Les Français dorment mal. Insomnies, apnée du sommeil : les troubles sont de plus en plus fréquents depuis quelques années et cela augmente encore davantage depuis le début de la pandémie. Deux chercheurs de l’Université de Caen (Calvados) mènent une importante étude sur les solutions pour mieux dormir. En particulier, l’activité physique et l’exposition à la lumière.
6h41. C’est le temps moyen que nous passons par nuit dans les bras de Morphée en semaine. 7h33 le weekend. Selon l’enquête INSV/MGEN 2020, c’est plus d’une heure de moins qu’il y a 30 ans. C'est 1h30 de moins qu'il y a 50 ans, selon l'Inserm.
Nous dormons moins longtemps qu'avant, et nous dormons moins bien : les troubles du sommeil augmentent, et particulièrement depuis le début de la pandémie. Selon le docteur Marie Netchitailo, spécialiste du sommeil au service de neurophysiologie du CHU de Rouen, 4% des français étaient atteints d’apnée du sommeil il y a quelques années encore. C’est 10% aujourd’hui.
10% également des français souffrent d’insomnies sévères. "C’est très fréquent et cela s’aggrave avec le contexte actuel. La crise sanitaire et des événements comme la guerre augmentent les troubles liés à l’insomnie. Les confinements ont généré des pertes de repères". Moins d’activité physique, plus d’écran… la pandémie a changé (en mal) nos habitudes la journée, et cela se ressent la nuit.
La science au secours des mauvais dormeurs
Emma Milot et Stéphane Rehel ne s’en cachent pas : ils sont de bons dormeurs. Le soir, ils trouvent facilement le sommeil. Le matin, ils cherchent à comprendre pourquoi. Lui, est docteur en sciences, elle, doctorante. Tous les deux mènent leurs recherches à l’unité Comète de l’université de Caen.
Leur outil principal pour explorer les méandres du sommeil : la PSG. Rien à voir avec l'équipe de foot, la PolySomnoGraphie est l’appareil qui permet de recueillir de multiples données pendant la nuit d’un sujet. Activité électrique du cerveau, mouvements des yeux, tonus musculaire, activité cardio-respiratoire, saturation d’oxygène dans le sang : tout est enregistré, notamment grâce à 12 électrodes placées très précisément autour du cerveau. Ajoutez à cela des câbles sur le torse, une canule dans les narines et un filet autour de la tête : c’est inconfortable pour dormir, mais c’est le seul moyen de savoir exactement comment se déroule notre nuit.
Avec ces différentes données, Stéphane crée un hypnogramme. Sur le schéma suivant, on en voit deux : celui d’un bon dormeur et celui d’un mauvais dormeur. "Pendant un cycle de sommeil, un bon dormeur va avoir différentes étapes. Tout d’abord une phase de veille, lors de laquelle on va éteindre les lumières et chercher à s’endormir. Ensuite, c’est la phase du « sommeil lent léger ». Puis vient le « sommeil lent profond » : c’est le sommeil réparateur. Enfin, on va monter en sommeil paradoxal, celui qui est associé aux rêves. On alterne entre ces différents stades plusieurs fois par nuit".
Un bon dormeur enchaine 4 à 6 cycles de manière fluide. Il y a toujours des micro-réveils la nuit, c’est normal, et le bon dormeur ne s’en rappelle pas. Le mauvais dormeur, en revanche, connaît de réelles phases d’éveil. Sa nuit est fragmentée. "On va avoir une durée d’endormissement plus longue, des temps en « sommeil lent profond » plus courts, et davantage d’épisodes d’éveil".
Des polysomnographies, Emma et Stéphane en ont réalisé un bon paquet. Ils ont rapidement fait ce constat : nous avons tendance à sous-estimer notre sommeil. "Certaines personnes disaient qu’elles ne s’endormaient qu’au bout de 30 minutes, voire 1 heure. Et en regardant l’enregistrement, on remarque qu’elles mettent 8 à 10 minutes pour s’endormir." On tombe parfois dans le sommeil plus rapidement qu’on ne le pense. Autre exemple, cette personne qui assurait le lendemain de sa polysomnographie s’être réveillée pendant la nuit. "Elle a assuré avoir vu son réveil indiquant 3 heures du matin. A la même heure dans l’enregistrement, elle était en plein sommeil lent-profond."
Une enquête d’envergure sur les 60-70 ans
Nous avons parfois l’impression (fausse) de mal dormir. Mais finalement, que ce soit un ressenti subjectif ou un problème avéré, c’est une souffrance réelle. Si les troubles du sommeil touchent de plus en plus les jeunes, à cause de l’utilisation croissante des écrans, ils augmentent presque systématiquement avec l’âge. Partant de ce constat - plus on vieillit, plus on dort mal -, Stéphane Rehel et Emma Milot ont décidé de mener une enquête d’envergure sur le sommeil des 60 – 70 ans.
Avant la mort de mon mari, je dormais 8 à 10 heures par nuit. Maintenant c’est 5 heures maximum.
Annie Decostere, 64 ans
Parmi les nombreux participants (le recrutement continue), il y a Annie Decostere, 64 ans. Les raisons expliquant la dégradation du sommeil à cet âge sont multiples. C’est parfois la retraite, et l’arrêt de l’activité professionnelle (et donc le changement de rythme), qui en est la cause. Pour Annie, c’est le décès de son mari qui en est à l’origine.
"Mon mari est décédé il y a 9 ans. Avant je dormais 8 à 10 heures par nuit. Et maintenant c’est 4 ou 5 heures grand maximum." Evidemment, si les nuits sont courtes, "les journées sont plus longues" sourit Annie. "Il faut trouver une occupation pour combler ce 'temps vide' ." Annie lit, ou écoute la radio. Ce manque de sommeil ne joue pas sur son moral : elle est toujours de bonne humeur. "Je ne suis pas spécialement fatiguée, mais je ressens ce besoin de dormir plus."
Annie en a parlé à son médecin, elle a essayé de prendre des médicaments. Sans succès. Et puis il y a quelques mois, une petite annonce lui saute aux yeux. Des chercheurs caennais cherchent des participants dans le cadre d’une étude qui vise à améliorer le sommeil des retraités. Elle n’hésite pas et rejoint le programme.
Au programme justement : du sport. Stéphane et Emma demandent aux participants de pratiquer une activité physique 3 fois par semaine pendant 1 heure. "Le sport, premièrement, ça limite le stress et les ruminations, par la libération d’hormones telles que la dopamine ou l’endorphine, explique Emma Milot. Deuxièmement, ça permet d’augmenter la proportion de sommeil lent profond, celui qui est le plus récupérateur". Annie a réalisé une polysomnographie avant le début de l’étude, et repassera une nuit avec l’appareil à la fin de l’étude. Donc pour l’instant, pas de résultats officiels quant à l’efficacité de la pratique sportive, commencée il y a 5 semaines. Mais la retraitée a l’impression de mieux dormir. "Pas plus longtemps, mais plus profondément".
Les cours de sport se font à domicile. Annie écoute les consignes de son coach via son ordinateur. Les chercheurs veulent découvrir si pratiquer le sport en visioconférence est aussi efficace pour mieux dormir que l’activité physique classique. Mais l’objectif principal de leur étude, subventionnée par la région Normandie et l’Union Européenne, est de découvrir quels bénéfices on obtient en alliant sport et exposition à la lumière.
Certains participants doivent donc, en plus de l’activité physique, rester une heure tous les matins face à une lampe de luminothérapie. "La lumière c’est le synchroniseur le plus puissant de notre horloge biologique, explique Emma Milot. Les effets de la lumière ont déjà été reconnus dans les traitements pour le sommeil ou pour l’anxiété. Notre but, c’est de voir combinaison de deux synchroniseurs que sont l’activité physique et la lumière, et s’ils ont un effet majoré par rapport à un synchroniseur tout seul."
Les règles d’or pour bien dormir
S’exposer à la lumière naturelle, c’est la première chose à faire le matin pour s’endormir rapidement le soir... Il existe ainsi une dizaine de règles d’or à respecter pour parfaire son sommeil.
Attention : chaque personne est unique, cela vaut aussi pour le sommeil. Certains conseils fonctionneront pour certains, pas pour d’autres. Par exemple, le Dr Marie Netchitailo explique qu’une sieste est "plutôt déconseillée" pour les insomniaques, mais il ne faut pas se l’interdire tant qu’elle reste courte (20 minutes maximum) et réalisée en début d’après-midi.
VIDEO. Nos conseils pour bien dormir
Si vous souhaitez en savoir plus sur le sommeil, rendez-vous ce mercredi 11 mai à 19h sur France 3 Normandie : le Dr Netchitailo sera l’invitée de notre journal.