Isolement, vêtements blancs et cidre miracle : quand la ville de Caen faisait face aux épidémies au 17e siècle

En racontant cette histoire sur les réseaux sociaux, Christophe Maneuvrier, enseignant-chercheur en Histoire médiévale à l'université de Caen essaie de divertir la communauté universitaire pendant ce confinement. Il nous invite aussi à constater que, ce que nous vivons, n'a rien d'inédit. 

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Tout le monde a en tête les grandes épidémies comme la grippe espagnole de 1918 qui a fait 20 à 50 millions de morts selon l'Institut Pasteur, et peut-être jusqu'à 100 millions selon certaines réévaluations récentes, mais on a tendance à oublier qu'au 16e et 17e siècle, les épidémies revenaient tous les 2-3 ans. C'est ce qu'a commencé à raconter au printemps dernier Christophe Maneuvrier, enseignant-chercheur à l'Université de Caen. "Au début du 17e siècle, la Basse-Normandie a perdu 20 à 25% de sa population à cause de ces épidémies récurrentes."

 

Au début du 17e siècle, la Basse-Normandie a perdu 20 à 25% de sa population à cause de ces épidémies récurrentes.

Christophe Maneuvrier, enseignant-chercheur à l'université de Caen


A l'époque, dès qu'il y avait une épidémie on parlait de peste. "A partir du moment où des populations mouraient, qu'il y avait des morts, on parlait de peste, même si parfois il s'agissait d'épidémie de choléra ou de tout autre chose", explique Christophe Maneuvrier.

Un air corrompu

La connaissance des épidémies est approximative, mais les médecins désemparés ont compris une chose : la contagion se diffuse par l'air. "Cela peut faire sourire parce que toutes les épidémies ne se propageaient pas par l'air, mais il y avait cette idée que l'air était vecteur de maladie et ce, sans connaître les microbes et les virus. Donc, on encourage les gens à ne pas respirer trop profondément, à réduire les activités physiques, la musique, le chant, toutes ces activités susceptibles d'aspirer, de faire entrer en soi la maladie"

C'est à cette époque qu'apparaissent les masques à bec de canard qui permettent aux médecins d'être à distance des patients qu'ils auscultent. Comment ne pas penser à nos gestes barrières, masques et distances de sécurité.
 

Quitter la ville polluée

Alors il faut quitter la ville. "A cette époque, au 16e et 17e siècles, les villes sont très polluées, ça sent très mauvais. Et comme il y a cette idée que les épidémies se transmettent par l'air, par un air corrompu, dont on peut supposer qu'il sent mauvais, il faut s'en éloigner. Il faut fuir, se mettre à l'abri." Et c'est comme ça que la maladie se diffuse partout, y compris à la campagne. 

Les malades, eux, sont isolés. La maison du malade est marquée d'une croix blanche et toute la famille est confinée (ndlr : mot qui n'est pas employé à l'époque), enfants, grands-parents, domestiques. Seule une personne a le droit de sortir pour aller chercher à manger, mais pas n'importe comment. Elle doit revêtir un vêtement blanc. "Cela veut dire qu'elle a été examinée et reconnue malade par les médecins de l'Université et que les autres personnes ne doivent pas s'en approcher".  C'était en quelque sorte la méthode du "contact-tracing" d'aujourd'hui.

Les victimes, elles, sont enterrées en petit comité, pour éviter le risque de contamination. C'est le cas pour le recteur de l'université de Caen à la fin de l'été 1626 comme l'explique Christophe Maneuvrier dans ce tweet. Cette année-là, la rentrée universitaire est reportée d'un mois.
 
 

Bonne santé et cidre miracle

Si l'isolement, le traçage, la limitation des rassemblements font écho à ce que nous vivons, la manière de soigner est très éloignée de la nôtre. Nous, nous, attendons le vaccin. Il y a 400 ans, on ne connaissait même pas le processus des épidémies.

Mais il y a un point sur lequel tous les médecins s'accordent et qui n'est pas complétement absurde : il faut  être en bonne santé"Les médecins ont remarqué que les gens en forme, qui se nourrissent bien, résistent mieux. A l'époque on ne sait pas ce que sont les anticorps et les comorbidités, mais on a remarqué que les personnes âgées, malades, et les jeunes enfants sont les premières victimes des épidémies", souligne Christophe Maneuvrier. Les médecins conseillent donc de bien se nourrir. 

Les médecins ont remarqué que les gens en forme, qui se nourrissent bien, résistent mieux.

Christophe Maneuvrier, enseignant-chercheur à l'université de Caen


Cependant avoir une alimentation saine à l'époque peut surprendre. Le médecin normand Julien de Paulmier de Grantemesnil affirme avoir découvert un remède miracle : le cidre ! Il l’aurait guéri de ses problèmes cardiaques. Cherchait-il dans la pomme des substances thérapeutiques ? Apparemment le dit médecin connu pour avoir écrit le premier traité du cidre avait des plantations. Du cidre à l'hydroxychloroquine, le raccourci est amusant... 

 
 

Thèses complotistes et boucs émissaires

Christophe Maneuvrier n'a pas trouvé de mentions de ce genre à Caen aux 16e et 17e siècles. Mais cela ne veut pas dire qu'il n'y en a pas eu.

Au 14e siècle, lors de la pandémie de peste noire (ou bubonique) qui a touché 30 à 50 % des Européens en cinq ans (1347-1352), et fait  25 millions de morts, il y a eu beaucoup de mouvements populaires qui accusent les lépreux et les juifs de répandre la maladie. Ces derniers seront chassés du Royaume de France en 1394 par Charles VI.

L'histoire pour éclairer l'actualité ?

Il y a 400 ans, les Caennais vivaient avec les épidémies qui revenaient tous les 2-3 ans et en mouraient. Ils n'avaient pas de remèdes, ils n'avaient pas la possibilité de les prévenir. "Je ne crois pas aux enseignements des époques anciennes, confie Christophe Maneuvrier, mais cela  permet de montrer que ce que l'on vit n'est pas complétement inédit. On se retrouve un petit peu dans la situation de nos aïeux, démunis, retrouvant les mêmes gestes, les mêmes solutions provisoires. Ils étaient complètement désemparés et c'est exactement ce sentiment que nous avons retrouvé avec la crise du Covid-19."

 



 
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