Ces graffitis inconnus étaient enfouis sous des graviers depuis des décennies. Ils viennent d'être retrouvés par un historien qui traque les vestiges du Débarquement. Les traces laissées en 1944 par ces jeunes soldats rappellent le rôle joué par ce port pendant la bataille de Normandie.
À marée basse, un mince filet d'eau coule dans le chenal. Quelques petits bateaux de plaisance sont retenus par des bittes d'amarrage hors d'âge. L'un des deux quais est resté dans son jus. Le sol est tapissé de sable et de petits cailloux entraînés par les eaux de pluie.
"Un jour, je me promenais et mon œil a été attiré par du béton qui affleurait", raconte Stéphane Lamache. "Je me suis approché. J'ai vu quelques inscriptions pas bien lisibles, mais ça m'a titillé". Les petites rainures sont à peine visibles. Le béton est usé par le temps. Mais l'œil de cet historien est affûté. Depuis des années, Stéphane Lamache recense les vestiges du Débarquement, les restes de fortifications, les traces laissées par les combattants...
740 tonnes débarquées chaque jour
"Il y a quelque temps, j'avais retrouvé des inscriptions sur le port de Barfleur. Je me suis dit qu'il pouvait y en avoir ici aussi". À l'aide d'un petit chiffon, il écarte la terre et les cailloux et du bout de ses doigts, il déchiffre. "J'ai d'abord lu un nom à consonance anglo-saxonne, Garbery. À côté, j'ai commencé à lire CoD. C'est l'abréviation de compagnie D. Je me suis dit qu'il y avait quelque chose". L'inscription "358 eng" le met sur la piste. C'est la signature d'un régiment de génie de l'armée américaine.
Quelques heures après le Débarquement allié du 6 juin 1944, cette unité entre à Isigny-sur-Mer alors que les combats font encore rage. Elle a pour mission de remettre en état les installations portuaires. Des embases sont coulées autour des bittes d'amarrage afin de les renforcer. Ces jeunes soldats ont le réflexe de graver leur nom dans le béton frais. Sans doute voulaient-ils marquer leur passage en laissant une trace.
"Ces inscriptions rappellent le rôle de ce que les Américains avaient appelé des minors ports, explique l'historien. En attendant de pouvoir prendre Cherbourg, l'armée s'est appuyée sur un réseau de ports secondaires, comme Barfleur, Saint-Vaast-la-Hougue et Grandcamp. À Isigny-sur-Mer, les caboteurs accostaient à marée haute. Entre le 24 juin et le 15 octobre, ils ont débarqué 740 tonnes d'armes et de matériel par jour". Sur le quai désert, rien ne laisse supposer cette intense activité. "Moi je ne sais rien, reconnaît un habitant. Les anciens ont peut-être connu ça, mais c'était il y a 80 ans maintenant"...
Stéphane Lamache revient le lendemain, muni d'une brosse. Il met au jour d'autres inscriptions. Des dates en 1944, des noms : Buschnoe, Harrison qui demeureront de glorieux inconnus. Un autographe apparaît, intact : "Lt J. B. Atkinson." Un nom, un grade. Réflexe de chercheur, il tire le fil.
"J'ai retrouvé sa famille à Nashville. C'était un héros de guerre. Il est mort il y a quelques années seulement. Son fils m'a envoyé le journal qu'il avait écrit. C'est très intéressant de découvrir ce jeune lieutenant qui raconte son arrivée à Isigny-sur-Mer le 9 juin 1944 alors que les combats sont encore vifs. Et il a laissé son nom, comme ça". Ses descendants envisagent aujourd'hui de venir faire le pèlerinage sur le quai. Sa signature en atteste, le lieutenant Atkinson est bien passé par là...