Domicilié dans l'Eure, un homme de 40 ans, marié et père de famille, s'est transformé en prédateur sexuel sur Internet. Son procès commence à Caen après trois ans d'enquête. En Normandie et dans les régions voisines, des centaines de jeunes filles ont été approchées, d'autres violées.
Les gendarmes ont trouvé sur son téléphone portable près de cinq cents fils de conversations sur Messenger. Mais c'est sur une autre plateforme qu'il accoste ses victimes potentielles : un site de rencontre international nommé Badoo.
Sur les réseaux sociaux, son physique empâté d'une quarantaine abîmée par le cannabis avait mué en beau jeune homme musclé mettant en avant un corps bien sculpté, légèrement tatoué et torse nu. "Je choisissais des photos de garçons sur Internet pour illustrer mes faux profils", raconte en toute simplicité cet homme qui, devant le tribunal, se dit rongé par les remords.
Et c'est avec ce physique de dieu grec qu'il part à la "chasse" pendant deux ans, entre 2015 et 2017, la nuit comme le jour, pendant que son épouse dort ou qu'elle travaille. "Je passais huit heures sur Internet sans difficulté à cette période de ma vie. J'ai tout fait à partir de mon téléphone".
Addict à la pornoraphie et au PMU
Sans emploi à cette période, il reconnait une addiction au cannabis depuis l'âge de 25 ans et une période plutôt compliquée dans sa vie : remarié après un divorce compliqué, ce papa de deux enfants ne les voit qu'un week-end sur deux. "Et ça a toujours été un bon père", confirme la maman de ses deux enfants. Elle a demandé le divorce après treize ans de vie commune, à cause de son infidélité etde ses dépenses sans limites dans les courses hippiques.
Je vois beaucoup de personnes dans cet état-là qui ont franchi les limites à cause du porno sur internet. Je crois qu'autant d'images en continu ça peut faire basculer des personnalités. Et n'importe qui.
L'homme qui est devant le tribunal aujourd'hui a pris, depuis quelques années, l'habitude de mentir pour cacher ses addictions aux courses et au sexe. Avec sa deuxième épouse, cadre supérieure, il a une vie sociale et une image qui n'est pas celle d'un harceleur ou d'un prédateur sexuel.
Mais sa personnalité se dédouble, devant les écrans : il se perd des heures devant des vidéos et des images qui mangent le cerveau. "Du porno amateur, en libre consultation sur la toile. J'étais capable de passer des heures à chercher des visages que je pouvais reconnaître", précise t-il.
Des centaines de victimes, trois jeunes femmes parties civiles
Je mentais sur mon âge et mon apparence mais dans ma façon de parler c'était moi. Je reculais les rencontres physiques autant que possible pour masquer la supercherie.
Yohann, né en 1976 à Rouen et domicilié dans l'Eure au moment des faits est incarcé depuis 4 ans. La cour Criminelle de Caen le juge pendant trois jours pour des viols qu'il est soupçonné d'avoir commis.
Selon les victimes et l'âge des victimes présumées, il change son prénom et dit s'appeller Alexis ou Kévin. "Il m'a mis en confiance dès les premiers échanges. Il était attirant physiquement sur ses photos et s'exprimait bien dans ses messages. Il m'a mis en confiance. Il faisait preuve de maturité et s'est mis en valeur", raconte l'une des jeunes femmes.
Il obtient des photos et des vidéos en quelques jours : un manipulateur ?
Une autre victime qui avait 18 ans en 2016, au moment des faits, raconte: "Il m'a fait croire sur le site de rencontre Badoo qu'il avait 20 ans, m'envoyait de fausses photos. Très vite on s'est envoyé des SMS puis on s'est parlé au téléphone. Il me disait qu'il avait un cancer en phase terminale et qu'il voulait croquer la vie. Il était aussi déjà papa."
Pour l'amadouer, il dit qu'il va bientôt mourir et lui demande des photos d'elle. Toujours dans le même ordre, d'abord habillée puis dénudée. Autant de mensonges qui ne l'empêchent pas, une semaine plus tard, de donner rendez-vous à la jeune femme dans son village de Seine-Maritime, près de la Boulangerie.
Don Juan tout en douceur, il lui glisse un "Tu ne t'attendais pas à me voir comme ça ? ", certain qu'elle va céder. Elle est coincée. Quand elle découvre la supercherie, la victime reconnaît perdre pied et elle prend peur. "Je me suis dit je pars et je prend le risque qu'il me suive jusqu'à chez moi ou je ne bouge plus? "
Elle sait qu'elle a envoyé des photos compromettantes et lui, il l'avertit tout de suite qu'il fera suivre les photos à sa famille : sa mère et son père. A moins qu'elle accepte de venir dans sa voiture garée plus loin.
Il lui demandera alors de toucher son sexe et de lui faire une fellation. Elle le fait. Et elle avouera aux enquêteurs qu'elle obtempère pour que sa mère ne découvre rien.
"Trop peur qu'il parle à ses parents." Il reviendra le lendemain et elle le rencontrera à nouveau. Il la violera dans un petit chemin du village. Mais comme il n'a pas employé la violence dans son acte sexuel, lui est persuadé qu'il n'a rien fait de mal. Elle a 18 ans, "C'est un plan cul qui a fonctionné. Je lui ai juste menti sur ma personnalité."
Manipulateur, il obtenait presqu'à chaque fois des vidéos de ces jeunes filles en train de se caresser.
Des jeunes femmes chassées sur les réseaux sociaux
Yoann accepte sans difficulté, alors qu'il a déjà analysé tout cela en psychothérapie, de se définir devant la cour comme "un chasseur de trophée". Il avoue avoir souvent, entre ces rencontres, continué à recontrer des femmes plus âgées, "parfois, elles avaient la soixantaine." A la même période, il fait accepter l'idée à sa seconde épouse de pratiquer le libertinage. Elle est en train de traverser une période difficile et trouve que ce serait pour elle, une manière d'apprendre à "s'accepter physiquement."
"Pourquoi vous vous intéressez à des femmes plus jeunes que vous sur ces sites de rencontre?", lui demande la Présidente. "Parce qu'elle va être plus facilement manipulable", reconnaît-il après ses trois ans de thérapie en prison.
"Je croyais à l'époque qu'il n'y avait pas viol parce qu'il n'y avait pas de violence. J'ai joué avec une fausse identité à les amener à avoir un rapport sexuel avec moi. Je ne faisais plus de différence entre le bien et le mal à cette époque."
Un aveu qui brosse le portrait d'un homme qui abusait des autres depuis longtemps. "Il a toujours été manipulateur mais je n'aurais jamais pensé le voir accuser d'une chose pareille", affirme sa première femme devant le tribunal.
Au moins une mineure de 15 ans partie civile
Une jeune fille de 15 ans va tomber sur lui sur un site de rencontre. Elle est très jeune et suit une formation chez un patron loin de chez elle. Dans son apprentissage, elle est entourée de jeunes filles plus âgées qui l'incitent à s'inscrire sur Badoo, ce fameux site à la réputation sulfureuse. Le soir, à l'internat, tout le monde en parle et elle était la seule célibataire.
"J'étais seule et naïve. J'ai voulu faire comme elles. Il m'a dit qu'il avait 20 ans. Je n'avais jamais eu de rapport sexuel. J'ai commencé à parler avec lui sur internet sans arrière-pensée"
Il lui demande très vite par SMS de prendre des photos nues sur le lit avec la pause qui l'excite. Il la harcèle toute la journée pour savoir ce qu'elle fait et avec qui elle parle. Ses copines lui disent qu'il est amoureux. Que tout cela est normal alors qu'elle est en plein doute, surtout qu'elle ne l'a jamais vu. Par SMS, il l'appelle bébé et elle, mon amour. Elle est subjuguée.
Quelques semaines plus tard, il la rencontre pour de vrai et la force à avoir un rapport sexuel sous la menace de tout révéler à ses parents. Cet homme qui a l'âge de son père la dégoûte, mais comment lui échapper alors qu'il peut faire basculer sa vie et le regard de ses parents ?
Déprimée, elle finira par tout dire à des copines du lycée qui l'aideront à parler à des adultes. Son établissement dans la Manche signale tout de suite la situation aux gendarmes et à la famille.
Dans les jours qui suivent, Yohann viole une dernière jeune femme près de Caen, toujours avec le même mode opératoire Cette victime a 22 ans. Elle est la première à porter plainte chez les gendarmes. Grâce à son courage, les enquêteurs pourront remonter jusqu'au prédateur. "Des faits odieux", conclut le parquet.