bayeux
La ville de Bayeux y voit "une formidable opportunité". L'exposition de la tapisserie au coeur de Londres aurait un retentissement plus que bienvenu. "Le public britannique est de moins en moins nombreux. La crise et le Brexit sont passés par là, explique Patrick Gomont, le maire de Bayeux. Il y a un public à reconquérir. Jamais nous n'aurions pu nous offrir une telle publicité".
Prudent, l'édile s'est assuré que l'affaire n'aura pas d'incidence financière pour les finances communales : "J'ai eu l'Élysée au téléphone, les choses sont claires". La présence à Bayeux de la tapisserie qui attire 385 000 visiteurs par an est aussi une source de revenus pour la ville. Le prêt de l'oeuvre constituerait un manque-à-gagner : "Nos amis britanniques ont une vraie envie. Nous n'y sommes pas opposés. Mais toutes les conditions restent à définir", résume Patrick Gomont.
Reportage de Florent Turpin et Pierre-Marie Puaud
Un chef-d'oeuvre fragile, difficilement transportable avant... 2023
La tapisserie est un fin ruban de lin long de 70 m, brodé au XIe siècle. L'oeuvre, classée mémoire du monde par l'Unesco, est en bon état de conservation. Mais l'idée de la faire voyager en fait tressaillir plus d'un : "beaucoup de précaution s'imposent. Nous avons un certain nombre d'hypothèses à lever", précise Patrick Gomont. "Elle est en l'état absolument intransportable" tranche même Antoine Verney, le conservateur des musées de Bayeux.
Une nouveau "centre d'interprétation du monde médiéval" ouvrira à Bayeux "fin 2023, ou plus certainement en 2024". Dans cette perspective, une restauration de la tapisserie a été prévue. "Les études préparatoires vont débuter cette année. Il s'agit de stabiliser quelques détériorations anciennes, qui datent peut-être du XVIIe, précise Antoine Verney. L'intervention sur l'oeuvre n'interviendra pas avant 2022".
Et il n'est pas envisageable qu'elle puisse voyager avant la fin de cette délicate opération. "Sauf si elle est restaurée en Angleterre... Nous lançons l'idée" sourit Patrick Gomont. Le prêt pourrait donc intervenir en 2023, et pas au-delà : il n'est même pas imaginable que le nouveau musée de la tapisserie puisse ouvrir sans elle en 2024 !
⚡️ Exclusive: The Bayeux Tapestry is set to be displayed in Britain for the first time in 950 years by @thetimeshttps://t.co/35rRkDLwS6
— The Times of London (@thetimes) 17 janvier 2018
Une victoire normande, une oeuvre anglaise
Ce n'est pas le moindre des paradoxes. Les écoliers britanniques sont plus nombreux que les petits Français à venir découvrir ce chef d'oeuvre médiéval. "En France, tout le monde connaît 1789, ou 1515. En Angleterre, la date que tout le monde connaît, c'est 1066, la bataille d'Hastings. Et c'est la tapisserie de Bayeux qui en est l'incarnation", souligne Antoine Verney. "C'est aussi un élément fondamental de leur patrimoine. L'oeuvre a été réalisée en Angleterre, c'est un formidable témoignage du savoir-faire des artistes britanniques du XIe siècle".
D'ailleurs, le 9 septembre 1987, le Prince Charles et sa femme Lady Diana avaient écourté leurs vacances à Balmoral - c'est dire ! - afin de pouvoir faire le voyage en en Normandie pour le 900ème anniversaire de la mort de Guillaume le Conquérant. Le couple princier était venu se recueillir sur le tombeau du duc de Normandie à Caen. Il avait ensuite du se rendre à Bayeux pour y découvrir la célèbre tapisserie millénaire : elle qui n'a jamais quitté le sol français, et cela n'avait encore jamais été envisagé jusqu'à ce jour.