Après un mois de mobilisation, Ludivine, Jeremy et Timoléon, trois jeunes figures des "gilets jaunes" français, engagés à Caen, où ils habitent,ont vu leur vie bouleversée et rêvent aujourd'hui d'un avenir différent. Ils redoutent la fin du mouvement qui a changé leur vie.
Ils se confient sur un engagement qui a changé leur vie en quelques semaines.
"Les gilets jaunes ? Ça a été un déclic"
J'ai vraiment l'impression d'être à ma place ici", lance à l'AFP Ludivine Hilairet, 21 ans, qui distribue des tracts sur un marché à Caen
Avec neuf autres compagnons, elle est sur le marché de Caen et fait entendre sa voix auprès des passants, ce vendredi 21 décembre, veille de l'Acte VI, en lançant "assemblée citoyenne ce soir, venez nombreux".
Avant, ils n'avaient jamais vraiment pris la parole
Organiser des blocages, communiquer sur leurs événements, motiver les troupes, prendre la parole devant une foule: depuis le début du mouvement de contestation populaire, le 17 novembre, nombre de "gilets jaunes", des citoyens souvent apolitiques et asyndicaux, ont découvert une nouvelle fraternité militante et leur vie a radicalement changé, comme celle de Ludivine, employée dans la restauration rapide.
"Ici, on est acteur, on est sur le devant de la scène. Retourner au boulot, dans nos vies d'avant, ça me paraîtrait insurmontable", confie celle qui a arrêté ses études l'an dernier, "notamment pour des raisons financières".
Après avoir participé à plusieurs blocages de ronds-points et manifesté chaque samedi, elle et ses compagnons se sont tournés, depuis l'affaiblissement du mouvement, vers d'autres types d'action, comme l'organisation de collectes pour les sans domicile fixe.
"Toute cette solidarité qui a émergé du mouvement, il faut en faire quelque chose", poursuit-elle. "Je me demande quel métier je peux faire pour maintenir cette fraternité".
À défaut de pouvoir quitter son poste, Ludivine souhaite s'investir "à côté", en mettant en place avec les boulangers de sa ville un réseau de "baguette en attente". Un système qui permet aux clients d'acheter une baguette, et d'en payer une deuxièmepour permettre à quelqu'un dans le besoin de venir la récupérer plus tard.
"Nous sommes beaucoup à remettre en question nos vies professionnelles", témoigne de son côté Jeremy Martin, 28 ans, conducteur de bus à Caen.
Jeremy est l'un des modérateurs du groupe Facebook "Les automobilistes de Normandieen colère", qui rassemble une communauté de 52.000 personnes dans la région. Avec ses vidéos live où il dénonce le "manque de pouvoir d'achat" ou la "déconnexiondes élites", il est rapidement devenu l'un des visages du mouvement.
"un déclic"
"Tout a changé. Aujourd'hui, est-ce que j'ai encore envie d'être chauffeur de bus ? Je veux faire quelque chose d'encore plus utile", affirme-t-il, tout en confiant sa "peur que tout cela s'arrête".
À 30 kilomètres de Caen, Timoléon Cornu, 27 ans, est lui bien décidé à changer de vie. Chauffagiste intérimaire, son contrat n'a pas été
reconduit en septembre après une blessure à la cheville. "C'est ce qui m'a poussé à rejoindre le mouvement dès le 17 novembre", explique-t-il.
"Avant je ne parlais pas de politique"
Sur les blocages, il voit "l'émergence d'une conscience collective". "Avant, je ne parlais pas de politique. Depuis, ça me passionne", explique celui qui "décortique" tous les matins l'actualité et s'est mis "à lire des textes de loi".
"Il faut changer ce modèle, il faut plus de représentativité du peuple dans les décisions", argue-t-il, mettant notamment en avant l'instauration du Référendum d'initiative citoyenne (RIC), qui est devenu l'une des principales revendications du mouvement.
Pour Timoléon, le mouvement social a avant tout été "un déclic". "J'ai décidé de reprendre mes études", explique-t-il, déterminé. Son projet: passer son bac et s'inscrire en licence de droit, "pour pouvoir défendre mes concitoyens, c'est ce que j'aime: faire porter la parole des autres", détaille-t-il alors que se profilent en mai les élections européennes.
Adhérer à un parti ? "Pas question, je ne veux pas me coller une étiquette. Pour moi, ils sont tous pareils, déconnectés", répond Timoléon. "C'est à nous, le peuple, de créer autre chose".