Comment se confiner quand on est à la rue? Faire la manche, se nourrir, s'abriter ou présenter une attestation? Le mois dernier, il a fallu trouver, en quelques jours, des solutions d'urgence.

Nantes, 10h30 devant le Wattignies Social Club. A la station de tramway, quelques silhouettes attendent déjà, cabas en main ou sac au dos. Dans cet ancien garage tout proche du centre-ville de Nantes, les bénévoles viennent d'arriver et préparent la distribution alimentaire qui commence dans une heure.

D'ordinaire, cette friche urbaine est une sorte de bazar urbain, lieu de vie et de culture alternatif, à la fois bar militant, organisateur de concerts, de soirées, incubateur de boutiques solidaires. Depuis le début du confinement, c'est l'un des 7 lieux nantais où l'on distribue quotidiennement de la nourriture ou des paniers repas aux sans-abris, ici, à l'heure du déjeuner. Devant l'entrée, des barrières métalliques dessinent un parcours vers 3 guichets derrière lesquels des bénévoles sont protégés par une paroi en plexiglas.

 


"Dans le sac, vous avez un taboulé, une salade de concombres, du pain, deux portions de fromage, une pomme et une compote.
- Je peux en prendre un pour ma copine aussi?
- Oui, on est là tous les jours, revenez quand vous voulez.
"

La main se tend, récupère le sac en papier marron, un bon pour une distribution de repas chaud le soir, ainsi que le goûter, une boîte SNCF contenant de l'eau, des biscuits, et une compote. Le kit d'assistance qu'on distribue aux passagers lorsque les trains sont bloqués en rase campagne. Comme une métaphore de la situation des personnes à la rue, pour qui du jour au lendemain, tout a déraillé.

En urgence, il a fallu tout repenser


Avec le confinement, il a fallu d'urgence tout repenser. Avec son quai logistique et ses trois boutiques ouvertes vers l'extérieur, le Wattignies Social Club s'est imposé comme une évidence pour centraliser une grande partie de l'aide alimentaire et distribuer les kits d'hygiène de base.

"Dès le début du confinement, on a proposé notre aide, on a été contactés par le Samu social et le service d'insertion d'accueil et d'orientation. En 72 heures, on s'est coordonnés avec la ville, les associations, et on a pu monter les premières distributions" explique Stéphane Juguet, le créateur du lieu, qui réfléchit déjà à l'après-confinement.


Certains viennent de basculer dans la pauvreté


"On voit des SDF, mais aussi des étudiants, des riverains, des personnes qui étaient juste au-dessus de la ligne de flottaison, mais que le confinement a fait basculer, du jour au lendemain." Avant le confinement, le Watignies Social Club était déjà engagé auprès des migrants et des personnes à la rue.

Son panier repas à la main, Cyrille, 16 ans, un mineur isolé qui loge à la maison du peuple, un squat en centre-ville de Nantes, se souvient que Stéphane fut l'un des touts premiers à lui venir en aide lorsqu'il est arrivé à Nantes. "Il m'a emmené à la halte de nuit, il m'a donné une couverture."

A la sortie, Stéphane Juguet imagine par exemple, une centrale d'achat solidaire, pour les produits alimentaires. "Mais on n'a pas la solution. Ceux qui vous diront qu'ils ont des solutions miracles, il faudra s'en méfier."
 

Des centaines de demandes d'hébergement en suspens

Elle a fourré le sac en papier brun dans un grand sac à dos. Une femme d'une quarantaine d'année s'éloigne avec son petit garçon, d'une dizaine d'années. A-t-elle encore un logement? Depuis le début du confinement, en métropole nantaise, l'Etat a ouvert 411 places d'hébergement supplémentaires, dans des hôtels ou des gymnases pour héberger d'abord les plus fragiles, les femmes avec enfants, les femmes victimes de violences ou les personnes sortant de détention.

Les 258 places du dispositif hivernal sont également restées ouvertes, mais cela suffit-il? Au service d'insertion d'accueil et d'orientation, on compte encore 251 demandes d'hébergement, parfois des personnes qui ne sont pas encore à la rue, logées par des tiers, pour qui la cohabitation se passe mal.

Un gymnase pour les personnes avec des animaux

Avec 4 chiens tenus en laisse et un chat gris au pelage soyeux juché sur son gros sac à dos, la silhouette de Maxime ne passe pas inaperçue. D'habitude, cette ménagerie lui interdit l'accès à des hébergements d'urgence, mais depuis quelque temps, il a trouvé refuge dans un gymnase du centre-ville. 

"La question du public avec des chiens s'est posée assez rapidement après l'ouverture des places en hôtels, la plupart des hôteliers n'acceptant pas les personnes avec des chiens", explique Mathieu Goury, qui coordonne pour la Croix Rouge l'ensemble du dispositif Covid.  Pour ouvrir ce gymnase, l'ONG s'est associée avec l'association des Eaux Vives et la ville de Nantes.

Dans la grande salle, une dizaine de tentes forment de petites "chambres" individuelles, sommairement meublées de deux lits de camps posés sur un sol protégé par d'épais tapis noirs.
 


"Les animaux des personnes sans abris ne posent généralement aucun problème. Ils sont propres, savent rester paisiblement dans un coin, et sont généralement sociables" commente Hugues Radin, qui coordonne les équipes de l'association des Eaux Vives, présentes au quotidien pour assurer les repas et proposer des activités.

Présente depuis le premier jour, Monique, 60 ans, rigole en taquinant Auriane, l'une des deux bénévoles présentes ce jour-là : "Non, je ne ferais pas de yoga ! De la boxe si tu veux, mais pas de yoga." Confinée avec Albert, son compagnon, et leur chat, qui se cache dans la tente, elle apprécie cette mise à l'abri, et la vie collective qui s'est organisée ici : "On se repose, parce que dans la rue, la vie est fatiguante. Certains sortent, ils nous disent ce qui se passe à l'extérieur, on se raconte aussi nos vies."
 


Sur une table, des jeux de société, des livres, des journaux, offerts quotidiennement par un buraliste. Le soir, l'équipe de bénévoles programme régulièrement des séances de ciné à l'aide d'un vidéoprojecteur. Il y a aussi la petite cour, et quelques arbres, et surtout, les attestations, que les bénévoles délivrent à la demande. "Pour eux, le plus difficile, c'est de respecter le cadre strict du confinement. On voit bien que les personnes ne se contentent pas de sortir une heure. En général, on coche la case du déplacement pour les besoins de première nécessité", précise Magdeleine, l'une des bénévoles.

Dans le couloir, une boîte pour seringues usagées rappelle discrètement la délicate question des addictions. Pour l'heure, le site accueille 12 personnes, 6 chiens et 3 chats. Aucun cas de Covid 19 n'a été recensé, ni chez les résidents, ni chez les intervenants.

Un centre de 48 places pour les malades du Covid

Pour les personnes touchées par le Covid, un centre de 48 places a été ouvert dans un petit village de vacances, à Saint-Aignan de Grandlieu. Dans les chalets en bois, ce jour-là, 17 personnes sont hébergées, le temps que les symptômes s'estompent. Des ombres qu'on devine aux fenêtres des chambres pendant la tournée du médecin, silhouette fantômatique en surblouse, charlotte et masque FFP2.
 

Depuis la mare qui donne sur le château voisin, les résidents entendent les oies et les canards. "On a l'habitude d'ouvrir des lieux d'hébergements, mais ce sont plutôt des gymnases, en hiver. Ou des foyers avec des chambres à plusieurs lits. Là, c'est du quatre étoiles par rapport à ce qu'on a d'habitude" commente Marine Clouet, secouriste à la sécurité civile, gestionnaire du centre. 

Ce matin, une femme considérée comme guérie traîne des pieds pour regagner le foyer qui l'héberge. À 11 heures, elle fume encore en robe de chambre sur la terrasse de son chalet alors que l'ambulance l'attend depuis une heure. Ceux qui arrivent des squats ou de la rue repartiront vers des hôtels ou des foyers.
 

Dans la cour réservée aux bénévoles, plusieurs tenues sèchent au soleil. Un bâtiment en pierre sépare les chalets du grand portail d'entrée, et fait office de sas. Présents 24 heures sur 24, les bénévoles se changent en zone de décontamination, et passent dans un second sas, avec surblouses et pédiluve avant d'accéder à l'espace où se trouvent les malades.

La sécurité civile s'était préparée à l'époque du virus H1N1

"On s'était déjà préparés à l'époque de la grippe H1N1. Il y avait eu un exercice national, sur plusieurs jours dans la Creuse, et c'est exactement le protocole mis en place aujourd'hui", commente Jean-Pierre Giraudet, président départemental de la Sécurité Civile, qui tempère cependant. "Ici, nous avons eu de la chance par rapport aux collègues de l'est. On a eu une semaine d'avance par rapport à l'épidémie. Eux, ils n'ont pas eu le temps de se préparer, et ils ont souffert."

Pour acheminer les malades, deux ambulances sont prêtes, 24 heures sur 24, et une troisième équipe se tient prête à partir, au cas où. "Mais la reprise du travail annoncée à partir du 11 mai nous inquiète un peu", reconnaît Marine Clouet. "Contrairement à beaucoup d'associations, tous nos bénévoles sont des actifs, et s'ils sont disponibles, c'est parce qu'en ce moment, ils sont pour beaucoup en chômage partiel."

Encore du monde dans les squats et dans la rue

Par ailleurs, à Nantes, le collectif "Personne à la rue" identifiait encore ce vendredi 17 avril quelque 200 personnes habitant dans des squats, des bidonvilles, ou dans des habitats indignes, demandant au préfet de les mettre à l'abri. Ce sont eux, notamment, que rencontrent les bénévoles des maraudes, qui se poursuivent malgré le confinement.

"Au début, on a suspendu nos tournées, on a demandé s'il fallait des autorisations spécifiques", explique Flavie, bénévole aux P'tits Gilets, association qui organise chaque lundi des maraudes en centre-ville de Nantes. "On n'a pas eu beaucoup d'information, alors on a repris, avec 9 personnes au lieu de 15 habituellement, pour limiter les risques de contamination."

Sur les dernières tournées, les bénévoles ont croisé une vingtaine de personnes, et constaté un seul abus, de taille : "Deux personnes qui ont reçu chacune une amende de 135 euros, et qui se sont vus saisir le véhicule qui leur servait de lieu de confinement, pour défaut de contrôle technique."

Sur le terrain, l'association constate un isolement accru par le confinement. Devant les rares commerces ouverts, la manche suscite surtout la crainte et la méfiance. Pour les attestations, les personnes à la rue peuvent se faire délivrer des certificats de défaut de résidence, valables une semaine, auprès du Samu Social ou du CCAS.


 
À Nantes, des permanence d’accès à l’alimentation pour les plus précaires
À Nantes, 4 dispositifs sont actuellement en fonctionnement :

• Le Wattignies Social Club, colis distribués par les équipes du 115, la ville de Nantes et des bénévoles
• Le 24bis, en substitution de La Claire-Fontaine fermée, selon leurs conditions d’usage
• Le restaurant Aurore (repas pour les jeunes isolés)
• L’ Autre Cantine


• Resto du coeur : Ouverture d'un point de distribution alimentaire exceptionnel au 5 rue de la Garde - capacité estimée à 1 000 colis/ jour jusqu’à 5 jours par semaine avec un barnum à l’extérieur

• Espace mis à disposition par le CAARUD pour la distribution alimentaire au 32 quai de Versailles (Sas pour distribution)

• Moutonnerie (ANEF FERRER) : distribution de paniers repas

• ADELIS propose de renforcer son dispositif de restauration sur le site Beaulieu jusqu’a 120 repas par jour supplémentaires.


• Certaines associations comme le Secours Populaire et le Diaconat Protestant maintiennent la distribution de colis alimentaires d’urgence pour les personnes fréquentant habituellement leurs structures.


L’approvisionnement des associations participant à l’aide alimentaire est notamment assuré grâce à un renfort de la Banque Alimentaire par la collectivité et avec l’appui de la Croix Rouge.

 
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