L'historien s'inquiète du rôle que jouent les "médias sociaux" dans la transmission de la mémoire et l'interprétation de l'Histoire. Il constituent selon lui "une menace pour la démocratie".
Ce qu'il lit, ce qu'il entend, n'est pas de nature à le rassurer. L'homme n'a pas d'hostilité de principe à l'égard des réseaux sociaux. "J'ai moi-même un compte Facebook". Denis Peschanski était assez curieux d'explorer ces outils de communication qui prônent la liberté d'expression et qui ouvrent de nouvelles possibilités de dialogue. "Il y a une structure en apparence horizontale. Mais dans les faits, avec les algorithmes, c'est de l'horizontalité à l'intérieur de groupes".
L'historien s'inquiète du climat qu'instaurent ces médias sociaux : "dans un journal, si je tiens des propos racistes, je peux être condamné, tout comme le directeur de la publication. Sur les réseaux sociaux, je ne risque quasiment rien. Les plateformes non plus". Cet angle mort juridique a légitimé "le droit à l'insulte et à l'expression des sentiments les plus haineux. C'est la parole désinhibée. Avant, on pouvait tout à fait être raciste ou antisémite. Mais on savait qu'il était interdit de l'exprimer. Aujourd'hui, on pense en avoir le droit".
"Le droit à l'insulte et à l'expression de la haine"
Le chercheur est interpellé par le phénomène. L'historien s'en inquiète. Le citoyen y voit une menace pour la démocratie. Denis Peschanski s'est beaucoup intéressé à notre rapport à la mémoire. Il participe d'ailleurs à un ambitieux programme de recherche pluridisciplinaire visant à observer comment le souvenir des attentats du 13 novembre évolue à travers le temps. Des victimes sont ainsi régulièrement examinées par des chercheurs caennais du laboratoire Cycéron. Au Mémorial de Caen, lors des Assises de la Normandie qui se sont tenues le jeudi 28 février, il était invité à débattre de la manière dont un événement historique - au hasard, le débarquement du 6 juin 1944 - s'inscrit dans la mémoire collective.
"La mémoire collective est une représentation sélective du passé qui participe à la construction de l'identité d'un groupe. On ne se souvient pas de tout. Ce qu'on retient, c'est ce qui a un sens", dit-il. Et cette mémoire collective se construit avec "l'école, les médias, les films, les livres, les oeuvres de fiction, les politiques gouvernementales". Mais aujourd'hui, poursuit-il, "les réseaux sociaux changent la donne".
Il en va de l'Histoire comme de l'actualité : sur les réseaux sociaux, "tout le monde a le même niveau d'intervention" pour en parler, pour l'écrire ou la réécrire. "Toute parole équivaut à toute autre. C'est le terrain de jeu des fake news et du complotisme. C'est un média qui est à la fois démocratique et anti-démocratique. Et ce n'est pas avec cela que se transmet une mémoire saine".
Denis Peschanski, historien, directeur de recherche au CNRS : « Les réseaux sociaux changent la donne dans la transmission mémorielle. Ce média est à la fois démocratique et anti-démocratique, en laissant la place aux conspirationnistes » #AssisesNormandie pic.twitter.com/Af74tPlyE6
— Les Assises de la Normandie (@AssiseNormandie) 28 février 2019
Le problème, c’est que sur Internet, le récit historique se retrouve placé en confrontation avec des informations complotistes ou négationnistes, et que les médias sociaux nous encouragent à nous diriger vers l’information - ou la désinformation - qui nous arrange. C’est ce que l’on appelle "la bulle de filtres", gonflée à la fois par notre subjectivité et les algorithmes qui décident de la variété des données qui nous sont mises sous les yeux". souligne Julien Lecomte, chargé de communication à l’Université de Paix dans cet article de la libre Belgique :
La mémoire historique est-elle soluble dans les réseaux sociaux?
Micro-analyse d'une époque surinformée Elisabeth Clauss La nouvelle génération - quelle que soit la vôtre, ça colle, vous verrez - passe ses...