Utilisées dans les siphons à pâtisserie mais aussi détournées à des usages festifs, les bonbonnes de protoxyde d'azote sont de plus en plus nombreuses dans les poubelles. Et provoquent des explosions dans les usines de traitement des déchets.
Il a longtemps été utilisé dans les blocs opératoires pour ses propriétés analgésiques et anesthésiques. En raison de son impact sur l'environnement (gaz à effet de serre), il tend à disparaître des hôpitaux. Si son usage médical est soumis à la réglementation du médicament, le protoxyde d'azote (N2O), surnommé gaz hilarant, est également un produit de consommation courante, en vente libre. Il équipe notamment les siphons à pâtisserie pour faire de la crème chantilly.
Mais depuis la loi du 21 juin 2021, sa vente est interdite aux mineurs (sous peine d'une amende de 3750 euros) ainsi qu'aux majeurs dans les lieux festifs (bars, discothèques, débits de boissons). Car le produit est également prisé pour ses effets psychoactifs. Les consommateurs inhalent le gaz dans un ballon après avoir "cracké" la cartouche. Le "proto", en raison de son faible prix, rencontre un certain succès auprès d'un public jeune, des étudiants mais aussi des lycéens et collégiens. Selon la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, 5,5% des élèves de 3e disent en avoir déjà consommé.
Cinq explosions par semaine
Le sujet est pris très au sérieux par les autorités sanitaires. Outre les risques immédiats pour le consommateur (asphyxie par manque d'oxygène, perte de connaissance, vertige), l'utilisation répétée du protoxyde d'azote peut entraîner d'importants troubles neurologiques, hématologiques ou psychiatriques. Un problème de santé publique donc. Mais également, depuis quelques années maintenant, un problème technique et financier pour les collectivités locales.
À Colombelles, dans l'agglomération caennaise, une quarantaine de camions alimentent chaque jour les fours de l'usine de retraitement des déchets en ordures ménagères. Le bruit des machines et des véhicules est parfois troublé par de vives détonations. "On a globalement cinq explosions par semaine", explique Jurgen Poli, le directeur de l'usine d'incinération.
À chaque fois, ces explosions sont dues à des bonbonnes de protoxyde d'azote. Loin des petites cartouches de siphon, certaines peuvent atteindre les 3 kilos avec des pressions jusqu'à 30 bars. "Avec la chaleur des fours - on est à plus de 900 degrés - la bouteille va éclater et va devenir un véritable projectile dans le four."
Des dizaines de milliers d'euros
Un danger potentiel pour les salariés et bien réel pour le matériel. "Ça peut faire de très gros dégâts", indique Christophe Perrelle, responsable de conduite, "ça va notamment bloquer les gradins des grilles voire les casser, ça va également pouvoir casser le réfractaire, ça peut endommager le mur de la chaudière et créer des fuites de chaudière."
Le four doit alors être mis à l'arrêt pendant près d'une semaine. "Comme on est à une température élevée, ça prend jusqu’à deux jours (pour éteindre complètement le four et pouvoir intervenir). Après, en fonction des dégâts à l’intérieur, les réparations peuvent durer de un jusqu’à quatre ou cinq jours. Derrière, il faut de nouveau un temps de chauffe de un à deux jours où on va consommer beaucoup de gaz."
Ces arrêts ont un coût, "de 60 à 100 000 euros de manque à gagner", estime Olivier Paz, le président du Syvedac, le syndicat gérant les déchets de l'agglomération caennaise. Car outre les frais de réparation, "l'usine fonctionne à flux tendu, 365 jours par an. Et quand elle est à l'arrêt, il faut emmener les déchets ailleurs".
Plus de chauffage au CHU ?
L'impact est aussi environnemental. Car en incinérant les ordures ménagères, l'usine de Colombelles alimente 90% du réseau de chaleur urbain nord (le reste est assuré par du gaz). Aujourd'hui, c'est le CHU de Caen et plus de 10 000 logements à Hérouville-Saint-Clair qui sont ainsi chauffés et fournis en eau chaude. Ce réseau est appelé à s'étendre dans les prochaines années (près de 40 000 bâtiments pourraient ainsi être alimentés d'ici 2031). À condition que l'usine fonctionne normalement. "Quand un four s'arrête, si c'est en plein hiver, on peut être en difficulté pour fournir la chaleur nécessaire", souligne Olivier Paz.
Si on recense en moyenne cinq explosions par semaine sur le site de Colombelles, les responsables de l'usine estiment que ce sont près de 50 bouteilles de protoxyde d'azote qui sont introduites dans les fours durant le même laps de temps. "C'est quelque chose qui nuit à la production, à la valorisation énergétique. Ça nous inquiète", reconnaît Christophe Perrelle, responsable de conduite, "et c'est pour ça qu'on souhaite que les pratiques changent et que les consommateurs soient conscients des conséquences pour tout le monde. Ces bouteilles n'ont rien à faire dans les déchets. Il faut les exclure des poubelles grises." Seule solution pour s'en débarrasser : les déposer en déchetterie, vidées de leur contenu, où une filière spécialisée en assurera le retraitement.