Pourquoi pas du cidre sur les tables de fêtes ?

Cette ancienne boisson de ferme naguère jugée avec dédain est aujourd'hui plébiscitée par quelques sommeliers de renom. Une révolution cidricole est en cours, en Normandie comme ailleurs, portée par quelques francs-tireurs audacieux et ambitieux. Rencontres.

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Et dire qu'ici et là, en Normandie, de vieux pommiers sont encore arrachés pour faire place nette avant le passage de la charrue. "Vous voyez là-bas la terre retournée ? Il n'y a pas longtemps, c'était encore un verger", explique Cyprien Lireux au volant de son antique voiture tout-terrain. Le jeune homme arpente les petite routes entre Falaise et le Pays d'Auge et une évidence s'impose : "Beaucoup de pommes ne sont plus ramassées. Elles pourrissent au pied des arbres. Si personne ne s'en occupe, ces vergers sont condamnés".

Cyprien Lireux appartient à cette génération de jeunes producteurs convaincus que le cidre a un avenir radieux pour peu qu'il soit travaillé avec le respect dû à un produit d'exception. "Je voulais me lancer, mais je n'avais que le petit verger de mon grand-père. Je me suis dit qu'il y avait là un paradoxe. Des gens manquent de pommes alors que d'autres ont des vergers où personne ne les ramasse". Il a donc entrepris de solliciter quelques propriétaires.

Il a baptisé sa première cuvée "Parcimonie", parce qu'il a glané des pommes par petites quantités, à l'instinct, en goutant chaque variété à défaut d'en connaître le nom. Son cidre demi-sec est équilibré, élégant. "J'ai peut-être la chance du débutant", confesse ce jeune diplômé d'une école de commerce qui a bifurqué vers une formation cidricole.

Notre série de reportage : les cidres d'auteur

Cyprien a fait ses première armes comme salarié au Domaine des 5 Autels, une des maisons qui a contribué à faire évoluer l'image du cidre. L'entreprise se revendique d'être "bio depuis 1967". Qui dit mieux ? Elle transforme aujourd'hui 300 tonnes de pommes pour produire des cidres techniquement irréprochables, vendus dans toute la France, en Europe et aux Etats-Unis.

Une troisième génération de jeunes associés a récemment repris les rènes avec l'ambition de conserver l'esprit novateur qui caractérise le Domaine depuis son origine. Le nouveau maître de chais a par exemple entrepris de convertir les vergers à la biodynamie, une technique qui accorde une grande importance à la circulation des énergies et à l'influence des astres. Cet ingénieur agronome de formation assume l'ésotérisme de la chose. "Avec les vins en biodynamie, même si ça fait rigoler beaucoup de monde, il se passe quelque chose quand on ouvre la bouteille, explique Etienne Fournet. Cela donne un peu de mystère à ce qu'on fait et ce monde a bien besoin de mystère".

Le terroir donne-t-il un goût au cidre comme il façonne les vins ?

A Cambremer, Antoine Marois s'est très vite posé une autre question : le vent, la pluie, l'exposition au soleil et la nature du sol laissent-ils une signature aromatique aux pommes ? En d'autres termes, le terroir a-t-il une influence sur le goût du cidre, comme il façonne les grands crus de Bourgogne ? Jusqu'ici, ces questions ne se posaient que dans le monde du vin. "Après tout, le deux boissons ont en commun d'être tirées d'un fruit..."

Est-ce parce qu'il a d'abord travaillé dans des maisons viticoles de la vallée du Rhône ? En reprenant les vergers de l'exploitation familiale il y a 6 ans, Antoine Marois a décidé de ne produire que des cuvées parcelaires. Les pommes de chacun de ses vergers sont donc récoltées et pressées séparément.

Cette exigence a rapidement attiré l'attention des critiques gastronomiques et de quelques grands chefs cuisiniers. Il fut même l'un des premiers à pouvoir vendre ses flacons au même prix que des bons vins. Antoine Marois l'admet : "Le lien entre le terroir et ce qu'il y a dans la bouteille est encore très compliqué à expliquer d'autant plus qu'on a un mélange de variété différente, mais on le constate vraiment à la dégusation". Ce monde a bien besoin de mystère...

La poire vaut bien le détour

Dans le pays de Domfront, la nature est parfois capricieuse. Cette année, le gel du printemps a grillé les fleurs des poiriers. La récolte fut maigre.. Le poiré n'en sera que plus rare. Et précieux.

Ce breuvage, toujours élégant dans sa robe dorée, est aujourd'hui recherché par une nouvelle clientèle. "Après le confinement, j'ai vu des gens venir spécialement de la région parisienne. Ils voulaient tout goûter", raconte Jérôme Forget. "On n'est pourtant pas dans un coin très touristique..." On ne vient plus jusqu'à Torchamp tout à fait par hasard.

Jérôme Forget est l'un des animateurs de l'Appellation Poiré Domfront. Cet autodidacte a planté pas moins de 700 poiriers en une vingtaine d'années. L'acte a quelque chose de transcendant. Ceux qui lui succèderont en récolteront les fruits. Dans ses prairies, les plus vieux arbres donnent depuis trois siècles... Un dicton local dit que le poirier met cent ans à venir, cent ans à donner et cent ans à mourir...

Jérôme Forget voulait disposer une palette de variétés, de saveurs. "C'est ce qui me donne envie de créer. Avec l'assemblage des variétés de poires sucrées, acides, astringentes, je fais une composition". Son poiré d'appellation est vif, charmeur. "Essayez-le avec des huîtres", dit-il dans un sourire malicieux. Il conçoit aussi des cuvées monovariétales, pour révéler le caractère de certaines poires. La cuvée Fossey surprend "avec ses notes de letchi". Elle vaut bien à elle seule un détour par Torchamp.

 

 

 

 

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