INSOLITE. Une communauté religieuse traditionaliste érige une église monumentale

Une impressionnante église est en train d'être érigée à Gavrus, à quelques dizaines de kilomètres à l'ouest de Caen. Derrière la construction de ce bâtiment modélisé comme un édifice du XVIIIe siècle, la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X, une communauté religieuse catholique traditionaliste, voire intégriste.

À contre-courant. Alors que de nombreuses églises de la région sont inutilisées, voire en état de délabrement, une communauté est en train d'en bâtir une flambant neuve, dans le Calvados. Il n'y a plus eu de construction de nouvelle église dans la région depuis près de 60 ans, ce nouvel édifice religieux qui sort peu à peu de terre à Gavrus, au sud-ouest de Caen, fait figure d'ovni. Il servira de lieux de culte à la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX), une communauté catholique traditionaliste et ultraconservatrice, parfois qualifiée d'intégriste et antirépublicaine.

Cette frange extrémiste de l'Eglise catholique a été fondée en Suisse en 1970 par Monseigneur Marcel Lefebvre, en refus total du processus de modernisation du Vatican. Elle est d'ailleurs à ce jour en schisme avec Rome, qui avait excommunié son fondateur. À la Fraternité Saint-Pie X, les messes sont dites en latin, les prêtres tournés vers l'autel, les adeptes ne communient pas avec les autres religions, sont opposés à l'avortement, à la PMA et au mariage homosexuel. "Nous vivons notre foi comme nos grands-parents l'ont vécu, comme depuis des générations, elle a été transmise jusque dans les années 60 finalement", explique un fidèle, qui n'a pas hésité à mettre la main à la poche pour financer l'érection de la future église de Gavrus. 

VIDEO. Découvrez notre magazine d'enquête sur la construction de l'église Notre-Dame Auxiliatrice 

1,6 million d'euros pour une église financée par les fidèles

1,6 million d'euros, c'est le coût de ce nouveau lieu de culte qui devrait sortir de terre fin 2024. Il est entièrement financé par des dons privés, ceux des membres qui cotisent depuis près de 25 ans pour trouver un endroit décent pour prier et se recueillir. Car l'actuelle chapelle, utilisée depuis le début des années 80, tombe en décrépitude. Située au cœur de Caen, dans le quartier du Vaugueux, elle se révèle aussi trop petite pour une communauté qui recense environ 250 membres dans le Calvados. 

En 2007, la fraternité était passée proche d'acquérir l'église du Bon Sauveur, à Caen, mais le deal pourtant ficelé financièrement et contractuellement avec Eiffage avait inexplicablement capoté. "Je leur offrais l'église sur un plateau d'argent, mais les dirigeants nationaux de la Fraternité ont saboté le projet. Ils voulaient utiliser l'argent provisionné pour autre chose", s'emporte, amer, Me Gervais Marie-Doutressoule, proche de la communauté à l'époque, plus aujourd'hui. 

Finalement, une décennie plus tard, devant les oppositions politiques et religieuses à une installation caennaise, la FSSPX choisit l'exil. Destination Gavrus, où existent déjà un prieuré et une école pour garçons. "Il y a quelques années, juste avant son décès, un fidèle a fait un énorme don, de l'ordre du tiers du financement. C'est ce qui a permis de lancer les travaux en fin de compte", explique un paroissien. Il reste cependant plusieurs dizaines de milliers d'euros à trouver pour rembourser des prêts consentis pour boucler le budget total. 

37 mètres de long, 18 de large, 21 de haut, l'église promet d'être majestueuse. Inspirée du style classique de la contre-réforme (XVIIe siècle) notamment de Notre-Dame-de-la-Gloriette à Caen, elle a été dessinée par Arnaud Paquin, architecte du patrimoine. 

Il a fallu que je comprenne tout ce qui a fait la tradition architecturale des églises qui jalonnent notre territoire. Ce n'est pas simple parce qu'il y a diverses harmonies à trouver, dans les formes, dans l'acoustique, dans la lumière. Tout ça, ça vient d'un équilibre qui met du temps à être trouvé. 

Arnaud Paquin, architecte du patrimoine

La pose de la première pierre, et sa bénédiction, a eu lieu en février 2022. Paradoxalement, peu d'ouvriers s'affairent sur le chantier. "On a parfois été 5 ou 6, mais la plupart du temps, on travaille à deux", explique le chef du chantier. "Quand j'avais fait la première étude, beaucoup rigolaient en disant 'c’est des chantiers qui ne sortiront jamais ça !', personne n'y croyait, aussi bien sur des commandes d'éléments préfabriqués ou autres... C'est d'ailleurs pour ça qu'on a fait le choix de tout fabriquer nous-même. C'était un pari et c'est le chantier d'une vie, on n'en fera pas 50 dans notre carrière". 

Hasard ou miracle, lorsque les professionnels ont commencé à creuser, ils sont tombés sur une source non décelée lors des analyses de sols. Problématique au départ pour couler les fondations, la présence d'eau en abondance s'est révélée une bénédiction par la suite. "Une fois que nous avons réussi à drainer l'eau, on s'est dit qu'on pouvait l'utiliser pour le fonctionnement d'une pompe à chaleur. Ce qui fait qu'à l'heure où les coûts d'énergie des églises explosent, nous aurons un édifice parfaitement chauffé tout en restant économique et écologique", se félicite Arnaud Paquin, l'architecte.

Inauguration prévue au printemps 2025

Il reste encore près d'un an et demi de travaux, la fin du chantier est prévue pour le printemps 2025. Arrivé à Gavrus juste avant le début de la construction, l'abbé Jean-Marie Lebourg ne sait pas s'il sera encore en poste à ce moment-là. Pour autant, chez le religieux, la fierté prédomine.

Dans une période où il y a des églises qui ferment, en construire une montre que quand on a la foi, on peut faire comme nos anciens qui ont construit tant d'églises. C'est aussi une belle espérance, parce qu'on ne la construit pas pour nous mais pour tous ceux qui viendront après, pour que les âmes viennent trouver ici un recueillement, le sens de leur vie, le sens de dieu.

Abbé Jean-Marie Lebourg, prieur de Gavrus

Baptisée Notre-Dame Auxiliatrice en hommage à la Sainte-Vierge, l'église sera ouverte à tous, pas seulement aux adeptes de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X. Même si elle se retrouve éloignée de Caen, la communauté traditionaliste mise sur sa nouvelle chapelle pour attirer de nouveaux fidèles.