Témoignages. "Ils ont pointé leurs fusils vers nous pour balancer nos cadavres dans le fleuve'', pourquoi ces journalistes ont choisi d'être reporters de guerre ?

Publié le Mis à jour le Écrit par Kanwaljit Singh

Jon Swain et Rafael Yaghobzadeh sont correspondants de guerre. Durant cette 31ᵉ édition du Prix Bayeux, les deux hommes exposent leurs articles et photos au grand public. Ils nous confient pourquoi ils ont choisi d'être reporters en zone de conflits.

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Jamais il n'a cessé de documenter la guerre au Donbass, à l'est de l'Ukraine. Un conflit qui a éclaté en avril 2014 après la révolution proeuropéenne de l’Euromaïdan et l’annexion de la Crimée. À l'époque, Rafael Yaghobzadeh est un jeune photojournaliste de 23 ans et sans aucune hésitation, il décide de pointer son objectif dans cette région.

Dix ans plus tard, le conflit a gagné tout le pays et le journaliste lui veut continuer à parler de cette guerre : "C'est vrai que maintenant ce conflit me touche personnellement, j'y ai passé tellement de temps."

"Raconter la vie au coeur du conflit"

Rafael Yaghobzadeh a 33 ans. Il est basé à Paris et travaille comme photojournaliste principalement pour le quotidien Le Monde. C'est très jeune qu'il décide de devenir correspondant de guerre : "J'aimais bien jouer au reporter quand j'étais petit", nous confie-t-il avec le sourire. Mais surtout, il baigne dans cet univers depuis toujours : "Mes parents étaient eux-mêmes reporters de guerre et originaire de pays en guerre. Mon père est né en Iran d’une mère Assyrienne et d’un père Arménien. Il a couvert la révolution iranienne, la guerre en Irak. Ma mère a grandi à Beyrouth, elle travaillait à la radio. Ils se sont rencontrés à Beyrouth en 1983 et sont venus s'installer à Paris. J’ai grandi dans ce milieu-là."

Jon Swain, lui, à 76 ans. Né à Londres en 1948, il a passé les premières années de sa vie au West Bengal, en Inde. À 17 ans, il s’engage dans la Légion étrangère et très vite, il comprend qu'il a besoin de partir : "À 20 ans, en 1970, j'ai décidé de me rendre à l'AFP (l'Agence France Presse). Je leur ai dit que je voulais être journaliste à l'étranger pour voyager, pour découvrir le monde, vivre des aventures". Alors son rédacteur en chef de l'époque l'envoie au Cambodge et au Vietnam : "Je me suis retrouvé en Indochine pour couvrir la guerre du Vietnam en tant que reporter, d’abord pour l’AFP puis pour la BBC, The Economist, le Daily Mail et finalement le Sunday Times. J'ai couvert cette guerre durant cinq années, c'est la guerre qui me marquera pour toujours."

Le Britannique n'a qu'un seul objectif : rendre compte de ce qui se passe sur place. "Couvrir la guerre, ce n'est pas juste être sur la ligne de front et prendre des photos ou écrire près des soldats. Pour moi, c'était plus que ça, c’est raconter le plus justement possible ce que représente la guerre pour les femmes, les enfants, les hommes sur place et raconter leur quotidien, leur vie alors qu'ils se trouvent en plein cœur de ce conflit."

Travailler sur le front au péril de sa vie

Jon Swain est l'un des rares journalistes présents à Phnom Penh quand la ville tombe aux mains des Khmers rouges. Un jour qu'il n'oubliera jamais. Il a failli y laisser la vie : "C'était le 17 avril 1975. Ce jour-là, j'étais avec deux autres journalistes et un interprète. On a visité un hôpital militaire à Phnom Penh. La scène était atroce. Les couloirs étaient remplis de blessés, de morts, le sang coulait partout. En sortant, on a été fait prisonnier par des Khmers rouges". La gorge serrée, il continue de nous raconter :

Ces Khmers rouges nous ont embarqué dans un camion blindé, et ils nous emmenaient pour nous tuer. Ils nous ont arrêtés au bord du Mékong. On est descendu et ils ont pointé des fusils vers nous pour balancer nos cadavres dans le fleuve. Mais notre interprète a pu négocier. Ils nous ont épargnés. Cet homme nous a sauvé.

Jon Swain

Ancien reporter de guerre

L'interprètre a expliqué sans relâche aux Khmers rouges qu'il s'agissait de journalistes britanniques et non américains. Après cette expérience capitale en Indochine où il frôle la mort, il ne s'arrêtera pas. Il couvre pour le Sunday Times pendant plus de trente ans des conflits dans le monde entier, d’Asie en Afrique, de Beyrouth à Sarajevo et à Kaboul.

Rafael Yaghobzadeh lui, a été blessé en octobre 2020 au début de la guerre du Haut-Karabakh : "Je ne cours pas après la guerre, la guerre se positionne et je me positionne avec elle". Et quand on lui demande s'il a peur de perdre la vie, il répond : "J’aime la peur, j’aime cette adrénaline. Et surtout, je veux tout faire pour rendre compte du quotidien des gens qui vivent en zones de guerre."

Il se souvient de cette photo prise en mai 2014 sur la ligne de front qui s'est installé au début de la guerre entre l'Ukraine et la Russie. Il était accompagné de soldats pro-russes qui se sont positionnés face à l’Ukraine :

C’était ma toute première nuit sous les bombardements, je n’avais pas de gilet pare-balles. On ne savait pas encore que ça allait être la guerre. C'était une nuit intense où ils nous ont montré leur artillerie et c’est là où j’ai commencé à me familiariser avec le bruit des balles et des détonations. 

Rafael Yaghobzadeh

Photojournaliste de guerre

Et depuis, le Français s'est habitué. Jon Swain a, lui aussi, la guerre dans la peau. Et il nous confie que la couverture des conflits prenait très souvent le dessus sur sa vie privée : "J'ai sacrifié ma vie de famille. Quand on part, on ne sait pas si on part trois jours, trois semaines ou trois mois. Quelques fois, c'était un peu égoïste, oui, et c’était difficile de garder une relation."

Plus qu'un travail, être journaliste est une véritable passion pour Jon Swain et Rafael Yaghobzadeh. Dans le cadre de la 31ᵉ édition du Prix Bayeux qui se tient du 7 au 13 octobre 2024, les deux hommes proposent chacun une exposition.

L'ancien correspondant de guerre britannique a décidé à l'approche du 50ᵉ anniversaire de la chute de Phnom Penh et de Saigon de marquer le coup avec son confrère britannique Gary Knight. Les guerres d’Indochine font partie des conflits que les moins de 50 ans connaissent peu. Et surtout, à travers cette exposition nommée Avril 1975, Phnom Penh-Saigon qui se tient jusqu'au 11 novembre 2024, c'est l'envers du décor du travail de journaliste de guerre qui est mis en avant :

C'est important de montrer aux jeunes comment on travaillait. On n'avait pas de téléphone portable, ni les réseaux sociaux. J'écrivais mes articles sur une machine à écrire et je devais me rendre à l'aéroport pour que la dépêche parte dans un avion.

Jon Swain

Ancien reporter de guerre

Vivre avec les fantômes et raconter l'histoire

Il ajoute : "Moi, je suis revenu, mais une vingtaine de journalistes sont morts sur le front durant la guerre du Vietnam. Je voulais leur rendre hommage".

De son côté, le photojournaliste Rafael Yaghobzadeh a décidé de replonger, aidé par Clément Saccomani, ancien directeur éditorial de l’agence de presse photographique Magnum, dans les milliers de clichés qu’il a pu réaliser au front. Un travail de longue date qu'il propose au public de découvrir dans son exposition Donbass – Dix ans de guerres par Rafael Yaghobzadeh 2014-2024, jusqu'au 11 novembre 2024 : "Je veux moins être en surface. Je veux être plus dans le fond de cette guerre en prenant du recul."

Il retrace l'histoire du Donbass à travers les siècles pour expliquer le début de la guerre en 2014. Il veut aussi montrer, à huit ans d'intervalles, les parallèles existants entre la guerre au Donbass et celle en Ukraine. "Certains civils ont fui la ville de Donetsk pour s'installer en Ukraine et ils se retrouvent de nouveau confrontés aux bombardements à Kiev ou Marioupol. D'autres ont fait le choix de rester sur place et ils voient leur région disparaître, petit à petit, de la carte", lance ce dernier.

Et surtout, il a toujours ces mêmes questions en tête : "Nous les journalistes, nous pouvons entrer et sortir librement de ces pays. Mais les personnes que nous photographions, interviewons ne peuvent pas le faire. On se demande toujours si à notre retour cette personne sera là ? Si ce restaurant où on a dîné avec des civils a disparu ? Grâce à notre travail, on raconte leur histoire, on raconte l'Histoire".

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