"Ça va créer une école à deux vitesses" : la colère des enseignants et sociologues face aux groupes de niveaux dans les collèges

Dès la rentrée scolaire 2024, des groupes de niveaux en français et mathématiques seront mis en place pour les élèves de 6ᵉ et de 5ᵉ. Une mesure du gouvernement que ne comprennent pas les enseignants et certains sociologues. Ils dénoncent "une école à deux vitesses".

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"Groupes de niveaux + classes surchargées =  Élèves sacrifiés"... Sur les barrières du collège Paul Éluard à Dives-sur-Mer, dans le Calvados, les pancartes et des banderoles sont affichées. Professeurs, parents et élèves sont présents devant l'établissement, ce jeudi 2 février matin, alors qu'il fait encore nuit noire. Plusieurs enseignants sont en grève. Ils ont choisi de se battre pour chaque élève, quelles que soient ses aptitudes. 

Dénoncer les groupes de niveaux

En effet, tous sont là pour dénoncer les groupes de niveaux en français et mathématiques prévus à partir de la rentrée 2024 pour les classes de 6ᵉ et de 5ᵉ. Une mesure annoncée début décembre dernier par Gabriel Attal qui était encore ministre de l'Éducation dans le cadre de sa réforme du "choc des savoirs". Les professeurs craignent de ne pas avoir les moyens de s'occuper de tous : "Nous, dans notre établissement, on n’a pas assez de professeurs. Il n'y en a que trois en maths et français et il nous en faudrait 4. Ça ne peut pas fonctionner. Ce n'est pas réalisable", explique David Gautier, enseignant en Sciences et vie de la Terre et représentant du SNES.

Pour les autres enseignements, le groupe classe demeurera, permettant de combiner les apports de la mixité scolaire et des pédagogies différenciées pour les élèves. Pour le gouvernement, ces groupes de niveaux seront constitués en fonction des besoins identifiés par les professeurs ainsi que par les résultats aux tests de positionnement de début d’année et pourront évoluer en cours d’année pour tenir compte de la progression des élèves.

"C'est dévalorisant et ça signifierait qu’on les changerait de groupe de niveau au fur et à mesure de l’année"

Au-delà du problème des effectifs dans les petits établissements, c’est la notion de flexibilité qui pose question : "C'est dévalorisant et ça signifierait qu’on les changerait de groupe de niveau au fur et à mesure de l’année et donc se dire, on va mettre cet élève finalement dans un autre niveau. En 6ᵉ, c'est la découverte pour eux. C’est déjà compliqué à s'organiser, à faire confiance à un enseignant. Si c'est pour changer toutes les semaines, ça ne fonctionnera pas !", lance Charlotte Parisot, professeure de français et représentante SGNEN CFDT. 

Elle ajoute que :"En français, ça voudrait dire qu'il faut répartir les élèves selon leur niveau aux évaluations nationales, donc mettre les bons élèves d'un côté et ceux en difficulté de l'autre. Or, on sait d'après la recherche que ça ne fonctionne pas. Non seulement pour l'épanouissement des enfants, mais aussi, car les bons élèves n'apprennent pas à cohabiter et pour ceux en difficulté, ils ne sont pas tirés vers le haut par les plus bons. Ce serait dommage de revenir à un système en caste".

Cette mesure serait également mise en place pour les 4ᵉ et 3ᵉ dès la rentrée 2025. Une décision qui ne convainc pas non plus les parents d’élèves : "Quand on met un bon avec un moins bon, ça permet aux moins bons d'avancer et aux bons de pouvoir prendre de l'autonomie et d'accompagner. Je pense qu'il faut qu'ils travaillent en binôme. Ça aide à remonter le niveau de la classe", explique une maman.

Les parents d’élèves ont décidé de continuer le mouvement. Ils bloqueront le collège demain. Un moyen de dénoncer, notamment, des classes surchargées et la mise en place de doubles niveaux en classe SEGPA. 

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Dès la rentrée scolaire 2024, des groupes de niveaux en français et mathématiques seront mis en place pour les élèves de 6ᵉ et de 5ᵉ. Une mesure du gouvernement que ne comprennent pas les enseignants et certains sociologues. Ils dénoncent "une école à deux vitesses". ©France 3 Normandie

Une école à deux vitesses ?

Les premiers travaux en sciences de l'éducation concernant les groupes de niveaux sont apparus dans les années 70 : "Ça fait 40 ans qu'on sait que ça ne fonctionne pas ! Les groupes de bons élèves tendent vers la réussite. Quant aux groupes en difficulté, ça peut être utile pour certains mais la plupart du temps, ils sont en perte de dynamique. Les élèves apprennent en observant leur pair", explique Laurent Lescouarch, professeur des Universités en Sciences de l'Éducation à l'Université de Caen. 

En instaurant les niveaux, ce dernier estime qu'on crée une école à deux vitesses : "Je pense que le ministère sous-évalue les effets de systèmes d'une telle mesure. La classe, c'est un repère. Là, les élèves en difficulté auront beaucoup plus de mal à s'intégrer".

Il regrette que le gouvernement ne prenne pas en compte les recherches sur le sujet et qu'il lance cette réforme sans aucune consultation : 

C'est l'expression d'une vision conservatrice de l'école des années 60. Or, à cette époque on n'avait pas forcément des bons élèves partout en maths et en français.

Laurent Lescouarch

Professeur des Universités en Sciences de l'Education à l'Université de Caen

Beaucoup quittaient l'école à la fin de la primaire. Ils n'allaient pas dans le secondaire et ne faisaient pas d'études supérieures : "Nous sommes en 2024. Notre société a évolué. Il faut miser sur la formation des enseignants et proposer des modèles hétérogènes et plus souples. On n'a pas été consulté, ni les enseignants. Ils sont les mieux placés et aucun travail d'équipe n'a été mis en place par le gouvernement".

Autre point que le chercheur tient à dénoncer. Ce dernier ne comprend pas pourquoi le gouvernement ne travaille pas main dans la main avec les enseignants qui sont sur le terrain et qui ont l'expérience et l'expertise : "Les groupes par niveau vont demander plus d'heures et d'effectifs. Une demande récurrente des enseignants, c'est d'être reconnus dans leur travail, qu'on leur fasse confiance et qu'ils soient mieux rémunérés. Les salaires ne sont pas au cœur de cette réflexion. Ils ont l'impression de ne pas être entendus. Les enseignants ont bien évidemment déjà réfléchi à cette méthode de groupes par niveau. Ils sont totalement contre et ont leurs arguments". 

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