Gérard, Marie-France ou encore Roland sont confinés jour et nuit depuis le 16 mars au centre d'hébergement d'urgence du « Cap Horn » à Caen. Loin de la rue, certains se sont "posés", d'autres se sont sevrés de l'alcool. Le déconfinement va être un tournant pour ces quarante sans domicile fixe.
" Tarte aux fraises, jus d'orange". L'heure du goûter. Nous sommes au comptoir du foyer pour SDF du Cap Horn et Gérard qui vit habituellement dehors depuis deux ans , " après que ma bonne femme m'ait foutu dehors ", y est accueilli depuis le début du confinement.D'habitude, on part le matin à 9 heures et on revient à 17 h. Dehors, on marche, on s'occupe. Là, on passe la journée ici, c'est long mais bon...C'est bientôt fini.
Gérard concède que cette période de confinement au foyer lui a quand même permis de "se poser". " Je voudrais bien trouver un logement après".
Marinée, une pensionnaire brune d'une quarantaine d'année, vient chercher un jus d'orange. Elle est arménienne et ne parle pas un mot de français. Puis, c'est avec Cyril que s'engage la conversation, grand, athlétique, regard altier, il raconte sa vie, il raconte être devenu SDF à cause de l'alcool. Et que le confinement, pour lui, c'est le sevrage.
J'ai pas bu depuis un mois et demi, ici, ils veulent pas que je boive...Le plus dur est fait mentalement, mais bon...après le 11 mai, je me projette pas trop...
Quotas de bière pour pallier le manque d'alcool
Dans une pièce à part, Roland et Marie-France ( surtout mettre France à côté, insiste-t-elle) boivent leur première bière de la journée. La consommation d'alcool se fait ici, sous contrôle. Chaque verre d'alcool est notifié sur un classeur, " chaque personne a une quantité précise à respecter, on les accompagne même si on n"est pas addictologue, ni infirmier. Comme souvent ils se sentent mieux ici , ils ont tendance à diminuer d'eux-même leur consommation d'alcool, ce que nous leur donnons, c'est pour pallier le manque ", explique David Lecoq, accueillant "alcool" au foyer." Avec le confinement, on a plus de temps pour avoir un échange plus profond y compris pendant l'alcoolisation."
Le manque justement...cela trois fois en à peine quelques minutes que Roland réclame sa deuxième bière. " Moi je me sens en tôle ici, y a des gens bien et des imbéciles comme partout mais j'ai hâte de retrouver mes amis, près de Deauville, je me sens loin de la mer ici et j'aime pas les gens de Caen. Je reprendrai bien ma deuxième bière". Au total, il dit en consommer 4 quotidiennement contre " seulement 6 habituellement"...
Marie-France tient un autre discours, d'une voix grave et extrêmement ralentie. " On boit gentiment ici , je préfère être là car dehors, dans la rue, il y a des gens agressifs". Elle en profite pour faire passer un message si ces proches apprennent qu'elle est ici," je leur fais un coucou, je les aime et ils peuvent m'appeller, Marie-France est là".
Des liens retissés, une autre visibilité, un tremplin
Ici on accueille, tout le monde, « inconditionnellement ». Des hommes et des femmes, envoyés par le 115 habituellement juste pour la nuit. La plupart sont en « grande marginalité ».
" On observe une évolution positive pour les personnes qui ont choisies d'être confinées ici, elles se resociabilisent, certaines n'avaient pas joué à des jeux de société depuis bien longtemps, elles ont tissé des liens avec le personnel, leur consommation d'alcool a baissé...Le temps aussi de parler de leur parcours de vie, de prendre 3 repas par jour, d'avoir de l'hygiène, de parler de leur santé " explique Fabienne Forveille, responsable de la structure.
" En 24 heures, il a fallu refondé toute notre organisation, on s'est vite adapté. On attend maintenant les orientations gouvernementales. Même si ce n'est pas la vocation de l'hebergement d'urgence, on aimerait maintenir un suivi . Le déconfinement sera progressif et un certain nombre de nos résidents confinés ne devraient pas retourner à la rue mais être orientés vers de l'hébergement à plus long terme et du logement adapté".Quand ces personnes sont dans la rue, elles sont invisibles.
Le centre emploie trois personnes supplémentaires, pour fonctionner nuit et jour.
Coronavirus : des "chèques-services" pour aider les SDF et les plus précaires à passer la crise
Fournis par le gouvernement, et valables jusqu'à la fin mai, ces "chèques-services" d'une valeur de 7 euros permettront d'acheter de la nourriture ou des produits d'hygiène dans de nombreuses enseignes. Un dispositif devenu "indispensable " pour Claude Gautier, président de l'Unité locale Croix-Rouge de Caen : Ce sont des gens qui vivent dans la rue ou dans des squats, très peu logés correctement avec peu ou pas de ressources.